Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – A quand la fin du monopole d’Etat sur les religions officiellement reconnues ?

Publié le 31/10/2013




Le monopole officiel sur les activités religieuses pratiquées par le groupe des cinq religions reconnues par l’Etat s’érode progressivement. Au sein du système établi par les dirigeants communistes chinois dans les années 1950, seuls les groupes affiliés à ces cinq religions, à savoir les bouddhistes, les catholiques …

… (dans la mesure où ils sont « officiels », distincts des catholiques « clandestins »), les chrétiens protestants, les taoïstes et les musulmans, peuvent obtenir un statut légal.

Des responsables religieux juifs ou orthodoxes (au sens de chrétiens orthodoxes) ont cherché à faire reconnaître par l’Etat leurs communautés, étant donné que ces dernières, pour fonctionner au grand jour, ne disposent que d’un agrément limité. Des communautés revendiquant une appartenance aux adventistes du septième jour, aux mormons et aux communautés bahaï pourraient faire de même. Plus délicat est le problème posé aux autorités chinoises par les Eglises domestiques protestantes, de même que par certaines mosquées ou bien encore les catholiques « clandestins » pour qui l’affiliation à l’Association patriotique des catholiques chinois est incompatible avec leur foi. Quel statut légal offrir à ces communautés ? Les difficultés sont multiples, sans même évoquer l’idée de voir les communautés religieuses en Chine, toutes les communautés sans exception, fonctionner sans autre forme de statut légal, comme cela pourrait pourtant être envisageable au vu des engagements que la Chine a pris vis-à-vis de la communauté internationale dans le domaine du respect des droits de l’homme.

Dans l’article ci-dessous, mis en ligne le 16 septembre 2013 sur le site de Forum 18, Magda Hornemann, spécialiste des questions religieuses en Asie orientale, analyse ces questions. Basé en Norvège, Forum 18 se présente comme une organisation chrétienne œcuménique ayant pour objet la défense à travers le monde de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, article relatif au droit à la liberté religieuse (www.forum18.org). La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Dans le système établi par les dirigeants communistes chinois dans les années 1950, les cinq Eglises reconnues par l’Etat exercent un monopole officiel sur toutes les pratiques religieuses légales dans le pays. Seuls les groupes affiliés à ces Eglises peuvent obtenir un statut légal. Pourtant, alors que ce monopole est en passe d’être progressivement érodé, on constate que d’autres communautés religieuses s’étonnent de savoir, quand et comment le gouvernement chinois amendera sa politique, jusqu’au point de permettre à n’importe quelle communauté religieuse d’obtenir un statut légal si elle le désire.

Quelques églises chrétiennes orthodoxes ont reçu l’approbation de l’Etat pour rester ouvertes sans pour autant entrer dans le système mis en place pour les cinq religions officiellement reconnues. Pour certaines communautés formées de juifs ou de protestants étrangers, une tolérance existe mais ces communautés n’ont pas le droit d’accepter en leur sein des citoyens chinois.

Dans le même temps, des millions de citoyens chinois participent à des célébrations au sein de communautés religieuses non reconnues par l’Etat, y compris les membres des nombreuses « Eglises domestiques » protestantes et ceux qui parmi les catholiques reconnaissent l’autorité du Vatican.

Une reconnaissance à obtenir

Sous le système restrictif actuel, le statut d’enregistrement légal permet à une communauté religieuse de conduire des réunions régulières dans des lieux permanents et visibles sans craindre la répression de l’Etat. En général, les groupes déclarés, qu’ils soient bouddhistes, catholiques, taoïstes, musulmans ou protestants, au sein des structures hiérarchiques approuvées par l’Etat, bénéficient toutes de ces avantages. Inversement, les groupes religieux non déclarés (y compris ceux qui appartiennent à ces cinq religions mais qui sont extérieurs aux groupes approuvés par l’Etat) n’ont pas la possibilité de bénéficier soit d’une partie de ces avantages, soit de tous ces avantages.

Par exemple, les groupes protestants et catholiques non enregistrés (particulièrement ceux qui sont clairement rattachés au Vatican) doivent toujours s’attendre à des mesures de répression de la part de l’Etat. D’autres groupes non enregistrés, comme la communauté chrétienne protestante des résidents taïwanais à Shanghai, ne sont pas en mesure de tenir des réunions régulières, malgré le fait que le gouvernement de Shanghai ait autorisé la communauté à fonctionner.

Ces défis et d’autres encore doivent être relevés par les diverses communautés religieuses qui disposent d’une certaine possibilité de pratique religieuse mais qui doivent encore obtenir la reconnaissance de l’Etat en Chine. Ces croyances sont, entre autres, le judaïsme, l’orthodoxie russe, les adventistes du septième jour, la religion bahaï et le mormonisme.

Un problème persistant

Le problème de la reconnaissance par l’Etat est un problème non seulement pour les communautés religieuses mais aussi pour d’autres organismes qui n’appartiennent pas à la sphère publique en Chine. La confirmation formelle de la reconnaissance de l’Etat est l’enregistrement légal. Comme tous les Etats porteurs d’un héritage corporatiste, la Chine demande que toutes les organisations non-étatiques soient enregistrées par l’Etat. Toute activité religieuse non enregistrée est donc illégale et s’expose à des sanctions. Sur le fond, l’enregistrement par l’Etat est un moyen pour celui-ci de contrôler les organisations qui ne sont pas du ressort de la sphère étatique.

Naturellement, l’Etat incite les organisations non-étatiques à s’enregistrer auprès de lui, ce qui leur confère alors une légitimité publique et leur donne accès à des ressources précieuses, contrôlées par l’Etat. La principale raison pour laquelle la reconnaissance de l’Etat, particulièrement l’enregistrement légal, est un problème est que l’Etat chinois et ses agents ont, dans la pratique, rendu excessivement difficile, pour des entités non-étatiques, l’obtention de ce statut.

Parmi les principaux obstacles, on trouve la mise en œuvre d’exigences financières difficiles ou bien encore la réticence des organes de l’Etat à soutenir des organisations non-étatiques.

Il peut sembler contraire à la logique que l’Etat, qui recourt à une limitation par la loi comme outil de contrôle, ait créé ces obstacles. Cependant, ce n’est pas surprenant une fois qu’on a compris que l’Etat a une capacité limitée à gérer les organisations non publiques, et que les organisations publiques sont généralement opposées à apporter leur caution à des organisations non-étatiques, du fait qu’elles sont tenus comptables des actions des organismes non-étatiques qu’elles parrainent.

De plus, les agents de l’Etat peuvent considérer dans la pratique l’absence d’enregistrement comme un moyen utile pour contrôler les organisations non-étatiques, parce que l’Etat peut toujours sévir contre les organisations non-étatiques au prétexte de leur défaut d’enregistrement légal. D’une manière analogue, les agents de l’Etat peuvent s’attendre à ce que le défaut d’enregistrement légal incitera très probablement les groupes non enregistrés à faire preuve de prudence dans leurs activités.

Enregistrement des prétendants ?

Bien que le gouvernement chinois permette à quatre églises de fonctionner pour assurer le service religieux de quelque 15 000 chrétiens orthodoxes environ, cette communauté ne dispose d’aucun clerc à temps plein. De nombreux bâtiments de l’Eglise orthodoxe russe sont maintenus et entretenus comme sites culturels, mais ils ne proposent pas de services religieux. Lorsque le primat de l’Eglise orthodoxe russe, le patriarche Kirill, a visité la Chine en mai 2013 et qu’il a célébré un service religieux à Shanghai, c’était la première fois en cinquante ans qu’un tel service était célébré dans cette ville. Il faut noter que l’absence de statut légal a effectivement empêché la construction de nouvelles églises orthodoxes ou permis que des églises confisquées autrefois retrouvent une affectation à caractère religieux.

Les juifs chinois, au nombre d’un millier environ, descendants des juifs arrivés en Chine il y a plus de 1000 ans, n’ont pas la possibilité de célébrer le culte dans des synagogues. En revanche, les juifs non chinois ont la possibilité d’accéder à des synagogues à Pékin et à Shanghai.

La raison pour laquelle le gouvernement chinois traite les juifs chinois et les juifs non chinois différemment n’est pas très claire. Une explication possible est que les juifs chinois ne sont pas perçus comme un groupe ethnique ou culturel différent (1), alors que le gouvernement chinois veut maintenir la perception, remontant à la seconde guerre mondiale, lorsque le gouvernement chinois a offert à des juifs européens un asile, que la Chine est une nation amie du peuple juif.

L’absence de reconnaissance officielle de l’adventisme en Chine signifie que ses quelque 400 000 fidèles n’ont pas de droit légal sur les biens adventistes. Par exemple, une église adventiste dans la ville de Shenyang, au nord-est de la Chine, dont la fondation était antérieure à 1949, a été détruite parce que le Mouvement patriotique des Trois autonomies (l’instance qui supervise l’activité des protestants reconnus légalement), qui prétend représenter toutes les dénominations protestantes et à ce titre affirmait détenir les droits de propriété sur ce bien immobilier, l’avait vendue à un promoteur immobilier, ainsi que le rapportait China Aid en avril 2013.

Bien que quelques églises adventistes aient été autorisées à de nouveau fonctionner, la majorité des adventistes est censée partager le culte avec d’autres communautés fonctionnant soit au sein des églises autorisées par l’Etat soit au sein d’entités non reconnues.

Pour les croyants de la religion bahaï, l’absence de reconnaissance officielle signifie qu’à peu près 6 000 pratiquants en Chine ne peuvent pas divulguer les lieux où ils pratiquent leurs cérémonies religieuses. De la même façon, les mormons chinois, dans la pratique, exercent leur culte en secret et à l’écart de leurs coreligionnaires non chinois, apparemment selon un accord entre l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours aux Etats-Unis et le gouvernement chinois.

Pour toutes ces communautés religieuses, l’absence de reconnaissance de la part de l’Etat, manifestée par un enregistrement légal, signifie qu’elles fonctionnent en tant qu’entités illégales. Par conséquent, leurs membres et fidèles risquent constamment des mesures de répression.

D’autres types de croyances – comme l’hindouisme, le sikhisme et les témoins de Jéhovah – existent certainement parmi les nombreux ressortissants étrangers travaillant en Chine, tout comme peut-être parmi les habitants locaux, mais, à ce jour, ils n’ont pas de présence visible. Aussi, toute pratique religieuse entreprise par eux dans ces conditions comporte des risques.

Question de taille

Jusqu’à présent, l’Eglise orthodoxe russe a officiellement manifesté son désir que l’Etat chinois reconnaisse une Eglise orthodoxe chinoise autonome (le patriarcat de Moscou lui a accordé l’autonomie en 1956). Le métropolite Ilarion (Alfeyev) de Volokolamsk, chef du département pour les relations extérieures du patriarcat de Moscou, a déclaré à l’agence de presse russe RIA Novosti, le 14 mai 2013, lors de la visite du patriarche Kirill (Cyril) en Chine, que la reconnaissance par l’Etat était le but recherché lors des négociations de l’Eglise orthodoxe russe avec le gouvernement chinois.

En outre, Shlomo Amar, grand rabbin sépharade de l’Etat d’Israël, a pressé la Chine de reconnaître le judaïsme comme religion officielle au cours de sa visite à Shanghai en juin 2006.

Les états-majors basés à l’étranger des Eglises adventiste, bahaï et mormone n’ont pas officiellement exprimé le souhait d’obtenir la reconnaissance de l’Etat en Chine. Mais elles continuent à garder le contact avec les autorités chinoises, y compris les groupes religieux reconnus par l’Etat, ostensiblement dans le but d’obtenir un jour cette reconnaissance.

A titre d’exemple, Ted Wilson, dirigeant de l’Eglise adventiste du septième jour, a précisé en juillet 2010 que son Eglise continuerait à travailler avec le Mouvement patriotique des Trois autonomies (TSPM) et le Conseil chrétien de Chine (CCC), qui sont les instances approuvées par l’Etat pour diriger les affaires des chrétiens protestants en Chine, malgré son affirmation que l’Eglise adventiste « professe des doctrines distinctes » par rapport aux autres confessions chrétiennes protestantes.

Etant donné que la reconnaissance de l’Etat confère des avantages importants, ces communautés religieuses ont clairement de bonnes raisons de poursuivre les démarches pour l’obtenir. Cependant, comment sont-elles susceptibles d’y parvenir ? Plus spécifiquement, quels défis doivent-elles surpasser afin d’obtenir ce statut ? Pour répondre à ces questions, examinons brièvement les circonstances dans lesquelles l’Etat communiste a accordé une reconnaissance officielle au bouddhisme, au catholicisme, au taoïsme, à l’islam et aux chrétiens protestants.

Dans son article intitulé « Positionnement de la religion dans la modernité : Etat et bouddhisme en Chine », paru dans l’ouvrage Making Religion, Making the State, Ashiwa Yoshiko, professeur spécialiste du bouddhisme à l’université japonaise Hitotsubashi, indique que l’Etat communiste chinois, nouvellement en place, a reconnu le bouddhisme, le catholicisme, le taoïsme, l’islam et le protestantisme dans les années 1950 parce que ces religions se fondent sur des caractéristiques modernes, telles qu’un système de pensée tourné vers la vie de l’au-delà, un clergé formé spécialement et des lieux déterminés pour des activités religieuses. Ces traits distinguaient la religion de la superstition et de la croyance populaire, estimaient les dirigeants communistes.

Cependant, Yang Fenggang, professeur à l’université Purdue et expert des questions religieuses en Chine, écrit dans son livre Religion in China que l’Etat communiste a étendu la reconnaissance aux cinq religions parce qu’elles avaient un « effectif massif de fidèles ».

Le judaïsme, l’Eglise orthodoxe, l’Eglise adventiste du septième jour, la religion bahaï et le mormonisme répondraient toutes aux exigences d’une religion moderne, selon les déterminations précisées par le professeur Ashiwa. Cependant, si la taille des effectifs est vraiment un facteur déterminant pour obtenir la reconnaissance de l’Etat, alors, seul l’adventisme serait en mesure de satisfaire à cette exigence. En effet, un article du 15 mai 2013 paru dans le quotidien Global Times, affilié au Quotidien du peuple, mentionnait que la petite taille de l’Eglise orthodoxe en Chine pourrait contrarier son projet d’obtenir la reconnaissance de l’Etat.

Considérations de politique étrangère

Cependant, des indications montrent que d’autres facteurs pourraient avoir joué un rôle dans la décision que l’Etat communiste a prise dans les années 1950, et ces éléments peuvent aider à déterminer le statut politico-juridique futur du judaïsme, de l’orthodoxie russe, de l’adventisme, de la religion bahaï et du mormonisme en Chine, sans parler d’autres croyances qui peuvent être pratiquées en toute discrétion dans la Chine d’aujourd’hui en raison de l’absence de reconnaissance de l’Etat. Les considérations de politique étrangère constituent un de ces facteurs.

En plus de la taille des communautés religieuses en question, le professeur Yang a également noté dans son livre que leurs relations internationales étaient des éléments importants. Pendant l’ère maoïste, qui s’est essentiellement terminée à la mort de Mao Zedong en 1976, l’Etat chinois estimait que les liens que certaines religions entretiennent avec l’étranger des religions pouvaient en faire des instruments subversifs en Chine. Il était donc important de coopter ces religions pour les amener à rompre leurs liens internationaux.

Cependant, comme la Chine est devenue une puissance internationale reconnue, elle est aussi de plus en plus intéressée par les moyens pouvant défendre ses intérêts en politique étrangère. A cet égard, des religions et des groupes religieux peuvent se révéler être des instruments utiles de politique étrangère. De fait, tout en notant la faible présence de l’Eglise orthodoxe en Chine, l’article du Global Times de mai 2013 suggère que l’avenir de l’Eglise orthodoxe en Chine puisse dépendre dans une certaine mesure des considérations de politique étrangère de la Chine vis-à-vis de la Russie.

Bien que les relations de la Chine avec la Russie aient historiquement été difficiles, il n’y a aussi aucun doute que les deux gouvernements travaillent plus étroitement aujourd’hui pour contrer les intérêts des Etats-Unis dans le monde. C’est pourquoi, l’avenir de l’Eglise orthodoxe en Chine peut bien être déterminé par l’avenir des relations sino-russes. En effet, l’article du Global Times fait cette suggestion en remarquant que le métropolite Kirill, dirigeant actuel de l’Eglise russe orthodoxe, a effectué sa première visite en Chine en mars 2006 comme membre de la délégation du président russe Vladimir Poutine. Toutefois, au moins pour l’instant, de telles considérations diplomatiques ne peuvent pas être transposables aux autres communautés religieuses mentionnées dans le présent article.

Il ne s’agit pas de suggérer ici que le gouvernement chinois ne soit plus concerné par l’éventualité que des religions et des groupes de religions deviennent des éléments subversifs agissant pour le compte d’intérêts étrangers. En grande partie, cette préoccupation reste actuelle, comme le prouve la lutte continue du gouvernement chinois contre le Vatican. Il y a donc une raison de croire que le gouvernement chinois puisse élargir la reconnaissance à de nouvelles religions et à des groupes religieux comme un moyen de couper leurs liens internationaux, particulièrement si les objectifs de ces liens internationaux sont perçus comme hostiles aux intérêts chinois.

Cependant, la logique veut que cet élément apparaisse comme une considération de première importance uniquement quand les religions et les groupes religieux atteignent une taille et une influence significative. Cela signifie que l’Etat chinois a peu de motivation à présent pour sérieusement envisager d’étendre une reconnaissance basée sur ce seul facteur.

Un gouvernement réduit

Il est nécessaire de prendre en compte un autre facteur pour comprendre pourquoi est faible la probabilité de voir le gouvernement chinois étendre la reconnaissance à d’autres religions ou groupes religieux dans un avenir proche. Le gouvernement chinois, dont la tête a été renouvelée à l’automne 2012, a lancé une grande campagne pour réduire les interventions excessives du gouvernement, notamment dans l’économie, et pour éliminer les gaspillages liés à l’activité des autorités, ce qui a des conséquences sur ses initiatives pour la lutte sans cesse recommencée contre la corruption. Dans un tel climat politique, le gouvernement n’est pas intéressé par une extension de sa bureaucratie qui viendrait à se produire là où l’Etat étendrait la reconnaissance de nouvelles religions et groupes religieux.

Il faut garder à l’esprit que la pratique usuelle de l’Etat de contrôle des groupes sociaux, y compris les religions, amène à créer des organisations corporatistes ; l’Etat exigerait probablement que des religions nouvellement reconnues, comme le judaïsme et la religion bahaï, soient représentées par un nouvel organisme. Cet ajout s’intégrerait aussi dans l’organisation interne de l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses, l’agence du gouvernement chinois chargée de la gestion des affaires religieuses, ainsi que dans celle du Département du Front uni, organe du Parti communiste ayant notamment la responsabilité de superviser les affaires religieuses.

Compte tenu de la petite taille des religions et des groupes religieux mentionnés ici, le gouvernement chinois a ainsi peu de raison d’envisager de leur étendre une reconnaissance dans un proche avenir.

L’Etat peut ainsi refuser d’étendre une reconnaissance à ces religions et à ces groupes religieux parce que l’absence de statut légal offre à l’Etat une plus grande souplesse pour traiter avec eux, comme cela a été mentionné ci-dessus. L’Etat peut facilement exercer une répression à leur encontre, simplement en notant leur statut illicite, comme il l’a fait à plusieurs reprises avec d’autres organismes de la société civile. A leur tour, ces religions et groupes religieux seront plus prudents pour éviter de provoquer la colère de l’Etat. Autrement dit, le refus d’accorder la reconnaissance de l’Etat peut se révéler être un instrument utile pour le contrôle exercé par l’Etat.

Concurrence inopportune ?

Un autre facteur peut réduire la probabilité que le gouvernement chinois étende sa reconnaissance aux adventistes et dans une moindre mesure aux mormons : l’intérêt des groupes religieux « patriotiques » établis. Bien que l’Eglise adventiste ait affirmé ses différences doctrinales par rapport à d’autres confessions chrétiennes protestantes, elle a été forcée de collaborer avec le Mouvement patriotique des Trois autonomies (TSPM) et le Conseil chrétien de Chine (CCC), qui revendiquent la représentation de toutes les confessions protestantes en Chine.

Le TSPM/CCC donnerait-il son accord pour l’établissement d’un groupe adventiste indépendant ? Qu’est-ce que l’existence d’un groupe adventiste indépendant signifierait pour d’autres confessions qui souhaitent réclamer un statut indépendant ? L’impact potentiellement négatif qu’une Eglise adventiste reconnue pourrait avoir sur les intérêts matériels et la légitimité du TSPM/CCC dans la communauté protestante en Chine ne doit pas être négligé.

La situation pour le mormonisme est sans doute encore plus complexe, en raison de considérations doctrinales et historiques. Enfin, en ce qui concerne le judaïsme, la question, si elle est abordée, va probablement être plus complexe que celle de la reconnaissance de l’Etat pour d’autres groupes religieux. Le professeur Xin Xu, de l’université de Nanjing (Nankin), éminent universitaire chinois spécialiste de l’histoire des juifs et du judaïsme en Chine, a expliqué dans un article publié sur le site Internet jewsofchina.org qu’un certain effort avait été fait dans les années 1950 pour protéger le statut de minorité ethnique des juifs résidant à l’origine à Kaifeng, ville située sur les rives du Fleuve jaune, dans le centre-est de la Chine. Ce statut aurait été accordé en même temps que la reconnaissance officielle de leur religion.

Cependant, l’Etat a déterminé que les juifs de Kaifeng ne parlaient pas une langue spécifique et n’avaient pas d’autres traits culturels propres. Ils n’étaient pas non plus regroupés dans une région particulière. Dans ce contexte et à la lumière de cette histoire, il apparaîtrait que la question de l’appartenance ethnique devrait être abordée si on traite le sujet de la reconnaissance du judaïsme par l’Etat.

Bien sûr, l’Etat a une autre considération essentielle comme cela a été mentionné précédemment : accorder la reconnaissance à certaines communautés religieuses préalablement non reconnues pourrait inciter d’autres groupes religieux ou spirituels à demander la reconnaissance de l’Etat. Bien que l’Etat ne cherche plus l’élimination de la religion de la Chine, la logique veut qu’il n’ait pas intérêt à accorder une légitimité politico-légale à des communautés religieuses supplémentaires pour les raisons mentionnées dans cette analyse.

En résumé, il y a des considérations importantes qui s’opposent à la probabilité de reconnaissance par l’Etat de ces religions et groupes religieux dans un avenir proche.

Intérêt d’Etat et lien d’Etat

Pourtant, bien que ces considérations reflètent des difficultés bien réelles, celles-ci ne sont pas forcément insurmontables. A un niveau plus fondamental, la question est de savoir si et comment l’octroi d’une reconnaissance d’Etat à ces communautés religieuses peut avoir un impact sur les intérêts centraux de l’Etat. Les politiques et les pratiques de l’Etat existantes ont eu des effets négatifs sur la stabilité sociale de la Chine, constamment identifiée par l’Etat comme un de ses principaux objectifs.

Bien que le judaïsme, les chrétiens russes orthodoxes, l’adventisme, la religion bahaï, et le mormonisme ne soient pas des forces sociales majeures en Chine aujourd’hui en termes de taille ou d’influence, ignorer constamment leurs besoins légitimes ne favorisera certainement pas leur attachement à l’Etat. Et l’Etat n’a certainement pas besoin de groupes mécontents ou marginalisés.

Cependant, comme évoqué dans la dernière partie de cette analyse, accorder la reconnaissance à ces religions et à ces groupes nécessite très probablement des changements significatifs dans la politique de l’Etat, ses pratiques et ses structures.

Il serait peut-être plus difficile encore pour les autorités chinoises de permettre à des églises protestantes locales indépendantes ou à des mosquées ou aux églises catholiques qui reconnaissent l’autorité du pape, d’obtenir un statut légal. Il aurait même été plus difficile encore d’autoriser des communautés religieuses à pratiquer ouvertement sans aucune sorte de statut légal, comme ils en ont pourtant le droit selon les engagements internationaux de la Chine en matière de protection des droits de l’homme.

D’éminents experts chinois, des agents du gouvernement et même de hauts responsables politiques à la retraite ont, au fil des années, reconnu les déficiences des politiques et des pratiques actuelles de l’Etat. Cependant, la difficulté de parvenir à un consensus suffisant, interne au Parti, sur les réformes institutionnelles, rend plus vraisemblable le fait que l’Etat évitera de prendre toute décision sur cette question de reconnaissance de nouveaux groupes religieux, tant les effets à long terme peuvent être pernicieux.

En attendant, pour les religions et les groupes religieux en question, une profonde réflexion est nécessaire pour déterminer si l’établissement de liens officiels avec l’Etat est vraiment bénéfique pour eux. Bien que la reconnaissance de l’Etat leur permettrait de participer à des activités religieuses régulières dans des lieux permanents, ils perdraient ainsi de leur mobilité et de leur dynamisme, pris au piège par la machinerie bureaucratique de l’Etat en étant représentés par des organisations religieuses reconnues par l’Etat et par la pratique du culte dans des lieux bien spécifiés.

Plus important même, une fois obtenu un statut légal, ils pourraient ne pas avoir la capacité à résister à la bureaucratisation et la politisation de leurs célébrations. Ces considérations et d’autres ne sont certainement pas des raisons mineurs de préoccupation pour toutes les communautés religieuses intéressées à sécuriser leur existence et à promouvoir leur croissance dans la Chine d’aujourd’hui.