Eglises d'Asie

Le « problème tamoul » persiste et s’aggrave, alertent l’Eglise catholique et les ONG

Publié le 04/01/2012




Depuis la fin de la guerre civile, qui s’est achevée il y a près de trois ans (1), le nord de l’île n’est toujours pas démilitarisé, les terres des civils sont confisquées, et des familles entières attendent d’être réinstallées en dépit des promesses gouvernementales. L’Eglise et les ONG, qui jugent préoccupante la discrimination envers les populations tamoules, affirment qu’à l’heure actuelle 200 000 déplacés vivent toujours dans des camps.

Bien que l’état d’urgence – qui était en vigueur depuis 1983 – ait été levé officiellement à la fin août 2011, la présence militaire dans les territoires du nord n’a pas diminué. Malgré les pressions internationales, Colombo continue d’y faire appliquer des lois répressives comme la Loi de prévention du terrorisme (PTA) au nom de laquelle les autorités peuvent procéder à des arrestations arbitraires, maintenir des personnes en détention sans jugement, ou encore confisquer des terres « pour raison de sécurité ».

Des sources ecclésiastiques locales et des organisations humanitaires révèlent qu’en ce début 2012, un peu plus de 200 000 déplacés attendent toujours dans une soixantaine de camps du gouvernement d’être « réinstallés ». La plupart d’entre eux se trouvent dans les régions de Jaffna et de Vanunya, dont le tristement célèbre camp de Menik Farm.

Depuis des mois, le gouvernement de Mahinda Rajapaksa affirme à la communauté internationale que les camps de déplacés ont été vidés et que la réhabilitation des Tamouls est achevée. Sur son site Internet, l’armée sri-lankaise publie régulièrement des « reportages » sur les cérémonies marquant la fin de la « rééducation » d’ex-rebelles tamouls par les militaires. La situation dans le nord semble également ignorée de la majorité cingalaise de l’île pour laquelle le gouvernement organise des « visites » dans l’ancienne zone de conflit où seul l’accès aux monuments à la gloire de la victoire contre les Tigres tamouls est autorisé.

Dans le camp de Cheddikulam, des prêtres catholiques, autorisés à venir célébrer la messe de temps en temps, témoignent de conditions de vie des déplacés tamouls qui s’aggravent. Ces familles qui n’ont pu se réinstaller ont souvent vu leurs terres confisquées et transformées en « zones de haute sécurité », ou attendent toujours que leurs villages soient déminés, expliquent-ils. Le gouvernement ne prenant pas en compte les civils vivant dans des camps dits « de transit », ces personnes n’apparaissent dans aucune statistique. Des camps de transit qui accueillent parfois des réfugiés depuis des années, dont ceux issus de la première vague de la guerre civile en 1991. « Certains Tamouls ont été déplacés à plusieurs reprises, et vivent toujours dans des cahutes de fortune sans même le minimum vital », rapporte Anthony Jesudasan, coordinateur d’un programme pour les déplacés.

International Crisis Group (ICG) souligne le grand dénuement des déplacés et les difficultés auxquelles se heurtent les organisations humanitaires sur le terrain pour venir en aide aux civils tamouls. « C’est la situation des femmes qui est la plus critique, précise Alan Keenan, l’un des experts de l’ICG pour le Sri Lanka. Dans un contexte d’insécurité permanent, elles doivent faire face à des abus et à des violences, de la part des forces de l’ordre mais aussi de leur propre communauté. »

Selon un rapport de l’ICG paru le 21 décembre dernier, depuis la fin de la guerre, des milliers de femmes tamoules sont désormais seules à assumer la charge de jeunes enfants ou de parents âgés, leur mari ayant été tué ou emprisonné. Elles n’ont droit à aucune aide du gouvernement, n’ont pas de terres, d’habitation, de travail et ne peuvent se tourner vers aucune institution. Dans la péninsule de Jaffna, où la présence militaire est omniprésente (un soldat pour dix habitants), les femmes tamoules qui sont victimes de violences sexuelles, de prostitution forcée ou d’autres abus, ne peuvent réclamer justice en raison de l’impunité dont bénéficient les forces armées et la police. Des faits dénoncés également par Amnesty International dans un communiqué daté du 13 décembre par lequel l’ONG rappelle que, dans les territoires du Nord, « les disparitions et les homicides extrajudiciaires sont courants », « la torture fréquemment utilisée par la police » et « les organisations humanitaires étroitement surveillées ».

Le 12 décembre dernier, des milliers de Tamouls, de chrétiens et les représentants d’une quarantaine d’ONG se sont réunis à Colombo pour dénoncer les violations des droits de l’homme dans le nord du pays par l’armée sri lankaise, et demander la libération des prisonniers détenus sans inculpation depuis la fin de la guerre. Le P. Marimuthupillai Sathivel, prêtre anglican, participait à la manifestation : « Le gouvernement viole les droits de l’homme et la démocratie, des gens sont jetés en prison dans l’illégalité la plus totale et d’autres disparaissent sans qu’aucune enquête ne soit ouverte », s’indigne-t-il. Deux jours avant la manifestation, deux leaders des mouvements de défense des droits de l’homme ont disparu à Jaffna, alors qu’ils préparaient une conférence de presse pour le lendemain (2).

C’est dans ce contexte tendu que vient d’être porté à la connaissance du public le rapport de la commission mandatée par le président sri-lankais pour enquêter sur d’éventuelles violations des droits de l’homme pendant la dernière phase de la guerre civile. Sans grande surprise, le 16 décembre dernier, le rapport de 400 pages de la Lessons Learnt and Reconciliation Commission (LLRC) a blanchi l’armée sri-lankaise de toute accusation de crimes de guerre, violation des droits de l’homme ou crime contre l’humanité, infirmant ainsi le rapport de l’ONU d’avril 2011 (3). A peine paru, ce rapport s’est attiré les foudres de la communauté internationale et des ONG qui ont toutes souligné la partialité de la commission nommée par Mahinda Rajapaksa.

En outre, « ce rapport va entretenir et relancer le problème interethnique au lieu de le résoudre, s’inquiète le P. Reid Shelton, du diocèse de Colombo. Le Sri Lanka a besoin de retrouver la justice, ce qui signifie d’appliquer la loi, et de cesser de soumettre les régions du Nord et de l’Est à un régime militaire tout puissant. »

La Conférence épiscopale du Sri lanka, présidée par le cardinal Ranjith, a quant à elle tenu à encourager les fidèles dans son message de Noël à « être des outils de paix et de réconciliation » et à « rencontrer le Seigneur parmi les plus pauvres, comme ces familles tamoules qui attendent toujours de pouvoir retourner chez elles ». « Notre pays doit faire face aujourd’hui à un nouveau défi : permettre que les principes d’égalité soient garantis à toutes les communautés, et que leur dignité et leur identité soient préservées », a conclu l’archevêque de Colombo (4).