Eglises d'Asie

Orissa : malgré l’opposition des habitants, la Cour suprême autorise l’implantation d’un complexe sidérurgique

Publié le 15/05/2013




La Cour suprême a annulé vendredi 10 mai dernier le verdict de la Haute Cour invalidant l’autorisation donnée par le gouvernement de l’Orissa à la Pohang Iron and Steel Company (Posco) pour son projet d’implantation d’un gigantesque complexe sidérurgique. Lancé il y a huit ans, ce projet rencontre depuis le début l’opposition farouche des habitants …

… auxquels se sont joints de nombreux militants de différents partis, des ONG de défense des droits de l’homme et de l’environnement ainsi que l’Eglise catholique.

Annulant les décisions de la Haute Cour de l’Orissa et du Tribunal environnemental qui avaient déclaré non-conformes les recommandations faites par l’Orissa au gouvernement central en faveur de l’entreprise sud-coréenne ainsi que leurs premiers accords, la Cour suprême a jugé valide la licence accordée à Posco par l’Etat de l’Orissa selon les lois régissant l’exploitation minière, laissant cependant au gouvernement central indien le soin de donner sa validation définitive.

Depuis plus de huit ans, le projet qui envisage d’utiliser 1 080 hectares de terres collectives exploitées par cinq villages est bloqué par les habitants refusant une expropriation qui les priverait de tout moyen de subsistance, sans compter l’indemnisation jugée insuffisante en raison de la qualification de la région en Zone économique spéciale (SEZ).

En 2005, le géant sud-coréen, qui compte parmi les quatre plus grands producteurs d’acier du monde, avait signé un contrat avec l’Etat de l’Orissa (devant être validé définitivement par Delhi), pour installer dans le district de Jagatsinghpur un gigantesque complexe industriel, comprenant l’extraction du minerai de fer, des usines sidérurgiques et la construction d’un port. Ce projet colossal d’un montant de 12 milliards d’euros s’était heurté immédiatement à l’opposition des habitants de la région, en majorité des aborigènes, des dalits et des chrétiens vivant des ressources de la forêt, de la pisciculture et de l’agriculture.

La firme sud-coréenne avait vainement tenté de convaincre les villageois que le site assurerait le développement économique de la région, la création d’emplois, l’accès aux soins médicaux et la scolarité de leurs enfants. Les détracteurs du projet dénonçaient quant à eux un désastre écologique, la pollution irréversible de l’environnement ainsi que le non-respect des droits des peuples autochtones.

Cédant à la pression des militants qui multipliaient les manifestations et mouvements de protestation, le ministère des Mines de l’Orissa demandait une enquête sur le projet mais finissait par reconfirmer en 2009 l’accord passé avec Posco. Encadrés par la guérilla communiste, très présente dans la région, les villageois commençaient alors à bloquer la route menant à Balithutha, futur site du complexe sidérurgique. Plusieurs centaines d’entre eux s’étaient relayé pendant près de quatre mois dans un sit-in pacifique mais déterminé.

Mais, le 15 mai 2010, la police recevait l’ordre de forcer le barrage, blessant plus d’une centaine de manifestants et arrêtant des dizaines de militants. Les violences policières avaient été fermement condamnées par de nombreux leaders politiques, qu’ils soient du Parti communiste de l’Inde (CPI), du Parti du Congrès ou encore du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP). L’Eglise catholique avait également vigoureusement dénoncé les faits, notamment par la voix de l’évêque de Rourkela, Mgr John Barwa, déjà engagé depuis longtemps dans le combat contre l’implantation de Posco. « Nous sommes opposés à tout ce qui va contre les intérêts des communautés locales, avait-il déclaré, et l’Eglise ne peut accepter un projet envisageant de chasser les gens de leurs terres. »

Suite à ces événements, la Haute Cour étudiait à son tour le projet de la firme et annulait en juillet 2010 la licence accordée par l’Etat, donnant raison aux écologistes et défenseurs des droits de l’homme. Mais, en décembre 2011, l’Orissa et l’entreprise sud-coréenne signaient un nouvel accord, déclenchant une série de protestations et de violents affrontements entre les manifestants et les ouvriers de Posco, faisant un mort et plusieurs blessés. Deux responsables du Parti communiste en Orissa étaient arrêtés et emprisonnés ; Narayan Reddy et Abhay Sahoo, également principal leader de la résistance aborigène à la tête de son mouvement Posco Pratirodha Sangram Samiti (PPSS).

Enfin, le 30 mars 2012, après une requête déposée par des militants écologistes, le « Tribunal Vert national », chargé de régler les différends environnementaux, suspendait cette seconde licence accordée par l’Etat de l’Orissa à Posco.

La Cour suprême, que le groupe sud-coréen a saisi en appel l’an dernier, est donc le premier tribunal à statuer en faveur de l’implantation du site sidérurgique, depuis le début du bras de fer entre l’Etat de l’Orissa et les militants ‘anti-Posco’. Les dirigeants de l’entreprise sud-coréenne ont déclaré ce 12 mai avoir bon espoir que Delhi valide rapidement l’accord définitif. « C’est une excellente nouvelle, s’est réjoui Y. W. Yoon, directeur de Posco India, car le gouvernement central a toujours soutenu notre projet. »

A l’annonce du verdict de la Cour suprême, la résistance s’est réorganisée et les habitants ont fait savoir qu’ils ne renonceraient pas. « A aucun prix, nous ne laisserons Posco s’installer dans ces montagnes », a notamment averti Jual Oram, ancien ministre fédéral des Affaires tribales et membre du BJP. L’opposition aux acquisitions de terrain et au démembrement des cultures communautaires par Posco et la police de l’Etat n’a, quant à elle, jamais cessé. Le 7 mars dernier, rapporte Times of India, une centaine d’habitants de la région conduits par Abhay Sahoo ont défilé à demi-nus devant les campements de la police du village de Gobindapur afin de protester contre la poursuite des acquisitions forcées de leurs terres. Les policiers ont chargé la foule avec des bâtons faisant une vingtaine de blessés.

Le 11 mai dernier, au lendemain de la décision de la Cour suprême, Abhay Sahu a été arrêté et emprisonné alors qu’il s’apprêtait à se rendre à un congrès au Tamil Nadu (1). Le PPSS a réagi à l’arrestation de son leader par un communiqué publié le jour même par lequel il « condamnait fermement » le gouvernement de l’Orissa pour sa « lâche tentative de déstabilisation du mouvement d’opposition à Posco ».

Alors que les confiscations de terres au profit des grandes entreprises et les manifestations contre différents projets industriels se multiplient dans toute l’Inde, « l’affaire Posco », ainsi que la tout aussi récente décision de la Cour suprême d’autoriser la mise en fonctionnement d’une centrale nucléaire très controversée au Tamil Nadu (2), illustrent le nouveau virage pris par le gouvernement central dans sa politique d’industrialisation à grande échelle.