Eglises d'Asie – Chine
COMPRENDRE LA REPRESSION ACTUELLE A L’ENCONTRE DES EGLISES CHRETIENNES
Publié le 18/03/2010
Cette inquiétude s’exprime à travers une politique consistant à « contenir » le phénomène. Les grandes lignes en sont bien connues. Il faut d’abord détruire tout lien existant entre religion et nationalisme séparatiste. Les musulmans du Xinjiang et les bouddhistes du Tibet ont été les plus durement frappés dans ce domaine avec l’arrestation de 4 000 prétendus séparatistes musulmans en mai 1996. Ensuite, il faut couper les liens qui unissent les Eglises non officielles et des organisations occidentales. De ce point de vue, la lamentation d’une organisation missionnaire évangélique est typique : « Jamais, autant qu’au cours de l’année 1996, nous n’avons annulé autant de séminaires de formation pour les dirigeants des Eglises « domestiques » à cause du danger couru par les participants ». Enfin, Il faut forcer toutes les activités religieuses souterraines à apparaître à la surface où elles peuvent être contrôlées. Depuis décembre 1995, le Bureau des affaires religieuses a lancé une campagne nationale pour obliger des milliers d’Eglises non officielles à se faire enregistrer ou à fermer. Des centaines ont préféré fermer plutôt que de se faire enregistrer, bien que, dans les régions rurales, beaucoup aient choisi de se faire enregistrer afin de préserver leurs bâtiments.
Au risque d’enfoncer une porte ouverte, il faut dire que la Chine est dirigée par un Parti communiste, dont les chefs – s’ils sont fidèles aux principes fondamentaux du marxisme – continuent de considérer la religion comme une pathologie et se sentent obligés d’en accélérer la disparition. Mais les dirigeants chinois sont-ils réellement communistes ? Leur politique d’ouverture au capitalisme occidental ne suggère-t-il pas chez eux un libéralisme fondamental? Pour souligner la question, il est à noter que le trentième anniversaire de la Révolution culturelle, le 16 mai 1996, est passé complètement inaperçu. Il est clair que l’esprit de Mao n’est pas près de ressusciter. Il serait pourtant tout à fait prématuré de s’imaginer que la question de l’idéologie s’est complètement effacée devant le pragmatisme économique. Je dirais plutôt qu’il s’en est séparé. Selon un professeur de l’école normale supérieure de Pékin, « l’idéologie a été expulsée du domaine économique dans les années 1980, et comme un fantôme sans enveloppe charnelle, a cherché à s’incorporer ailleurs. Elle a trouvé un lieu de repos dans les années 1990 dans le champ politique ». Il ajoute : « Quand le président Jiang Zemin a commencé à appeler de ses voeux la restauration d’une « civilisation spirituelle », son message réel était le suivant: l’idéologie est de nouveau à l’ordre du jour »(1). Jiang Zemin ne s’est d’ailleurs pas contenté de faire des discours généraux sur la question idéologique. De source fiable, on sait que, au début de cette année, il a déclaré au cours d’une réunion du Bureau des affaires religieuses : « Nous sommes engagés dans une lutte secrète contre l’Eglise ». Un observateur de la Chine comme Anthony Lambert affirme de son côté: « La religion s’est certainement déplacée vers le centre de la scène politique. Mao et d’autres chefs ne s’embarrassaient pas beaucoup de politique religieuse, mais aujourd’hui nous pouvons constater que les deux principaux dirigeants de la Chine, Li Peng et Jiang Zemin, sont personnellement impliqués dans les problèmes religieux ».
La campagne pour la construction de la civilisation spirituelle
« Civilisation spirituelle » n’est pas une notion nouvelle. Deng Xiaoping en parlait déjà en 1978 quand il mentionnait la construction des deux civilisations : matérielle et spirituelle. L’utilisation du terme ‘spirituel’ dans la bouche d’un communiste matérialiste pourrait, au premier abord, paraître encourageante, mais Anthony Lambert précise : « On aurait tort d’imaginer qu’il y ait quoi que ce soit là dedans qui aille dans le sens du christianisme ». Etre ‘spirituel’ dans le sens des Chinois c’est être « un honnête homme, à la fois altruiste et doué de sens artistique, vertueux et généreux ». A mesure que les fenêtres s’ouvrent sur le capitalisme occidental, les dirigeants chinois se demandent d’ailleurs publiquement comment empêcher l’invasion « des mouches et des germes » de la civilisation occidentale, qui rendent les gens égoïstes et anti-sociaux. Les campagnes successives pour la civilisation spirituelle n’ont jamais été très efficaces mais comme le remarque Robin Munro, de Human Rights Watch : « même si la campagne est habituellement inoffensive et ennuyeuse, quelquefois elle prend une tournure sinistre quand elle appelle les gens à critiquer et à attaquer le virus étranger ». Cela s’est déjà produit à deux reprises en 1981 et en 1984. La deuxième fois, la campagne « contre la pollution spirituelle » fut particulièrement dure : plus de 250 dirigeants d’Eglises « domestiques » furent emprisonnés. On craint aujourd’hui qu’une troisième phase ne soit en route, en partie parce que ce vocabulaire est le plus souvent employé par Jiang Zemin. Willy Wo-lap Lam, du South China Morning Post, estime que le terme de « civilisation spirituelle » est devenu la pierre d’angle de la vision de Jiang pour le siècle à venir, une vision qui sera dévoilée au sixième plenum du comité central du Parti communiste en septembre 1996. Jiang est évidemment inquiet de constater que la croissance du crime et de la corruption a accompagné la croissance économique du pays, à tel point que le Parti doit intervenir et, selon les termes d’un haut fonctionnaire « réformer à nouveau la nature humaine ».
Comment tout ceci constitue-t-il une menace pour l’Eglise ? Comme dit le dirigeant d’une Eglise « domestique » de Pékin : « Chaque fois que j’entends parler de civilisation spirituelle, je tremble, parce que cela signifie en réalité que le gouvernement dit : on ne peut plus vous laisser tout seul on va venir vous enseigner les bonnes manières, le patriotisme… Tout cela se traduit en davantage de contrôle ». Un pasteur de Shanghai, qui appartient au mouvement des trois autonomies et préfère garder l’anonymat, avait commencé par dire aux fonctionnaires que lui aussi attaquait la corruption et essayait de rendre les gens plus honnêtes au nom de l’Evangile. Il a vite compris la nature à double tranchant de la campagne quand lres services de sécurité l’ont convoqué pour lui dire: « Il est possible que vous essayiez de rendre les gens honnêtes, mais s’ils continuent à croire en Dieu, alors ils s’adonnent à la superstition et ils ne rendront pas la Chine meilleure ».
La campagne contre la criminalité
Avec le slogan « Frappons fort », les cadres du parti ont été encouragés à débarrasser en cent jours le pays des éléments criminels qui empêchent la construction de la civilisation spirituelle. Les trafiquants de drogue, les assassins, les violeurs et les racketteurs sont les cibles privilégiées. Depuis avril, plus de huit cents personnes ont été exécutées en public, souvent après des procès de moins d’une semaine. Dans la pratique, les chrétiens ont été aussi affectés car il y a eu en
leur sein davantage d’arrestations et de mauvais traitements. Les cadres locaux fonctionnent souvent selon des quotas qu’il leur faut remplir et, comme le dit un dirigeant d’Eglise « domestique » de Canton, « les chrétiens sont des cibles faciles s’il faut remplir les quotas, parce que s’ils ne sont pas enregistrés ils sont techniquement sous le coup de l’article 99 du code pénal qui prévoit l’exécution des membres des sociétés secrètes s’adonnant à des activités contre-révolutionnaires ». Bien qu’il n’y ait pas eu d’exécution de chrétien « clandestin » à notre connaissance, plus de 300 ont été arrêtés depuis trois mois dans sept provinces. La plupart ont été relâchés après paiement d’une amende, mais ce harcèlement a gravement affecté les sessions de formation. La police agit comme si elle avait carte blanche aussi longtemps qu’elle obtient des résultats. En conséquence, beaucoup de chrétiens arrêtés sont sévérement maltraités, et trois d’entre eux sont morts ces derniers mois à la suite de mauvais traitements. La campagne « Frappons fort » devait se terminer le 5 août.
La campagne anti-occidentale
Les valeurs occidentales ne peuvent pas, semble-t-il, construire la civilisation spirituelle, et Willy Wo-lap Lam affirme: « L’année dernière, M. Jiang a lancé la plus importante campagne nationaliste depuis la Révolution culturelle ». Celle-ci va de l’interdiction des prénoms chrétiens au réglement qui empêche de programmer plus de 15% de télévisions étrangères et à la production de « L’atlas de la honte » qui doit être publié le 1er juillet 1997 et qui détaillera « la terrible victimisation de la Chine par les puissances étrangères depuis cent-cinquante ans ». L’Eglise se trouve prise aussi dans cette campagne parce que, dit le professeur de Pékin, « les dirigeants chinois estiment réellement que le christianisme est une religion étrangère qui serait appelée à mourir si elle n’était pas soutenue par l’Occident ». En 1994, déjà, Li Peng avait promulgué des décrets pour empêcher les Eglises de commercer avec des étrangers, mais, cette année, nous avons appris que des Eglises « domestiques » des régions côtières avaient été la cible d’actions de la police qui croit que, plus on se rapproche de la côte et plus on a de liens avec l’Occident. Ce n’est pas tout à fait inexact. L’obligation d’enregistrer les communautés ecclésiales est destinée en partie à forcer les Eglises à faire surface pour les isoler de leurs soutiens en Occident. La police a reçu l’ordre d’infliger immédiatement trois ans de rééducation par le travail à quiconque serait pris avec des plaques d’imprimerie pour la Bible d’origine occidentale. Ces trois campagnes, dont deux s’originent dans l’idéologie de la civilisation spirituelle, rendent la vie très difficile aujourd’hui à tous les chrétiens de Chine dont les communautés ne sont pas officiellement enregistrées. (…)