Eglises d'Asie

L’évêque catholique de Mannar lance un nouvel appel au gouvernement pour faire cesser les exactions envers les Tamouls

Publié le 28/09/2012




Passée presque inaperçue lors de sa publication le 23 août dernier, la dernière déclaration de l’évêque de Mannar, Mgr Rayappu Joseph, adressée au président sri-lankais, commence à se faire connaître alors que l’ONU entame la première phase de son enquête sur les exactions commises pendant la guerre civile. 

Intitulée « Réconciliation, droits de l’homme et problèmes humanitaires dans le diocèse de Mannar », cette longue lettre ouverte de l’évêque de l’un des diocèses les plus touchés par la guerre civile, dresse un état des lieux inquiétant de la situation des droits de l’homme sur ce territoire, toujours sous contrôle militaire.

En dépit des menaces qui pèsent sur lui depuis qu’il a dénoncé auprès des Nations Unies les violations des droits de l’homme dans la partie tamoule de l’île, l’évêque, s’appuyant sur des exemples récents, renouvelle les préconisations qu’il avait faites devant la Commission gouvernementale LLRC (1). Mgr Joseph explique en préambule que les « graves problèmes humanitaires et violations des droits de l’homme » qui perdurent dans son diocèse – lequel comprend les districts civils de Mannar et de Vavuniya – sont les mêmes pour tous les territoires tamouls du Nord et de l’Est de l’île.

En premier lieu, fait valoir le prélat, il « est grand temps de reconnaître l’identité des Tamouls et de leur accorder les mêmes droits qu’à tous les citoyens sri-lankais ». Il évoque entre autres la cinghalisation forcée qui se poursuit dans la région, où des statues et temples bouddhiques continuent d’être élevés à la place des lieux de culte chrétiens et musulmans et où le cinghalais remplace le tamoul dans les administrations et les lieux publics.

Mgr Joseph revient ensuite sur les 146 680 personnes disparues pendant la dernière phase de la guerre (2008-2009) et sur le rapport qu’il avait présenté devant la LLRC et qui lui avait valu menaces et intimidations de la part du gouvernement. Le prélat recommande à nouveau la désignation d’une commission d’enquête indépendante, avec la collaboration des Nations Unies, une requête qui lui avait déjà attiré les foudres de Colombo ainsi que du cardinal Ranjith, archevêque de Colombo.

A ces disparitions inexpliquées s’ajoutent les milliers d’exécutions extrajudiciaires qui ont eu lieu durant le conflit et qui se poursuivent encore aujourd’hui, rappelle encore l’évêque de Mannar qui réitère sa proposition de mettre en place un processus d’enquête sur ce point, avec l’assistance d’Amnesty International afin d’en assurer l’impartialité.

Il dénonce ensuite la détention sans jugement de centaines de prisonniers politiques tamouls ainsi que les conditions inhumaines dans lesquelles ils sont incarcérés, sans accès aux soins, au personnel humanitaire, ni à leur familles. L’évêque cite un fait précis, révélé récemment par la presse sri-lankaise, faisant état de la torture de plusieurs prisonniers politiques tamouls dans la prison de Vavuniya, suivie de la mort de deux d’entre eux des suites de ces sévices. Selon les militants des droits de l’homme plus de 900 prisonniers politiques sont actuellement en prison, des chiffres niés par le gouvernement. Les prisonniers doivent être jugés ou libérés, et leur sécurité assurée, demande l’évêque de Mannar.

Par ailleurs, poursuit-il, les arrestations abusives et les mises en détention sans jugement se multiplient dans les territoires du Nord, parallèlement aux exactions quotidiennes commises par les militaires au nom du Prevention of Terrorism Act (PTA), toujours en vigueur malgré la fin du conflit.

Quant aux réfugiés et déplacés, ils vivent dans la terreur et le dénuement, leurs terres et biens ayant été confisqués par l’armée sri-lankaise, attendant toujours la réhabilitation promise par le gouvernement. C’est le cas du village de pêcheurs de Mullikulam, transformé en base militaire et dans lequel les habitants, déplacés depuis 2007, ont l’interdiction de pénétrer. Mgr Joseph soutient depuis des années ces quelque 215 familles dont le matériel de pêche et les bateaux ont été confisqués par l’armée, les privant ainsi de tout moyen de subsistance, et qui viennent d’être « réinstallées » par le gouvernement en pleine jungle, à la merci « des serpents, des moustiques et des attaques d’éléphants » (2).

Dans toute la région, poursuit le prélat, les militaires contrôlent le trafic maritime, les zones de pêche et tous les commerces, détournant le gagne-pain de milliers de personnes qui ne reçoivent aucun dédommagement, aides ou allocations de terres comme l’avait promis l’Etat.

Mgr Rayappu évoque ensuite la restriction des libertés fondamentales comme le droit de réunion et d’expression, qui touche les habitants des territoires tamouls comme les ONG, empêchées de leur venir en aide. Il rappelle entre autres le rassemblement pacifique du 24 mai 2012 à Mannar qui avait conduit à l’assignation en justice de plusieurs prêtres catholiques.

« Depuis la fin de la guerre, conclut l’évêque de Mannar, les militaires sont continuellement intervenus dans les rituels culturels et religieux », empêchant la commémoration des morts et des disparus, ainsi que les célébrations et les rassemblements. Il souligne « la blessure renouvelée chaque année » de la fête de la victoire imposée par Colombo, qui « célèbre la guerre au lieu de commémorer les morts ». Le traitement des Tamouls par le gouvernement comme des populations ennemies en territoires occupés ne pourra jamais mener à la réconciliation, constate Mgr Joseph, qui rappelle que les blessés de guerre, les veuves et les orphelins tamouls ne reçoivent aucune aide du gouvernement, contrairement aux « héros de la victoire » cinghalais, glorifiés par le pays.

C’est avec sa parution intégrale dans le Colombo Telegraph du 8 septembre dernier que la lettre ouverte de Mgr Rayappu Joseph a commencé à être médiatisée, et également critiquée par ses détracteurs. Dès le lendemain, 9 septembre, le Tamil Guardian rapportait que l’église Ste-Marie de Kappalenthi où l’évêque de Mannar célébrait un office avait été attaquée à coups de pierres et le prélat légèrement blessé.

Ce nouvel appel de Mgr Joseph survient dans un climat de forte tension dû aux visites préparatoires à la mission de l’ONU au Sri Lanka. Le 20 septembre dernier, à Colombo, des centaines de manifestants dont un nombre important de moines bouddhistes, appelaient au boycott de la commission d’enquête des Nations Unies, affirmant que le Sri Lanka et l’armée en particulier étaient innocents des crimes qui leur étaient reprochés et que les anciens « terroristes du LTTE » »avaient tous été « réhabilités ».

(eda/msb)