Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – Le lucratif business de la Bible Amity
Publié le 31/12/2013
Lorsque le jeune Liu Lei, âgé de 18 ans, décrocha son premier travail dans une imprimerie de Nankin (Nanjing), il y a aujourd’hui vingt-sept ans, il était loin d’imaginer qu’il serait un jour aux commandes de la plus importante entreprise d’impression de bibles au monde, et à la tête d’un colossal réseau mondial.
C’est tout juste sorti de l’école, en 1986, que Lei Liu commença à travailler pour l’Amity Printing Press de Nankin. Aujourd’hui, il est le directeur général de la plus grande imprimerie de bibles du monde, avec plus de 600 employés et une production annuelle de 12 millions d’ouvrages écrits dans plus de 90 langues et vendus dans 70 pays.
Bien qu’il soit athée, Lei Liu explique à son fils, qui travaille également dans l’entreprise familiale, que son travail consiste à imprimer un livre célèbre qui a profondément influencé la culture et les valeurs de l’Occident et qui aujourd’hui est amené à toucher de plus en plus de personnes en Chine.
Selon les chiffres fournis par le gouvernement pour 2012, il y a en Chine à l’heure actuelle, plus de 25 millions de protestants et six millions de catholiques ; des statistiques qui ne concernent que les Eglises officielles et qui ne prennent pas en compte le très grand nombre de fidèles appartenant aux communautés chrétiennes non autorisées [appelées «également Eglises domestiques », NDLR] (1).
Pour répondre aux besoins spirituels des chrétiens, dont le nombre ne cesse de croître, la Chine a imprimé entre 1987 et 2012 plus de 105 millions de bibles parmi lesquelles 60 % ont été distribuées dans les églises du pays et 40 % envoyés à l’étranger.
Dans cette entreprise, les ouvriers se relayent au rythme de trois équipes par jour sur des machines fonctionnant 24 h sur 24. Ses entrepôts abritent des millions de versions différentes de la Bible, prêtes à être livrées à tout moment, n’importe où dans le monde. La King James Version qui a été utilisée pour le mariage du prince William en 2011 a été imprimée ici.
La Chine, le plus grand Etat athée de la planète, est devenu aujourd’hui le pays imprimant le plus de bibles au monde.
En 1986, l’Amity Printing Press (APP) fut cofondée par l’Amity Foundation et l’United Bible Societies (UBS) – un groupe britannique ayant pour but de diffuser le plus largement possible les écrits du christianisme –, les deux sociétés détenant respectivement 75 % et 25 % des actions de l’APP (2).
C’est en pleine campagne, dans une zone isolée de la région de Nankin qu’Amity a construit l’imprimerie la plus moderne de toute l’Asie et lancé l’industrie de la production de bibles en Chine, avec un développement et une croissance qui défient l’imagination (3).
En l’espace de seulement deux ans, Amity imprimait un million de bibles et franchissait pour la première fois le cap des 10 millions d’exemplaires en 1995. Lorsque l’imprimerie a emménagé sur un nouveau site de 87 000 m², sa production annuelle a atteint les 18 millions de bibles par an. Et en novembre 2012, Amity imprimait son 100 millionième exemplaire.
Bien que la société ait perdu de l’argent les cinq premières années, elle a réussi à faire rapidement des bénéfices en augmentant la quantité des bibles imprimées, parallèlement à une amélioration de la qualité d’impression.
A l’heure actuelle, la production d’Amity atteint 10 à 12 millions d’ouvrages par an. Près de 3 millions d’entre eux sont destinés aux Eglises chinoises, le reste étant vendu à l’étranger.
De son côté, l’UBS donne chaque année, pour l’impression de ces bibles, 25 % de son bénéfice au Mouvement patriotique des Trois autonomies [l’institution gouvernementale qui chapeaute les Eglises protestantes officielles en Chine, NDLR (4)], une somme qui retourne en réalité dans le giron de la société Amity.
« Nous avons réussi à créer un modèle de coopération internationale durable », affirme au Global Times Quiu Zhonghui, vice-président du conseil d’administration et secrétaire général de l’Amity Foundation.
Selon lui, la mission d’Amity est de se mettre au service des Eglises et du peuple chinois, mais surtout de réaliser ce rêve que chaque chrétien de Chine puisse posséder une bible imprimée par le peuple chinois.
« Aujourd’hui, nous avons réalisé ce rêve et nous sommes également heureux de servir les Eglises à travers le monde tout en utilisant les bénéfices de l’impression des bibles pour aider ceux qui ont besoin d’aide dans la société », ajoute Qiu Zhonghui.
Aujourd’hui, l’Amity Foundation ne se contente pas seulement d’imprimer des bibles mais s’engage dans un large éventail d’activités de bienfaisance dans les domaines de l’éducation, des soins de santé, de la protection sociale, du développement, de l’environnement ainsi que dans les aides d’urgence en cas de catastrophe dans le pays.
Chaque année, en plus des revenus tirés de l’impression des bibles, Amity reçoit près de 100 millions de yuans (près de 12 millions d’euros) de dons venus du monde entier. Amity a rapidement envisagé de se tourner vers les marchés étrangers pour éviter de tourner au ralenti, sa société recevant depuis 1996 d’importants subsides de l’UBS tandis que le marché de l’Eglise locale se saturait progressivement.
« Mais, à l’époque, nous n’étions pas en mesure de répondre aux critères de qualité exigés par la clientèle étrangère : nous avons donc dû nous adapter et tirer les leçons nécessaires pour nous transformer », explique encore Liu Lei au Global Times.
A partir de 2003, Amity a pu améliorer sa capacité de production grâce à la publicité faite par ses clients. De plus en plus d’acheteurs rencontrés lors des foires et salons internationaux du Livre ont ensuite fait la promotion de leur entreprise dans le monde entier.
Le nombre de bibles exportées n’a cessé depuis de s’accroître, passant de 0,6 % en 2003 à 70 % en 2012, et constituant de fait une source de profit considérable pour l’entreprise. Ces dix dernières années, Amity a exporté plus de 50 millions de bibles dans plus de 55 000 Eglises de 70 pays différents.
Après avoir évincé son principal concurrent en Asie, la Corée du Sud, avec ses offres en matière de coût, de qualité et de service, Amity doit aujourd’hui affronter d’autres rivaux sur le marché international de la Bible, l’Inde, les Pays-Bas et le Brésil,
Selon Liu, l’impression de la Bible a représenté pour l’année dernière 50 % du rendement de l’entreprise et 80 % des ventes, les bénéfices des ventes atteignant 264 millions de yuans en 2012, soit 6,6 % de croissance annuelle. La société s’est fixé un objectif de 10 % de croissance pour l’année prochaine.
Bien que Liu déclare s’attendre à ce que le marché d’exportation de bibles continue de croître, il pourrait avoir à faire face à une conjecture difficile en raison de la hausse du coût de la main-d’oeuvre et des fluctuations du yuan.
Cependant, les médias occidentaux ont une perception différente de l’expansion de l’industrie de la Bible en Chine. Certains d’entre eux critiquent Amity pour son monopole exclusif et l’emploi d’une main d’oeuvre bon marché afin d’obtenir le maximum de profit à l’exportation. [Des exportations qui augmentent] en dépit du nombre croissant des chrétiens en Chine, auxquels [la société Amity] ne distribue ses ouvrages qu’à ceux appartenant aux 60 000 Eglises officielles et non à ceux des Eglises domestiques, infiniment plus nombreux comme le rapporte The Economist en 2012.
Liu estime qu’il s’agit d’un malentendu créé par les médias occidentaux, fondé sur des préjugés d’une époque révolue. « En réalité, les bénéfices que nous réalisons à l’exportation sont utilisés pour compenser le prix bas de nos bibles fournies sur le marché chinois, afin que tous puissent les acheter facilement », affirme-t-il Aujourd’hui, le modèle le plus courant de la Bible en chinois ne coûte que 16 yuan, soit l’équivalent de 2 euros.
« Amity est en fait une fenêtre témoignant au monde entier de la liberté de religion en Chine », conclut Liu.
Amity est la seule imprimerie de bibles en Chine à avoir reçu l’approbation du gouvernement, au cours des trente dernières années. Tous les ans, elle reçoit du Mouvement des Trois autonomies une commande établie sur les besoins des Eglises et est responsable de l’impression et de la livraison des bibles dans 77 centres de distribution du pays.
Bien qu’il n’y ait pas de restrictions concernant les personnes voulant acheter des bibles en Chine, ces dernières ne peuvent être trouvées dans les librairies publiques, et en dehors des Eglises officielles, ce qui rend leur achat difficile pour les non-chrétiens ou les fidèles des Eglises domestiques.
« Certains chrétiens habitant les zones rurales ne sont donc pas toujours en mesure de se procurer une bible », constate auprès du Global Times Eugène Wood, président de Word for Asia, une organisation basée aux Etats-Unis.
En Chine, il est illégal d’imprimer la Bible sans autorisation officielle et des cas de condamnation pour ce motif sont évoqués régulièrement dans les médias. Certains étrangers ou organisations comme celle d’Eugène Wood tentent de compenser ce manque de bibles par leurs propres moyens.
« Nous essayons de récolter des fonds aux Etats-Unis pour acheter des bibles de façon tout à fait légale aux autorités responsables des chrétiens chinois, afin de pouvoir ensuite les distribuer aux habitants des zones rurales », explique Eugène Wood.
Depuis 1998, son organisation distribue déjà des bibles dans certaines régions rurales après les avoir achetées au Conseil chrétien de Chine de la province du Jiangsu (5).
Bien que Liu Lei admette que le problème évoqué par Eugène Wood puisse exister dans certaines régions rurales isolées, il se dit persuadé que l’offre de bibles sur le marché local est suffisante.
Qiu Zhonghui, de la Fondation Amity, déclare pour sa part au Global Times que durant un voyage en Allemagne en 2007, il a rencontré un homme qui, apprenant qu’il venait de Chine, lui avait raconté qu’il faisait de la contrebande de bibles dans son pays pour aider les chrétiens.
Lorsque Qiu lui a dit que la Chine possédait la plus grande imprimerie de bibles dans le monde, l’homme a refusé de le croire. Qiu lui a alors donné ses coordonnées, lui expliquant qu’il était le secrétaire général de cette entreprise et l’a invité à venir lui rendre visite.
« Nous désirons vraiment que des amis de l’étranger viennent nous voir et puissent constater par eux-mêmes [que cela est vrai]. Mais il ne m’a jamais recontacté », conclut-il.