Eglises d'Asie

Des religieux musulmans réclament la peine de mort pour les auteurs de fausses accusations de blasphème

Publié le 20/09/2013




Dans le cadre de la controverse qui agite le Pakistan depuis des années sur la question de la loi anti-blasphème et de ses abus (1), un projet d’amendement va être prochainement soumis au Parlement par un groupe de religieux musulmans participant au processus législatif. Sans remettre en cause la loi elle-même, il propose que les auteurs de fausses accusations de blasphème soient sanctionnés par la peine capitale.

Cette proposition d’amendement de la loi anti-blasphème a été décidée à l’issue d’une longue séance de débats au sein du très officiel Council of Islamic Ideology (CII), qui a pour rôle de vérifier la compatibilité des lois présentées au Parlement avec la charia islamique.

A l’issue de cette réunion, qui s’est tenue à Islamabad mercredi 18 septembre, Allama Tahir Ashrafi, membre du CII et président du Conseil des oulémas du Pakistan, a déclaré à la presse qu’« ayant pris acte des suggestions des militants des droits de l’homme et des membres de la société civile, tous les membres du Conseil étaient tombés d’accord » sur le fait que de fausses accusations de blasphème constituaient un blasphème en soi, et devaient donc être punies de la même façon que les blasphèmes contre le prophète Mahomet, c’est-à-dire par la peine de mort.

« Cet amendement permettra de s’assurer que personne n’utilisera la religion à des fins personnelles », a conclu Allama T. Ashrafi, ajoutant ces nouvelles dispositions « réduiraient au silence par la même occasion les détracteurs de la loi anti-blasphème ».

La demande du Council of Islamic Ideology, si elle a pu en surprendre certains – les membres du groupe étant connus pour leur intransigeance au sujet de la loi anti-blasphème -, est à replacer dans le contexte des récents scandales qui ont terni la réputation de plusieurs leaders islamistes convaincus par la Justice d’avoir accusé faussement de blasphème des innocents, lesquels ont été emprisonnés et, pour certains, condamnés à mort. Lors de ces affaires, l’attitude du CII avait été vivement critiquée par la communauté internationale et les défenseurs des droits de l’homme.

De plus, le groupe des religieux musulmans a subi récemment un tir nourri de critiques à la suite d’un procès très médiatisé en mai dernier. Le CII avait choqué le pays en refusant que, dans les cas de viol, les tests ADN soient considérés comme une preuve dite « de première main », s’en tenant à l’application stricte de la charia qui ne reconnaît la culpabilité de l’accusé que si la victime peut produire quatre témoins « fiables » ayant assisté au viol.

Mercredi dernier, après l’annonce du projet d’amendement pour l’application de la peine de mort aux auteurs de fausse dénonciation comme aux blasphémateurs, les membres du Conseil sont revenus rapidement sur le sujet du procès pour viol. Affirmant avoir été mal compris, ils ont précisé qu’ils acceptaient que les tests ADN puissent être considérés comme des preuves « supplémentaires » concernant un viol, ajoutant cependant qu’ils maintenaient la nécessité, en tout premier lieu, qu’il y ait bien quatre témoins du viol.

« Je dédie cet amendement à tous ceux, y compris Salman Taseer et Shahbaz Bhatti, qui se sont battus pour la Vérité », a terminé Allama T. Ashrafi lors du point presse du 18 septembre. Nul doute que cette dernière remarque a dû en interloquer plus d’un, Salman Taseer et Shabbaz Bhatti ayant justement été assassinés par des partisans de la loi anti-blasphème, alors que tous deux essayaient d’obtenir de l’Etat qu’elle soit abolie…

Le All Pakistan Minorities Alliance (APMA), l’une des organisations rassemblant les minorités religieuses du pays, a cependant salué cependant la « recommandation » du CII comme  « une avancée positive ». « Nous sommes engagés depuis longtemps dans une lutte pour qu’il soit mis fin définitivement aux abus et dérives de la loi anti-blasphème ; c’est une bonne chose qui vient de se produire », a commenté le président de l’APMA, Paul Bhatti, frère du ministre des Minorités assassiné.

Enfin, la décision du CII a, selon les observateurs sur place, certainement beaucoup à voir avec le dernier épisode d’une affaire qui a eu un retentissement international ; celle de la jeune Rimsha Masih, adolescente chrétienne de 14 ans illettrée et retardée mentalement, faussement accusée de blasphème par un imam.

La jeune fille, accusée d’avoir brûlé des pages du Coran par l’imam de la mosquée de Mehrabad, Hafiz Mohammed Khalid Chishti, avait été arrêtée en août 2012 et détenue plusieurs semaines dans l’attente d’une condamnation à la prison à vie, si elle était reconnue coupable. Bien qu’après enquête, la justice ait abandonné les charges contre elle en novembre dernier, elle avait dû trouver refuge au Canada avec sa famille, sa vie étant menacée par les islamistes. L’affaire avait rebondi lorsqu’il avait été avéré que l’imam avait non seulement mobilisé une foule de fidèles et la police pour faire arrêter Rimsha mais avait également falsifié les soi-disant pages brûlées du Coran, dans le seul but de faire expulser les chrétiens du quartier. Hafiz M K. Chishti avait donc été arrêté et accusé à son tour de blasphème pour avoir profané le Coran.

Mais fin août dernier, l’imam a été acquitté « faute de preuves », les témoins s’étant tous retirés au moment du procès. Le CII avait pourtant au moment de l’arrestation de Hafiz Chishti réclamé une « enquête transparente et approfondie » sur l’affaire et demandé que « la plus grande sévérité soit appliquée aux auteurs de fausses accusations de blasphème ».

Ces derniers temps, plusieurs procès ont démontré l’augmentation des cas d’accusations de blasphème, mais surtout des nombreux détournements de la loi par des dénonciations mensongères. A plusieurs reprises, les tribunaux du pays ont innocenté des victimes et dénoncé l’origine douteuse des accusations de blasphème, comme les règlements de comptes entre communautés ou la volonté d’un propriétaire de procéder à l’expulsion de familles pauvres.

Le cas d’Asia Bibi, chrétienne et mère de quatre enfants, condamnée à mort pour blasphème en 2010 et qui attend toujours l’issue de son procès en prison, est devenu le symbole de toutes les victimes de cette loi et le fer de lance de la campagne internationale en faveur de son amnistie et de l’abolition de la loi anti-blasphème au Pakistan.

Selon différentes sources locales, près de 40 personnes sont actuellement dans les geôles pakistanaises pour blasphème : plus d’une quinzaine d’entre elles se trouvent dans les couloirs de la mort dans l’attente de leur exécution et plus d’une vingtaine d’autres purgent une peine de prison à perpétuité.