Eglises d'Asie

L’évêque catholique de Mannar menacé d’arrestation par le parti bouddhiste au pouvoir

Publié le 08/03/2012




Mgr Rayappu Joseph, évêque de Mannar, suivi par une trentaine de prêtres, a lancé un appel aux Nations Unies leur demandant de faire pression sur le gouvernement sri-lankais afin qu’il reconnaisse ses crimes de guerre. Une initiative qui a fortement irrité le parti bouddhiste nationaliste Jathika Hela Urumaya (JHU), membre de la coalition au pouvoir, … 

 … lequel a demandé l’arrestation de l’évêque catholique.

Le 1er mars, l’évêque de Mannar, un diocèse situé dans la partie tamoule de l’île, a signé avec trente autres prêtres issus de différentes parties du Sri Lanka, une lettre adressée au Conseil des droits de l’homme de l’ONU (UNHRC) qui siège actuellement à Genève pour sa 19ème session (du 27 février au 23 mars). Dans cet appel, il a demandé aux Nations Unies d’intervenir auprès du gouvernement de Mahinda Rajapaksa afin que ce dernier « assure la protection des droits de l’homme » et « mette en œuvre le processus de réconciliation ».

Ce courrier faisait suite à une déclaration du cardinal Ranjith, archevêque de Colombo et président de la Conférence épiscopale du pays, qui avait violemment critiqué la présentation d’une résolution à l’ouverture de la session de Genève le 27 février dernier, concernant les crimes de guerre commis par le gouvernement du Sri Lanka et les forces rebelles durant la guerre civile (1). Dans une déclaration datée du même 27 février, le cardinal s’était élevé au nom de l’Eglise catholique du Sri Lanka contre « une démarche des puissances occidentales qui était une insulte à l’intelligence du peuple sri-lankais ». Mgr Ranjith avait qualifié le projet de l’ONU d’« ingérence dans la souveraineté du pays » et avait prôné la poursuite des investigations par la Lessons Learned and Reconciliation Commission (LLRC) instituée par le président sri-lankais, ainsi que l’application des recommandations de cette dernière.

Le projet de résolution actuellement étudié à Genève s’appuie sur un rapport rendu en avril 2011 par un groupe d’experts mandatés par l’ONU portant des allégations crédibles de crimes de guerre et crimes contre l’humanité imputables aux forces gouvernementales ainsi qu’aux Tigres tamouls, et recommandant une enquête internationale et indépendante. Colombo ayant fermement rejeté toute « immixtion de puissances étrangères dans les affaires intérieures du Sri Lanka » et ayant affirmé sa volonté de faire mener sa propre enquête par la LLRC, la Haut Commissaire aux droits de l’homme Navi Pillay avait déclaré en septembre 2011 qu’« à moins qu’il n’y ait un changement complet d’attitude de la part du gouvernement sri-lankais, qui a jusqu’à maintenant été dans un déni total et a couvert l’impunité, une enquête internationale à part entière serait clairement nécessaire ». La parution en décembre dernier du rapport de la LRRC n’avait fait que confirmer les craintes des défenseurs des droits de l’homme, la commission gouvernementale blanchissant sans grande surprise l’armée sri-lankaise de toute accusation de crimes de guerre.

Ces derniers jours, de nombreux médias sri-lankais, tel le Tamil Guardian dans son édition du 6 mars, ont souligné que l’appel lancé à l’ONU par une partie du clergé catholique mené par un évêque connu pour son combat en faveur des droits des Tamouls (2), en désavouant le chef de l’Eglise sri-lankaise, d’origine cinghalaise, révélait le fossé ethnique qui semblait s’être creusé au sein des catholiques, lesquels comptent un tiers de Tamouls pour deux tiers de Cinghalais.

« Nous nous exprimons en tant que communauté chrétienne du nord du Sri Lanka, qui a été gravement affectée par la guerre et a toujours travaillé à aider la population de la région, déclarent les signataires dans leur texte adressé à l’UNHRC. Etant donné le refus constant du gouvernement sri-lankais de reconnaître la réalité et l’étendue des abus commis durant le conflit, de venir en aide aux populations qui font face à de graves difficultés dans cette situation d’après-guerre et d’admettre la gravité des crimes commis ainsi que leur responsabilité dans ceux-ci, nous pensons qu’un organisme international et indépendant saurait mieux traiter ces questions, et faire toute la vérité sur les faits, les responsabilités et la réparation qui sont dus aux victimes […] comme aux survivants et leurs familles. »

Les 31 membres du clergé donnent ensuite des exemples récents de violation des droits de l’homme dans les territoires du nord, comme des disparitions, des exécutions, des arrestations arbitraires et diverses discriminations à l’encontre de la population tamoule. Selon les ONG présentes sur le terrain, il y aurait, malgré les affirmations de Colombo sur « l’achèvement de la réhabilitation », plus de 200 000 déplacés encore entassés dans les camps, 39 000 veuves de guerre sans ressources et avec charge de famille, et au moins 12 000 personnes portées disparues. Récemment, des rapports d’International Crisis Group (ICG), de Human Rights Watch et d’Amnesty International ont dénoncé « les exécutions extrajudiciaires et les disparitions qui ne cessent d’augmenter » en zone tamoule, ainsi que le maintien de la présence militaire et l’application de lois anti-terroristes permettant notamment la confiscation des terres, des faits régulièrement dénoncés par le clergé catholique du nord du pays.

Reconnaissant que la commission officielle avait « bien identifié les crimes commis par les rebelles tamouls » et « émis des suggestions positives pour la réconciliation », les signataires de l’appel font remarquer qu’elle a en revanche évité de s’attaquer à « la recherche de la vérité et de la responsabilité [dans ces crimes] et ce, malgré la présence de preuves et de témoignages incontestables ». Ils demandent donc aux Nations Unies d’intervenir auprès de Colombo afin que soient appliquées les préconisations de la LLRC – dont la réalisation effective sera vérifiée par l’UNHRC lors de ses prochaines sessions –, et surtout qu’un organisme international et indépendant soit chargé de traiter les aspects du dossier des crimes de guerre éludés par la LLRC. « Aujourd’hui, nous demandons au Conseil d’agir de façon décisive auprès du Sri Lanka, afin que les populations puissent commencer leur travail de réconciliation », conclut la lettre adressée au Conseil des droits de l’homme.

Dès la parution de cette lettre, le cardinal Ranjith a dénoncé vigoureusement l’appel des 31 membres du clergé, et affirmé qu’il ne représentait pas le point de vue de l’Eglise catholique au Sri Lanka. Quant au Jathika Hela Urumaya (JHU), parti bouddhiste nationaliste membre de la coalition United People’s Freedom Alliance (UPFA) dirigée par Mahinda Rajapaksa, il a accusé Mgr Rayappu Joseph de complicité avec les séparatistes tamouls et demandé des sanctions immédiates pour ces propos anti-gouvernementaux. Le mardi 6 mars, le parti bouddhiste, dont les démêlés avec l’Eglise catholique sont récurrents, a appelé à l’arrestation et à l’emprisonnement immédiat de l’évêque de Mannar et des 30 signataires.