Eglises d'Asie

Mindanao : les humanitaires catholiques kidnappés par Abu Sayyaf ont été relâchés

Publié le 08/11/2013




Le 4 septembre dernier, Frederick Banot et Cherben Masong, deux travailleurs humanitaires catholiques travaillant comme instituteurs auprès des enfants aborigènes badjaos sur l’île de Basilan, dans l’extrême sud des Philippines, avaient été enlevés par un groupe d’hommes armés. L’enlèvement n’avait pas été revendiqué mais le groupe Abu Sayyaf (1)…

… avait été immédiatement soupçonné, avant que les premières tentatives de négociations pour la libération des otages ne confirment l’identité des ravisseurs.

Les victimes, qui viennent d’être relâchées, ont évoqué auprès de l’agence Ucanews leurs dures semaines de captivité au sein de l’organisation terroriste, assurant que « seule la foi leur avait permis de tenir durant cette épreuve ».

L’île de Basilan est située dans la Région autonome musulmane de Mindanao (ARMM), zone en proie à la violence armée depuis plus de quarante ans. Malgré les récents accords signés entre Manille et le MILF, l’un des principaux acteurs de la rébellion moro, l’insécurité continue de régner dans la partie sud de l’archipel philippin. Le mois précédant l’enlèvement des deux humanitaires, d’autres attaques contre des enseignants travaillant pour des écoles publiques comme privées dans la région de Mindanao avaient coûté la vie de plusieurs personnes.

Agés respectivement de 24 et 25 ans, Frederick Banut et Cherben Masong travaillent pour Charity Children Foundation (CCFI), une ONG catholique dépendant de la congrégation espagnole des clarétains (Missionnaires Fils du Cœur Immaculé de Marie) Ce n’est pas la première fois que les clarétains sont la cible de militants armés : en 2000, des membres d’Abu Sayyaf avaient tué le P. Rhoel Gallardo à l’issue de six semaines de prise d’otages concernant quatre enseignants et 22 étudiants de la Claret School sur l’île de Basilan.

Les deux jeunes volontaires racontent que le soir de leur kidnapping, ils dînaient avec deux de leurs élèves dans une cabane au bord de la mer lorsque d’un bateau à moteur descendirent une douzaine d’hommes « habillés comme des policiers et portant de longues barbes ». Les hommes firent irruption dans la cabane demandant « où était le prêtre » en tausog, langue de la province de Sulu (où se trouve le quartier général d’Abu Sayyaf). Les deux enseignants répondirent qu’il n’y avait pas de prêtre avec eux, mais ils furent immédiatement menottés et traînés vers le bateau, d’un modèle appelé jungkung dans la région.

Ignorant les raisons de leur kidnapping, les ravisseurs refusant de répondre à leurs questions, les deux jeunes gens crurent qu’« [ils] allaient mourir ». L’un d’entre eux, Frederick, raconte avoir empêché l’un des hommes armés de lui arracher la croix qu’il avait autour du cou en la jetant lui-même à la mer.

Après six heures de voyage, les deux enseignants sont débarqués dans le village de Talipo, dans la province de Sulu, où ils sont remis à un autre groupe armés. Là, les deux otages sont séparés et durement questionnés par les ravisseurs qui veulent savoir combien ils pourraient retirer de leurs rançons. Ils subissent ensuite des menaces et des séances d’endoctrinement afin de se convertir à l’islam et de devenir « moudjahidin » (‘combattant pour l’islam’). On demande à Frederik de se marier avec l’une des femmes combattantes du groupe. Comme il refuse, il est sévèrement battu : « Je leur ai dit qu’ils pouvaient me tuer mais que jamais je ne renoncerai à ma foi. »

Quant à Cherben, il a surtout été marqué durant sa captivité par les violentes scènes de ménage entre le chef du groupe et sa femme, dans la maison desquels il était gardé prisonnier. « Une fois, parce qu’il était en colère contre elle, il a sorti son arme et a tiré sur le sol ; je me suis enfui de la maison, terrorisé ! », raconte-il, rétrospectivement amusé.

Frederick et Cherben sont restés captifs durant 43 jours avant que leur libération ne soit négociée, le 18 octobre dernier. Aucun détail n’a filtré sur les conditions de la libération des deux hommes.

Leurs amis et leurs proches ont conseillé aux deux volontaires de quitter Basilan mais tous deux ont refusé. « J’ai appris à aimer mon travail ainsi que cette part de défi et d’aventure, explique Charben, et de plus, j’ai appris à aimer le peuple badjao. »

« Je pense que j’ai encore beaucoup de chose à faire pour Dieu », témoigne de son côté Frederick, qui souhaite lui aussi poursuivre son travail au sein de l’Eglise et auprès des « gitans de la mer » (badjaos) à Basilan. « Avoir notre vie menacée, c’est normal, surtout si nous montrons notre attachement à suivre le Christ », déclare-t-il, ajoutant que malgré le douloureux souvenir de sa captivité, il continuera à prier pour ses ravisseurs « afin qu’ils reçoivent la lumière parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Des habitants de Zamboanga ont rapporté à Ucanews avoir reconnu le bateau à bord duquel les deux enseignants avaient été enlevés comme appartenant à la flottille qui avait débarqué quelque 300 rebelles du Front moro de libération nationale (MNLF) pour attaquer leur ville le 9 septembre dernier. Cette attaque avait fait au moins 200 morts, déplacé 200 000 personnes et détruit plus de 10 000 maisons, avant que les forces armées philippines ne viennent à bout des rebelles retranchés dans Zamboanga.

Dans cette région de conflit permanent, des liens étroits perdurent entre les groupes terroristes locaux et la résistance moro, dont une faction (le Front moro de libération islamique – MILF) a cependant signé avec Manille des accords négociant la fin des hostilités. Paradoxalement, dans de nombreuses affaires d’enlèvements et de prises d’otages, le MNLF et le MILF servent très régulièrement d’intermédiaires entre le gouvernement et les groupes armés du sud-philippin, comme cela a été le cas ici pour Frederick Banot et Cherben Masong,

(eda/msb)