Eglises d'Asie

Orissa : sept chrétiens condamnés à la prison à vie pour l’assassinat de Laxmanananda Saraswati

Publié le 04/10/2013




Mardi 1er octobre, le tribunal du district de Phulbani, en Orissa, a condamné huit personnes, dont sept chrétiens, à l’emprisonnement à vie pour l’assassinat du leader hindou Swami Laxmanananda Saraswati, incident à l’origine des pogroms antichrétiens de 2008. 

Le verdict, dont les conclusions n’ont été rendues publiques qu’hier, jeudi 3 octobre, a bouleversé la communauté chrétienne de l’Orissa qui se bat toujours pour que soient reconnues les violences dont elle a été victime, et qui perdurent encore aujourd’hui dans la plupart des districts de l’Etat.

Les sept accusés chrétiens, de confession protestante, sont des adivasi (aborigènes) originaires des villages de Kotagad, au Kandhamal, district qui fut l’épicentre des pogroms de 2008. Tous ont en commun d’avoir été arrêtés des mois après les faits, sans aucune explication de la police venue les saisir avec brutalité dans leurs villages où ils avaient été eux-mêmes victimes des violences des hindouistes. Emprisonnés depuis bientôt cinq ans, sans jugement, il ne leur a jamais été signifié les raisons de leur arrestation, ni laissé la possibilité de contrer les accusations de meurtre dont ils étaient inculpés.

Avant cette audience très attendue, les accusés avaient vu toutes les auditions avec le juge annulées à le dernière minute. Cette année, rapportait en mai dernier le P. Markose, un religieux catholique montfortain assurant leur défense, les chrétiens avaient dû se rendre au tribunal à plusieurs reprises, pour apprendre une fois sur place que le juge était absent et l’audience annulée, avant d’être ramenés en prison. « Ce procès est une parodie de justice où les victimes sont accusées, les témoins menacés et les coupables libérés », résumait déjà Sajan George, président du Global Council of Indian Christians (GCIC), qui soutient, aux côtés des Eglises locales, les chrétiens détenus et leurs familles.

L’assassinat le 23 août 2008 du swami Laxmanananda Saraswati et de quatre de ses disciples avait été le déclencheur des violences antichrétiennes qui avaient déferlé sur le district du Kandhamal pour s’étendre ensuite à l’ensemble de l’Orissa, puis à d’autres Etats de l’Inde. A ce jour, le bilan des pogroms menés par les hindouistes en Orissa est estimé à plus de 120 morts, près de 60 000 personnes déplacées, et des milliers d’habitations, de lieux de culte et d’institutions détruits. Des chiffres largement sous-estimés selon les associations des droits de l’homme et les différentes délégations envoyées pour enquête par la communauté internationale.

Quelques jours après le meurtre du leader hindouiste, un groupe de maoïstes opérant dans le district du Kandhamal avait revendiqué la responsabilité de « l’exécution » du swami dans une lettre adressée aux enquêteurs de la police criminelle. Il y était expliqué que Laxmanananda Saraswati avait été « éliminé » en raison de la haine religieuse qu’il répandait dans la région et qui créait des troubles sociaux.

Malgré cette revendication du meurtre, que les maoïstes avaient réitérée à deux reprises, la police de l’Etat avait arrêté et maintenu en prison les chrétiens « présumés coupables » sur la base des dénonciations d’hindouistes de la région.

Devant le tribunal de Phulbani avaient été dans un premier temps déférées neuf personnes avant que l’une d’entre elles ne soit libérée pour manque de preuves. Outre les sept chrétiens, un huitième accusé a été condamné mardi 1er octobre à la même peine d’emprisonnement à vie, accompagnée du versement de 10 000 roupies (120 euros) pour chacun d’entre eux. Il s’agit d’un certain Pulari Rama Rao, alias Uday, appartenant au mouvement maoïste du Kandhamal et qui aurait eu en sa possession l’un des pistolets utilisés pour le meurtre du swami. Plusieurs autres maoïstes ont été également accusés dans cette affaire, dont le leader Sabyasachi Panda, qui est toujours recherché par les forces de l’ordre.

A l’issue de l’audience du 1er octobre, le procureur Anil Kumar Pradhan a déclaré à The Hindu que le juge R. K. Tose était arrivée à la conclusion que les sept chrétiens étaient coupables à partir du rapport médico-légal ainsi que du recoupement des témoignages. Le motif du meurtre, selon lui, est que les chrétiens voulaient se venger de Laxmanananda Saraswati qui forçait les leurs à se convertir à l’hindouisme.

Dès l’annonce du verdict, les Eglises chrétiennes ainsi que de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme ont protesté contre « un jugement inique » et demandé la libération des « sept chrétiens injustement condamnés ».

Le P. Charles Irudayam, secrétaire de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, a déclaré à l’agence Fides que « le tribunal avait condamné, le lendemain de cette décision, un responsable maoïste pour le délit dont étaient accusés les chrétiens, les innocentant donc de fait ». Insistant sur « l’absence totale de preuves » pouvant incriminer les sept chrétiens, le prêtre catholique a dénoncé un verdict « irrecevable et sans aucune motivation », rejoignant ainsi le P. Dibakar Parichha, prêtre et avocat du diocèse de Cuttack-Bhubaneswar, qui a travaillé dans le cadre des procès des pogroms de 2008. « Ils sont innocents et le procès n’a démontré aucune implication des accusés dans le meurtre », a ajouté l’avocat de la défense S. K. Padhi.

De son côté, Mgr Raphaël Cheenath, ancien archevêque catholique de Cuttack-Bhubaneshwar, très investi dans la défense des victimes des violences au Kandhamal, a déclaré que l’Eglise allait « faire immédiatement  appel devant la Haute Cour de ce verdict injuste et inacceptable ». Ayant bon espoir que le jugement soit cassé, il a rappelé que depuis 2008, l’Eglise « n’avait eu cesse d’intercéder auprès de la Haute Cour et de la Cour suprême pour obtenir la libération [des sept chrétiens], mais que les deux institutions répondaient à chaque fois qu’elles ne pourraient considérer ces cas qu’après que les tribunaux aient statué en première instance ».

Sajan K. George, responsable du GCIC, a qualifié quant à lui la sentence de « farce et de triste démonstration de la façon dont fonctionne le système judiciaire en Inde ». Selon lui, il ne fait aucun doute que « la magistrature est influencée par des groupes nationalistes et extrémistes hindous ». Il explique que, de plus, ce jugement risque de raviver le sentiment d’injustice et d’impunité que ressent la population chrétienne du Khandamal « qui vit toujours dans la peur et la menace hindouiste ».

Depuis l’établissement des cours spéciales de justice, de nombreux rapports d’enquêtes d’ONG et d’instances internationales ont montré du doigt les dysfonctionnements des procédures, le parti pris des magistrats, souvent eux-mêmes impliqués dans les affaires traitées, et la corruption des fonctionnaires, de la police comme des autorités locales.

Dès l’annonce de la sentence, le district du Kandhamal a été placé sous haute sécurité, rapporte le Times of India du 3 octobre, qui ajoute que les églises, les temples et les cours de justice sont sous surveillance policière afin de prévenir tout incident.