Eglises d'Asie

Après la reine Elizabeth II, le président sri-lankais rend visite au pape Benoît XVI

Publié le 13/06/2012




Alors que la menace d’un boycott plane sur la prochaine conférence du Commonwealth initialement prévue au Sri Lanka, en raison des allégations de crimes de guerre qui pèse sur lui, Mahinda Rajapaksa est en quête de cautions morales auprès de la communauté internationale. Après une visite à Londres pour le jubilé de diamant de la reine Elizabeth II en tant que représentant d’un Etat du Commonwealth, le président sri-lankais a été reçu le 8 juin dernier par le pape Benoît XVI.

« Accueil chaleureux » de la reine de Grande-Bretagne, rencontre « dans un esprit de compréhension mutuelle » avec le pape ; les médias officiels sri-lankais ont largement couvert la tournée européenne que vient d’achever le président du Sri Lanka. Colombo peine toutefois à masquer l’humiliation subie par Mahinda Rajpaksa lors de sa visite au Royaume-Uni, ainsi que la polémique qui l’a accompagnée.

Dès son arrivée le 3 juin dernier à Londres, Mahinda Rajapaksa a été accueilli à l’aéroport par les huées de plusieurs centaines de Tamouls, membres de l’importante communauté sri-lankaise réfugiée sur le sol britannique. Durant tout son séjour, les manifestations ont pris une ampleur telle que la session du forum économique du Commonwealth du 5 juin où Mahinda Rajapaksa devait prendre la parole a été annulée.

La presse sri-lankaise est restée également muette sur la présence de milliers de manifestants devant le palais de Marlborough où se tenait le 6 juin dernier le déjeuner de gala des représentants des pays du Commonwealth. La foule brûlait des effigies de Mahinda Rajapaksa et brandissait des photos des massacres de la guerre civile ainsi que des milliers de Tamouls portés disparus.

Les médias britanniques ont pour leur part largement couvert les protestations, soulignant les différences entre la version officielle du gouvernement sri-lankais et celle des personnalités rencontrées par Mahinda Rajapaksa, pour la plupart des acteurs-clés de la résolution votée par les Nations Unies contre le Sri Lanka en mars dernier, comme le Premier ministre canadien Stephen Harper – qui a demandé récemment le boycott du sommet du Commonwealth 2013 au Sri Lanka –, ou encore le Premier ministre britannique David Cameron. Le 7 juin, Channel 4 News a ainsi démenti une information du Sri Lankan Daily Mirror selon laquelle David Cameron avait eu avec le président du Sri Lanka « un entretien cordial » au cours duquel ils avaient discuté « du développement du pays ». Selon la chaîne britannique, le Premier ministre aurait tout au contraire « demandé des comptes » à Mahinda Rajapaksa sur son refus d’accepter une enquête internationale sur les crimes de guerre.

Ce même jeudi 7 juin, Channel 4 News a diffusé une interview incisive de Peter Kellner, président de la Royal Commonwealth Society. « Le président du Sri Lanka n’aurait jamais dû assister aux célébrations du Jubilé », a affirmé Peter Kellner. « Cette erreur n’est pas venue de la reine ou de Buckingham Palace, mais du Commonwealth qui, lors du dernier sommet de Perth, n’a pas voulu jouer son rôle et tirer les conséquences des preuves évidentes de violations des droits de l’homme [par Colombo] », a-t-il poursuivi, prédisant que si « la situation des droits de l’homme n’évoluait pas rapidement au Sri Lanka », le sommet du Commonwealth de 2013 « serait un véritable désastre ».

Vendredi 8 juin, Mahinda Rajapaksa était reçu en audience par Benoît XVI, accompagné de son épouse et de huit membres de son gouvernement. C’était la troisième visite du président sri-lankais au Vatican, sa dernière visite remontant à décembre 2008, soit quelques mois avant la fin de la guerre civile et le massacre de milliers de civils en mai 2009. A plusieurs reprises à l’époque, Benoît XVI avait condamné les violences qui déchiraient l’île, exhortant les parties à trouver une solution politique.

Selon la salle de presse du Saint-Siège, Benoît XVI et Mahinda Rajakasa se sont entretenus du « développement socio-économique du pays ainsi que de la réconciliation entre les communautés après une longue et douloureuse guerre civile ». Le pape a exprimé l’espoir que soit trouvée rapidement « une solution tenant compte des légitimes aspirations des différentes parties ». Avant de rencontrer le cardinal Bertone et Mgr Mamberti, secrétaire pour les Relations avec les Etats, le président sri-lankais a souligné « l’importante contribution qu’apportait l’Eglise à la nation, par son témoignage religieux, ses institutions éducatives, médicales et caritatives, favorisant la compréhension et le progrès de tous les citoyens ». Des propos qui rejoignaient en substance ceux tenus par le cardinal Malcolm Ranjith, archevêque de Colombo, ce même 8 juin, sur la radio d’Etat Sri Lanka Broadcasting Corporation (SLB), où il expliquait que cette rencontre au Vatican visait à « développer une meilleure compréhension mutuelle » en tenant informé le pape « des progrès effectués dans le développement social et la réconciliation », tout en sollicitant sa bénédiction.

La large diffusion par les services de l’Etat sri-lankais des informations sur l’audience papale intervient alors que les relations entre le gouvernement et l’Eglise catholique (en particulier en zone tamoule) au Sri Lanka se dégradent, et que Mgr Rayappu Joseph, évêque de Mannar, est l’objet de menaces qui inquiètent la communauté internationale.

Lundi 11 juin, l’éditorialiste Brian Senewiratne du Colombo Telegraph a rappelé, dans une lettre ouverte adressée au président sri-lankais et à Benoît XVI, que le « seul crime » de l’évêque de Mannar et du clergé catholique tamoul était d’avoir fait appel aux Nations Unies en mars dernier et demandé une enquête sur les personnes portées disparues. Depuis, poursuit le journaliste en exil, l’évêque doit faire face à une vaste campagne de diffamation de la part des autorités qui, après l’avoir accusé de « complot contre l’Etat » et menacé d’arrestation, lui reprochent aujourd’hui de mener des « activités antimusulmanes ». Depuis mai dernier, les menaces envers le prélat se sont faites plus précises : interrogatoire à domicile par deux agents du Criminal Investigation Department (CID), interdiction par la police d’un rassemblement pour « soutenir l’évêque » prévu le 27 mai dans une église, et enfin assignation au tribunal de cinq prêtres préparant ledit événement pour « troubles à l’ordre public ». (1).

L’éditorialiste rapporte également qu’il reçoit « de nombreux e-mails lui demandant de confirmer la rumeur selon laquelle Mgr Rayappu ‘aurait fui’ en Norvège et que le gouvernement sri lankais ‘l’aurait aidé’ ». Brian Senewiratne avoue son inquiétude : « Cette rumeur est fausse, Mgr Joseph Rayappu est toujours à Mannar, mais je ne peux m’empêcher de penser à ce qui s’est déjà produit dans le passé. » Le journaliste rappelle le sort d’un prêtre catholique de Mannar, le P. Mary Bastian, enlevé par les forces armées sri-lankaises, torturé et assassiné, vraisemblablement le 5 janvier 1985. A l’époque, écrit-il, le pape Jean Paul II avait publiquement prié pour l’âme du prêtre, mais le gouvernement sri-lankais avait nié le meurtre et fait courir la rumeur que le P. Bastian s’était enfui en Inde où il « était en parfaite sécurité ». Accréditée par plusieurs prêtres catholiques cinghalais, cette version avait été transmise à Rome par le P. Oswald Gomis, futur archevêque de Colombo, amenant le pape à faire une autre déclaration officielle dans laquelle il exprimait « sa joie de savoir le P. Bastian en vie ». Malgré les preuves accablantes aujourd’hui de la mort du prêtre, poursuit l’éditorialiste, l’Eglise du Sri Lanka n’est jamais revenue sur cette déclaration au Vatican. « L’histoire a pour habitude de se répéter. J’espère que la soi-disant ‘fuite’ de Mgr Joseph en Norvège ne prépare pas une répétition de la ‘fuite’ du P. Bastian en Inde », conclut le journaliste.