Eglises d'Asie

Les Eglises demandent à l’ONU de stopper « le génocide en cours » des populations tamoules

Publié le 24/02/2013




A la veille de l’ouverture de la 22ème session de la Commission des droits de l’homme qui se tiendra à Genève du 25 février au 22 mars prochains, 130 responsables catholiques et protestants du Nord et de l’Est du Sri Lanka ont lancé un appel à l’ONU, lui demandant d’intervenir avant « le total anéantissement du peuple tamoul ».

Cette lettre ouverte des Eglises chrétiennes a été rendue publique alors qu’un documentaire vient d’apporter de nouvelles preuves des exactions commises par l’armée sri-lankaise envers les civils pendant la dernière phase du conflit entre Colombo et les Tigres tamouls(1).

Le document envoyé aux Nations Unies est signé par l’évêque de Mannar, Mgr Rayyappu Joseph, ainsi que par 132 prêtres, religieux et religieuses chrétiens, dont un grand nombre font partie des Commissions ‘Justice et Paix’ des diocèses catholiques de l’île. L’évêque, dont le combat en faveur des populations tamoules lui vaut des menaces et des intimidations répétées du gouvernement sri-lankais, avait déjà, il y a un an, lancé un appel aux Nations Unies (qui n’avait alors été suivi que de 30 signataires), alertant la communauté internationale sur les « violations des droits de l’homme » dans les zones tamoules et demandant à l’ONU de faire pression sur le gouvernement de Mahinda Rajapaksa pour qu’il « mette en oeuvre le processus de réconciliation » et accepte que soit menée une enquête indépendante et internationale sur les crimes de guerre dans le pays.

Mais cette dernière lettre, publiée lundi 18 février, est plus alarmante que la précédente, avertissant les Nations Unies qu’un véritable « génocide des populations tamoules » est en cours au Sri Lanka : « L’assassinat et la disparition de dizaines de milliers de civils tamouls ainsi que les tentatives de destruction systématique de la culture, de la langue et de la religion des populations des régions du Nord et de l’Est de l’île, semblent avoir pour but ultime d’anéantir totalement le peuple tamoul. »

Les violations des droits de l’homme, déjà dénoncées auparavant, se poursuivent en toute impunité, dénonce encore le texte des responsables religieux. Aucune des recommandations de la Commission nationale pour la réconciliation (2), pourtant sous contrôle du gouvernement Rajapaksa, n’a été respectée, et encore moins les préconisations accompagnant la résolution de l’ONU votée en mars 2012, constatent également les responsables chrétiens, rejoignant les conclusions de différentes organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch ou encore International Crisis Group (3) qui viennent de rendre leurs rapports ces jours-ci.

« Le gouvernement s’était engagé à libérer les prisonniers politiques, nommer une commission d’enquête indépendante, indemniser les civils tamouls, réinstaller les déplacés, restituer les terres confisquées par les militaires, stopper la campagne de répression et de cinghalisation dans les territoires du Nord, permettre aux populations locales de pratiquer leur religion et de commémorer leurs morts, mais rien n’a changé », accuse l’un des signataires qui préfère garder l’anonymat.

Au contraire, poursuit-il, les violations des droits de l’homme ont augmenté au cours de l’année écoulée et de nombreux militants, ainsi que des journalistes, religieux, étudiants ou avocats ont été victimes de harcèlement, d’emprisonnement illégal, voire de torture et d’exécutions extrajudiciaires de la part des forces de l’ordre, de l’armée et des représentants de l’Etat. « Certains d’entre nous, qui font partie des victimes en question, ont préféré ne pas signer la lettre par crainte de représailles », peut-on également lire dans la lettre des 133 responsables religieux.

Les signataires sont en effet parfaitement conscients que leur lettre risque de déclencher les foudres du gouvernement. « L’année dernière, rapporte l’un d’entre eux, le P. S Anpurasa, ceux qui avaient osé critiquer le gouvernement ou demandé l’aide des Nations Unies ont été arrêtés, menacés et agressés par les représentants du gouvernement. » Dès la publication de l’appel aux Nations Unies de 2012, le parti bouddhiste Jathika Hela Urumaya (JHU), membre de la coalition au pouvoir, avait accusé Mgr Rayappu Joseph de « complot contre l’Etat » et exigé l’arrestation et l’emprisonnement immédiat de l’évêque de Mannar et des 30 signataires.

La résolution de l’ONU votée en 2012 au sujet du Sri Lanka n’ayant « pas abouti », les Eglises demandent qu’une nouvelle résolution, cette fois « forte et ciblée », soit prise par la 22ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et que soit décidé « l’envoi d’une commission internationale au Sri Lanka pour enquêter sur les violations des droits de l’homme passées et présentes ».

Le gouvernement Rajapaksa commençait à peine à exprimer son indignation au sujet de la lettre des évêques que le 19 février, soit le lendemain, étaient rendues publiques des photos montrant que l’armée sri-lankaise avait exécuté de sang-froid un enfant de 12 ans, le fils de Villupilai Prabhakaran, leader des Tigres tamouls, en mai 2009.

Ces clichés, tirés du documentaire « No War Zone: The Killing Fields of Sri Lanka », réalisé par Callum Macrae pour la télévision anglaise Channel 4, montrent Balachandran Prabhakaran d’abord en vie dans un camp retranché de l’armée sri-lankaise puis, quelques heures plus tard, mort sur le sable, abattu de cinq coups de feu tirés à bout portant, une exécution que Colombo avait toujours nié. Selon les experts, l’analyse digitale des images ne laisse aucun doute quant à l’authenticité et à la datation des clichés qui ont été pris par le même appareil, probablement par les soldats sri lankais comme « trophée de guerre ».

« Ces nouvelles photos revêtent une importance particulière car elles prouvent que Balachandran n’a pas été tué par des tirs croisés, ou au cours d’une bataille. Sa mort était délibérée et calculée », explique au quotidien indien The Hindu le réalisateur, qui a mené trois ans d’enquête sur la dernière phase de la guerre civile au Sri Lanka. « Les photos fournissent des détails effrayants sur les circonstances de son assassinat et obligent le gouvernement du Sri Lanka à répondre à de nouvelles questions sur la manière systématique dont semblent s’être déroulées les exécutions à la fin de la guerre. » 

Ce documentaire, qui sera projeté lors de la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, accable encore davantage Colombo, qui avait échoué l’année précédente à invalider l’authenticité de photos montrant des exécutions de masse de civils tamouls par l’armée sri-lankaise. Ces dernières avaient été présentées à l’appui du rapport des experts mandatés par l’ONU pour enquêter sur les allégations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité lors de la guerre civile.

(eda/msb)