Eglises d'Asie

Des moines bouddhistes et des représentants musulmans appellent les autorités à poster des forces de sécurité devant les pagodes et les mosquées

Publié le 12/09/2013




Le 10 septembre dernier à Rangoun, des moines bouddhistes et des représentants de la communauté musulmane de Birmanie ont signé un « accord » visant à prévenir de nouvelles violences interreligieuses entre les deux communautés, …

… comme celles qui ont eu lieu de manière sporadique ces derniers quinze mois en différentes régions du pays.

L’accord en question se veut informel, aux dires de ses signataires, mais il vise à empêcher de nouvelles violences entre la minorité musulmane et la majorité bouddhiste de la population de Birmanie. Il a ainsi été proposé d’établir des lignes de communication directe entre les responsables bouddhistes et musulmans au plan national. Il a aussi été demandé aux autorités gouvernementales de poster des forces de sécurité devant les pagodes et les mosquées de manière à empêcher tout éventuel incident de dégénérer en émeutes meurtrières. L’accord a été signé à la pagode Kaythayama de Eastern Dagon, l’une des villes nouvelles érigées en périphérie de Rangoun à la toute fin des années 1980 par la junte militaire alors au pouvoir.

Au-delà de l’aspect inédit d’un tel accord, signé par des moines bouddhistes alors même que les enquêtes de terrain menées ces derniers mois en Birmanie indiquent toutes que le sentiment antimusulman, prégnant dans la population, est largement partagé dans les rangs du clergé bouddhiste, il est frappant de constater que, parmi les signataires bouddhistes, se trouve l’une des personnalités-phare du mouvement antimusulman de ces derniers mois, à savoir le moine Wirathu. Célèbre pour avoir fait la couverture de l’hebdomadaire américain Time, en juillet dernier, sous le titre « The Face of Buddhist Terror », le moine Wirathu ne fait pas mystère de sa volonté de protéger l’identité birmane, associée au bouddhisme, d’une supposée volonté de conquête musulmane venue du sous-continent indien, du Bangladesh voisin en particulier. Ce 10 septembre toutefois, il a déclaré à la presse que les violences de ces derniers mois « avaient de nombreuses causes » et qu’il « fallait trouver des solutions pour y mettre fin ». « Si nous mettons en œuvre ces solutions (…), notre pays pourra connaître une paix durable. C’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui afin de signer un accord favorisant la paix », a-t-il précisé devant les caméras, ajoutant que l’accord du 10 septembre avait été préparé à l’occasion de deux rencontres en juin dernier avec des musulmans.

Du côté musulman, un seul représentant d’une communauté pourtant diverse était présent dans la pagode Kaythayama pour signer l’accord. Diamond Shew Kyi, qui s’est présenté comme « un militant agissant au nom de la communauté musulmane de Birmanie », a déclaré qu’il était important d’empêcher l’extrémisme de se développer parmi les religions. « Comme le moine l’a souligné, nous avons des extrémistes de part et d’autre. Nous devons les empêcher d’agir autant que faire se peut, de manière à construire la paix entre nos deux communautés », a-t-il précisé. Propriétaire d’un magasin de pierres précieuses à Mandalay, Diamond Shew Kyi est membre du Peace and Friendship Network, une ONG locale.

L’accord du 10 septembre, sans même interroger la représentativité de ses signataires, interpelle les observateurs à plusieurs titres. Il intervient dans un contexte où les tensions entre musulmans et bouddhistes semblent toujours aussi vives. Après les violences meurtrières (près de 200 morts et 140 000 déplacés) qui ont endeuillé l’Arakan et visé la communauté musulmane Rohingya en 2012, cette année 2013 a été marquée par des flambées de violence en diverses régions du pays, les dernières en date s’étant produites le mois dernier dans la Division Sagaing, au centre du pays (sur une rumeur faisant état d’une agression sexuelle par un musulman sur une bouddhiste, une foule en colère a pris d’assaut un quartier musulman et incendié une cinquantaine d’habitations appartenant à des musulmans). Depuis janvier 2013, plus de quarante personnes ont trouvé la mort dans ces violences, parfois brûlées vives, et les victimes sont dans leur très grande majorité des musulmans.

Le gouvernement a été accusé de ne pas agir avec suffisamment de célérité pour empêcher ou prévenir ces violences. Certains ont reproché aux forces de l’ordre d’assister avec passivité à ces violences, voire d’y prendre part. En août dernier, Aung Zaw Win, un responsable de la communauté musulmane de Mandalay, dénonçait « le double langage » tenu par le président Thein Sein. « En dépit des promesses que le président fait lors de ses voyages à l’étranger, engageant son gouvernement à observer une tolérance zéro [en matière de violence interreligieuse], les autorités ne font rien pour s’attaquer au problème », déclarait-il à l’AFP à la mi-août 2013.

Au plan international, les pressions se sont multipliées et, le mois prochain, lors de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, l’Argentin Tomas Ojea Quintana, remettra son rapport, lequel risque de ne pas être à l’avantage du gouvernement de Naypyidaw.

Pour désamorcer les critiques qui ne manqueront pas de se multiplier alors, le président Thein Sein aurait toutefois décidé d’agir. Le 2 septembre dernier, le Mahana ou State Sangha Maha Nayaka Committee, l’organe officiel régulant la communauté des moines bouddhistes, a émis un décret interdisant au clergé bouddhiste de « former des organisations autour du mouvement ‘969’ ». Le mouvement 969 n’est pas en soi interdit, mais ses dirigeants sont allés trop loin lorsqu’ils ont proposé que le Parlement vote des lois pour, par exemple, interdire le mariage de femmes bouddhistes avec des non-bouddhistes, a-t-il été précisé. « Ils [les leaders du 969] n’ont reçu aucun mandat et pourtant ils veulent former une organisation et faire voter des lois pour veiller à la défense de la citoyenneté [birmane] », s’indignait Ashin Baddanda Guna Linkara, vice-président de Mahana pour Rangoun.

Le mouvement 969, chiffre qui renvoie à la tradition des 24 attributs des trois joyaux du bouddhisme (9 du Bouddha, 6 du Dharma et 9 de la Sangha), est ce mouvement informel qui, ces derniers temps, a pris la tête de la campagne islamophobe visant à faire boycotter par les bouddhistes les commerces, les taxis ou les affaires tenus par des musulmans. Sa figure de proue n’est autre que le moine Wirathu, signataire de « l’accord » du 10 septembre avec un représentant musulman.

Le paradoxe consiste donc à voir la figure la plus emblématique parmi les moines bouddhistes tenants d’un discours islamophobe signer un accord avec des musulmans pour veiller à la paix interreligieuse en Birmanie. Le 10 septembre, interrogé par des journalistes sur le décret du 2 septembre pris par le Mahana, le moine Wirathu a répondu en niant toute légitimité à cet organe. « Chaque acte ou décret pris par le Sangha Nayaka a été rédigé sous la menace d’un fusil », a-t-il dénoncé, rappelant que le Mahana avait été créé en 1980 par la junte militaire pour contrôler les moines. En 2007, lors de la « Révolution de safran », mouvement en faveur de la démocratie auquel ont pris part de très nombreux moines bouddhistes, le Mahana avait pris un décret pour interdire aux moines de prendre part aux « affaires séculières », décret suivi de peu d’effet, a-t-il encore rappelé pour mieux souligner le dédain dans lequel il tient cette institution.