Eglises d'Asie – Sri Lanka
Commémoration du Black January : la lutte contre la censure de la presse se poursuit
Publié le 01/02/2013
Plus de 200 journalistes, parlementaires, militants des droits de l’homme, prêtres et religieuses catholiques ont manifesté à Colombo mardi 29 janvier, brandissant les photos des journalistes assassinés ou disparus, et demandant au gouvernement d’« enquêter sur les assassinats, attaques et disparitions inexpliquées ». Selon Sunil Jayasekara, président de Free Media Movement, plus de 140 cas de disparitions et meurtres de membres de la presse sont toujours non résolus et les médias subissent une censure et un harcèlement croissants.
Lors de cette journée du Black January (nommée ainsi en raison des attaques qui se sont produites majoritairement les mois de janvier des quatre dernières années), les manifestants ont commémoré la mémoire des membres de la presse victimes de la censure gouvernementale, et ont dénoncé les menaces de mort, les interrogatoires, voire les tortures infligées par la police, ainsi que les attaques, confiscations de matériel et pressions subies quotidiennement par les journalistes au Sri Lanka.
Une nouvelle loi, qui vient d’être votée au Parlement, va en outre étendre encore le pouvoir de la police en l’autorisant de détenir des suspects sans mandat d’arrêt pendant 48 heures au lieu des 24 heures habituelles. Les militants des droits de l’homme s’inquiètent des conséquences de cette nouvelle procédure qui va restreindre davantage les droits fondamentaux des citoyens. « Les abus et les tortures se produisent généralement durant les premières heures de détention », affirme Jehan Perera, à la tête du National Peace Council. Pour le P. Ashok Stephen, avocat et directeur du Centre for Society and Religion, il s’agit bien d’une nouvelle étape dans le renforcement de la censure qui « donnera au gouvernement le pouvoir de contrôler toutes les voix dissidentes ».
La figure la plus emblématique des journées du Black January est sans aucun doute Lasantha Wickramatunga, rédacteur en chef du Sunday Leader, abattu le 8 janvier 2009. Ce chrétien convaincu, qui avait refusé de céder aux menaces du gouvernement pour ses articles dénonçant les crimes commis pendant le conflit avec les Tigres tamouls, a été assassiné, deux jours avant les élections régionales et deux jours après la mise à sac et l’incendie de la chaine de télévision Sirasa (1). La nouvelle de son meurtre avait suscité une forte émotion et le 12 janvier à Colombo, plus de 10 000 personnes s’étaient jointes aux journalistes, chrétiens, militants des droits de l’homme et avocats, dans une grande marche de protestation.
« Aujourd’hui, l’enquête sur l’assassinat de Lasantha est au point mort », dénoncent Amnesty International et Reporters Sans Frontières (RSF) dans une déclaration commune parue le 24 janvier dernier. « En nommant juge de la Cour suprême, Mohan Peiris, auteur de mensonges scandaleux proférés devant les Nations unies (2), le chef de l’Etat sri-lankais signifie ouvertement sa volonté de mettre au plus vite un terme aux enquêtes sur la disparition de Prageeth et la mort de son collègue Lasantha Wickrematunga », poursuivent les deux ONG, ajoutant que le Sri Lanka, placé sur la liste des « pays sous surveillance » de RSF, a été classé parmi les Etats où la liberté de la presse est la moins respectée.
Comme le souligne le Committee to Protect Journalists (CPJ), c’est entre 2008 et 2010 que la censure et les violences envers les journalistes et les médias se sont brusquement intensifiées, soit durant la période allant de la dernière phase de la guerre entre le gouvernement et les Tigres Tamouls aux premières élections post-conflit ; des années marquées par le renforcement du pouvoir du président Mahinda Rajapaksa. Les élections présidentielles et législatives de 2010 ont marqué une nouvelle étape dans les atteintes à la liberté de la presse. Le 24 janvier 2010, le célèbre journaliste et caricaturiste Prageeth Ekneligoda du Lanka-e-news (dont les bureaux seront incendiés en janvier 2011), disparait quelques jours seulement avant la réélection dans des conditions contestées de Mahinda Rajapaksa, le 27 janvier. S’ensuivent d’autres « disparitions inexpliquées » de membres des médias, puis le 22 mars 2010, peu avant les législatives d’avril, c’est le tour du Sirasa Media (MBC/MTV) à Colombo – dont les bureaux ont déjà incendiés en 2009 –, d’être attaqué par plusieurs centaines de partisans du parti au pouvoir. Peu auparavant, un journaliste proche du général Fonseka, ex-rival du président, était arrêté et emprisonné sans jugement.
Inquiètes de la « gravité des violations des droits de l’homme et de liberté, notamment de presse et d’opinion (…) dans le cadre des élections de 2010 », les Eglises chrétiennes et les ONG de défense des droits de l’homme avaient alerté la communauté internationale. Comme elles avaient dénoncé, un an plus tôt le « le meurtre de sang-froid de Lasantha Wickramatunga [qui] avait sonné le glas de la liberté des médias dans le pays (…) », les chrétiens avaient de nouveau averti que « cette stratégie visant à éliminer et réduire les médias au silence » allait faire « sombrer le Sri Lanka dans un abîme de mort, de destruction et d’anarchie ».
C’est également à partir de cette période que les sites d’information sur Internet considérés comme critiques vis-à-vis du gouvernement, se retrouvent régulièrement bloqués ou victimes de cyber-attaques (3). Une surveillance qui s’est accrue depuis, avec la mise en place en novembre 2011, d’une obligation d’enregistrement auprès du ministère de l’Information, de toute la presse sur le Net. « Quatre sites d’information indépendants majeurs, Sri Lanka Mirror, Sri Lanka Guardian, Paparacigossip9 et LankaWayNews, ont été immédiatement bloqués sur ordre du ministère. Par la suite, le nombre des sites censurés n’a cessé d’augmenter », rapporte à RSF Frederica Jansz, ancienne rédactrice en chef en exil du Sunday Leader.
Selon RSF, plus d’une vingtaine d’hommes et femmes de médias ont été assassinés ou « portés disparus » au Sri Lanka ces deux dernières années. Mais « il ne s’agit que de la face émergée de l’iceberg », affirme un éditorialiste du Sri Lanka Guardian, qui ajoute que « nul ne sait véritablement ce qui se passe dans le nord du pays ».
(eda/msb)