Eglises d'Asie – Bangladesh
Les ouvriers du textile poursuivent leurs protestations
Publié le 25/09/2013
Le bilan des blessés au soir de cette nouvelle journée d’émeute n’est toujours pas connu, mais la police a chargé avec violence les manifestants à Narayanganj (zone industrielle de Dacca) où des milliers d’ouvriers bloquaient les routes, ainsi qu’à Gazipur et Savar où des grévistes ont mis feu à des bâtiments et des véhicules, rapporte aujourd’hui le Daily Star dans son édition du soir.
Deuxième exportateur mondial de vêtements (après la Chine), le Bangladesh emploie dans ses 4 500 usines textiles près de 3 millions d’employés (dont 70 % de femmes) pour une production représentant 10 % de son PNB et 80% de ses exportations annuelles, soit un total de 20 à 27 milliards de dollars.
Mais les ouvriers des manufactures ne gagnent qu’un salaire de base mensuel de 3 000 taka (28 euros) – soit l’un des plus bas au monde (la moitié de celui pratiqué au Cambodge) –, un montant dérisoire qui a pourtant été obtenu de haute lutte en août 2010 après des mois de manifestations très violentes des travailleurs du textile.
Les ouvriers demandent aujourd’hui un salaire de 100 dollars par mois (73 euros), une requête déjà présentée en juin dernier (1) et refusée par les industriels qui affirment ne pouvoir accorder qu’une augmentation de 20 % (soit 5 euros) en raison de la conjoncture économique mondiale. Il s’agit pourtant d’une demande légitime et bien modeste, s’indigne l’économiste bangladais Shapan Adnan, qui rappelle que « selon une étude récente réalisée au Bangladesh, une famille de quatre personnes a besoin d’au moins 182 euros par mois, pour seulement survivre et ne pas mourir de faim ».
Aux côtés du maigre salaire figuraient également en bonne place dans les revendications des ouvriers les conditions de travail « inhumaines » qui caractérisent le secteur du textile au Bangladesh et dont l’ampleur a été révélé au monde lors de l’incendie de l’usine Tazreen en novembre 2012 puis de l’effondrement en avril dernier du Rana Plaza à Savar, tuant plus de 1 200 personnes et blessant plus de 2 500 autres.
Déclenchée samedi 21 septembre, la grève des travailleurs du textile, qui en est à son cinquième jour ce mercredi 25 septembre, semble se poursuivre avec la même détermination. Lors de la très violente journée de grève de lundi, qualifié de la « pire jamais survenue depuis 2010 », les ouvriers avaient été plus de 200 000 à crier leur colère dans les rues de Dacca comme à Gazipur et à Savar, banlieues industrielles de la capitale où des centaines d’usines textiles sont implantées.
Bloquant les routes menant à la capitale, manifestant dans les rues, les ouvriers ont également installé des piquets de grève devant les usines encore en fonctionnement et vandalisé une dizaine d’entre elles. Durant ces cinq jours, les affrontements violents entre les manifestants et les forces de l’ordre se sont succédés (2), généralement lors des charges de la police pour disperser la foule à coups de matraques, tirs de balles en caoutchouc ou gaz lacrymogènes. Des centaines de blessés ont été recensés, dans les zones industrielles où se sont produit les heurts, comme dans la capitale lors des manifestations. Des actes de vandalisme ont été également signalés : incendies de voitures et de bâtiments, mais surtout saccage d’usines de vêtements comme à Chandra, Palli Bidyut et Kaliakoir à Gazipur.
Plus de 300 usines, dont la plupart fournissent de grands noms tels que l’américain Walmart, le français Carrefour ou encore le suédois H&M, ont totalement cessé leur production depuis samedi et les pertes de l’industrie textile se chiffrent désormais en millions de dollars. Ce mercredi 25 septembre, à l’issue d’une réunion de crise avec les représentants des syndicats et le patronat du textile, le ministre de l’Intérieur Muhiuddin Khan Alamgir a enjoint aux ouvriers de reprendre le travail, leur assurant au nom du gouvernement que leurs salaires seraient augmenté fin novembre. La promesse a été cependant assortie de la menace d’une reprise de la production par la force, des unités de l’armée ayant été déployées dans les zones industrielles afin de briser la grève le cas échéant.
Quelques jours avant le début des manifestations des ouvriers du textile, une grande campagne de sensibilisation internationale venait justement d’être lancée par un collectif d’Eglises chrétiennes, afin de faire pression sur le Bangladesh pour qu’il mette fin à l’exploitation des travailleurs des manufactures de vêtements, leur assure un salaire décent et la sécurisation de leur environnement de travail.
Rassemblant différentes Eglises anglicanes et protestantes du Royaume-Uni, du Canada et des Etats-Unis (3), cette action collective a été initié par Mgr Paul Sarker, modérateur de la Bangladesh Church (Alliance anglicane), qui a lancé des programmes d’aide pour les victimes de l’effondrement de l’usine de Rana Plaza.
Convaincu que « seul un soutien de la communauté internationale permettra de faire enfin justice aux travailleurs exploités », Paul Sarker explique que le boycott des produits « Made in Bangladesh » ne fera qu’aggraver la situation précaire des ouvriers. Selon lui, les acheteurs occidentaux doivent tout au contraire user de leur pouvoir de pression pour, non pas supprimer le travail des ouvriers du textile mais améliorer leurs conditions de travail. La campagne des Eglises protestantes propose ainsi aux consommateurs occidentaux d’écrire aux magasins à l’occasion des achats de Noël pour demander des renseignements sur la provenance des jouets, vêtements et produits divers, ainsi que sur les salaires et conditions de travail des ouvriers.
Monika Hambrom, une survivante de la tragédie du Rana Plaza, a témoigné, pour le lancement de la campagne, de son complet dénuement depuis l’accident. Unique soutien de sa famille, blessée, sans salaire ni indemnités, elle ne peut plus faire vivre les siens. Elle n’a pu survivre que grâce à l’aide de la Bangladesh Church.
Si l’Eglise catholique au Bangladesh, qui se doit d’être discrète dans un pays très majoritairement musulman et sujet aux troubles interreligieux, ne s’est pas exprimée publiquement, elle lutte cependant depuis de longues années en faveur de l’amélioration des conditions de vie des ouvriers du textile, parmi lesquels se trouvent, malgré les interdictions légales, un très grand nombre d’enfants. En 1995, Rosaline Costa, une ancienne religieuse devenue membre de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Bangladesh (CBCB) et consultante pour l’Institut américano-asiatique du travail libre, avait lancé un syndicat ouvrier indépendant pour les travailleurs du textile.
Aujourd’hui coordinatrice de la Hotline Human Rights Bangladesh, un organisme de l’Eglise catholique, elle rappelle les conséquences des émeutes ouvrières qui ont suivi l’effondrement du Rana Plaza en mai dernier. Le monde ne pourra pas ignorer plus longtemps les conditions de travail et les souffrances des ouvriers, et surtout des ouvrières, de ces manufactures au Bangladesh, assure-t-elle, concluant que « les manifestations continueront jusqu’à ce que les ouvriers obtiennent gain de cause ».