Eglises d'Asie

L’évêque du diocèse catholique de Mannar appelle au boycott du Sommet du Commonwealth

Publié le 08/11/2013




Ce vendredi 8 novembre, Mgr Rayappu Joseph, évêque du diocèse catholique de Mannar, a appelé la communauté internationale à boycotter la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (CHOGM – Commonwealth Heads of Government Meeting), qui se tiendra à Colombo du 15 au 17 novembre prochains.

« [Ce sommet] est utilisé pour renforcer la légitimité du gouvernement sri-lankais comme membre responsable de la communauté internationale », explique Mgr Joseph, évêque d’un diocèse situé dans la région Nord du pays, en zone majoritairement peuplée par des Tamouls. Il poursuit en ces termes : « Etant donné la continuation des actes génocidaires perpétrés contre le peuple tamoul, mon opinion bien réfléchie est que Colombo ne peut pas être un lieu approprié pour accueillir le CHOGM. J’estime de plus que la tenue de ce sommet à Colombo contrevient aux valeurs inscrites dans la Charte du Commonwealth. » Il conclut en écrivant qu’il soutient l’invitation faite par le ministre-président de la région Nord, C. V. Wigneswaran, au Premier ministre indien de se rendre en visite dans les régions tamoules du Sri Lanka, mais en précisant que cela ne doit pas « être interprété comme une invitation au Premier ministre indien à participer [au sommet du Commonwealth] ».

L’appel au boycott de l’évêque catholique fait suite à la publication d’un rapport, le 18 octobre dernier, de la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Jaffna, également situé en région majoritairement tamoule, qui détaillait les très nombreuses atteintes aux droits de l’homme commises à l’encontre des Tamouls et dénonçait la politique menée par Colombo dans les régions tamoules.

Ces prises de position des diocèses tamouls de l’Eglise catholique au Sri Lanka interviennent alors que le climat se tend à l’approche du sommet du Commonwealth à Colombo. Une délégation londonienne de l’IBAHRI (International Bar Association’s Human Rights Institute), qui devait prendre part à un colloque organisé dans la capitale sri-lankaise sur le thème : « Making Commonwealth Values a Reality : the Rule of Law and the Independence of the Legal Profession », s’est vue signifiée, le 6 novembre, l’annulation des visas que ses membres avaient pourtant reçus en août dernier. « En interdisant la venue de la délégation de l’IBAHRI, le gouvernement sri-lankais montre au monde sa détermination à bloquer la liberté d’expression et toute discussion libre sur l’avenir du pays », a réagi l’association d’avocats.

Au sein même des 53 membres du Commonwealth, les tensions sont fortes. Le 7 octobre, Stephen Harper, Premier ministre du Canada, a annoncé qu’il ne participerait pas au sommet de Colombo pour protester contre l’inaction des autorités locales face aux violations des droits de l’homme. Deux jours plus tard, le ministre sri-lankais des Affaires étrangères, G. L. Peiris, jugeait « hors de propos » la déclaration canadienne et affirmait que le Commonwealth « n’était pas un forum où pouvait se faire le procès des problèmes des autres ». « Tous les pays ont des problèmes, mais ces affaires doivent être résolues par les gouvernements en accord avec les aspirations de leurs peuples », a-t-il fait valoir, soulignant que tous les autres membres de l’organisation allaient participer à la rencontre, ce qui montre, selon lui, « l’isolement » d’Ottawa.

Un isolement qui n’est toutefois pas aussi total que veut le croire Colombo. L’Inde en effet n’a toujours pas décidé si elle serait représentée au sommet du Commonwealth par son Premier ministre Manmohan Singh. New Delhi se trouve sous la pression notamment des partis politiques du Tamil Nadu, qui demandent le boycott du sommet. Ailleurs, sur la scène internationale, des personnalités comme Mgr Desmond Tutu ou des organisations comme Amnesty International font campagne en faveur du boycott pour, expliquent-elles, sanctionner un bilan désastreux en matière de respect des droits de l’homme, y compris depuis la fin des hostilités armées.

Depuis la fin de la guerre en 2009 et l’écrasement par les forces armées de Colombo des Tigres tamouls, les armes se sont effectivement tues dans l’île, marquant la fin d’un conflit armé de près de 30 ans et qui a fait environ 100 000 morts, dont plusieurs dizaines de milliers dans ses derniers mois. Mais la défiance qui existe entre la minorité tamoule et les forces de sécurité gouvernementales ne s’est absolument pas amoindrie. Au contraire, le refus du président Mahinda Rajapaksa de permettre des enquêtes indépendantes et crédibles sur les crimes de guerre commis durant le conflit ne fait qu’exacerber le ressentiment des populations tamoules du nord de l’île.

« Après la guerre, les attentes vis-à-vis du gouvernement étaient très fortes. Les gens attendaient que le retour à la paix débouche sur la réconciliation. Mais ces attentes ont été déçues. On ne voit aucun signe de réconciliation », explique le P. Regno, directeur de HUDEC Jaffna, le bureau d’action sociale du diocèse catholique de Jaffna.

Selon lui, la politique de développement économique mise en place au profit des régions qui ont été le théâtre des combats est « une façade ». L’injonction du gouvernement « Road to reconciliation » est prise au pied de la lettre, ironise même le prêtre, qui dénonce des investissements tournés exclusivement vers la réfection des routes tout en faisant l’impasse sur la demande des Tamouls pour l’autonomie et la reconnaissance des crimes commis.

Pour qui circule aujourd’hui dans la région de Vanni, zone peu peuplée qui longtemps fut le bastion des Tigres tamouls, le changement est visible : des agences bancaires ouvrent, des commerces apparaissent, des panneaux publicitaires pour téléphone portable surgissent. Mais les Tamouls de la région Nord ressentent mal le fait que l’armée soit toujours aussi omniprésente, que des Cinghalais montent du Sud pour occuper les emplois qualifiés, que les formulaires de l’administration ne soient pas bilingues ou bien encore que les très nombreux terrains autrefois saisis pour « impératif de sécurité » ne soient pas rendus à leurs propriétaires, souligne le P. Regno.

Plus encore, le harcèlement policier et les violations des droits de l’homme continuent. « Il ne suffit pas d’avoir du riz et du curry, précise Eran Wickramartne, député cinghalais appartenant à l’UNP (United National Party), parti de l’opposition au Parlement. Il faudrait que les idées, les propositions, la langue, la culture, la dignité de l’autre soient respectées. Or je pense que le gouvernement n’est pas prêt à cela. »

« La population est toujours traitée avec suspicion », ajoute Paikiasothy Saravanamuttu, directeur du Center for Policy Alternatives à Colombo. Les gens doivent informer les militaires lorsqu’ils organisent une sortie scolaire ou un événement sportif. Chaque regroupement de personnes est « a priori suspect » et, dans la pratique, tout rassemblement de plus de cinq personnes est interdit, sauf à ce qu’il se déroule en présence d’un militaire, ajoute ce chercheur.

Quant à ceux des Tamouls qui sont soupçonnés d’avoir appartenu aux Tigres ou d’avoir entretenu des liens avec le LTTE, la surveillance de l’armée est constante. Des cas de disparition ont été documentés par les organisations de défense des droits de l’homme. Il est aussi rapporté que les femmes sont la cible de viols à l’occasion des contrôles de police ou de l’armée.

Sans solution politique comprenant de véritables mesures d’autonomie pour les régions du Nord et de l’Est à dominante tamoule, la paix ne sera pas durable, soulignent nombre d’observateurs indépendants. Sous les pressions de la communauté internationale, Colombo a bien accepté que, le 21 septembre dernier, se tiennent les élections pour le Conseil du Nord. Et, en dépit des multiples intimidations du pouvoir central, le parti tamoul, la Tamil National Alliance, a raflé 30 des 38 sièges en jeu, mais les discussions autour du 13ème amendement, qui permettrait de donner de réels pouvoirs aux conseils régionaux, n’aboutissent pas. « Tout doit être approuvé par le gouverneur », explique Thevanayagam Premanand, directeur du journal tamoul Udthayan à Jaffna. « Sans le blanc-seing du gouverneur, [le Conseil du Nord] ne peut pas voter de loi », précise-t-il.

Colombo ne montre aucun signe indiquant qu’il serait prêt à accepter un certain degré de décentralisation du pouvoir. « Ils pensent que si vous donnez au Nord des pouvoirs de police ou un contrôle sur les terres, ils [les Tamouls] vont s’enfuir avec ! », explique Paikiasothy Saravanamuttu, du Center for Policy Alternatives. Le pouvoir central n’a qu’un seul objectif : renforcer son autorité pour se garantir le soutien de la population cinghalaise et bouddhiste, poursuit encore ce chercheur. Dans ce contexte, la tenue du sommet du Commonwealth à Colombo, même si elle redonne une visibilité à ceux qui dénoncent le refus du pouvoir en place de reconnaître sa responsabilité dans les abus commis durant la guerre et depuis, constitue en soi un succès pour le président Rajapaksa.

Pour le P. Regno, les Tamouls ont peu de raison aujourd’hui de se montrer optimistes. « Sans une solution politique, nous n’avons pas d’avenir », conclut-il.

(eda/ra)