Eglises d'Asie

Polémique sur l’usage du mot ‘Allah’ : 2 000 exemplaires du Herald bloqués à Sabah

Publié le 29/10/2013




Vendredi 25 octobre, des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont bloqué 2 000 exemplaires du Herald, l’hebdomadaire de l’archidiocèse catholique de Kuala Lumpur, à l’aéroport de Kota Kinabalu, dans l’Etat de Sabah, au motif qu’ils devaient vérifier que la publication se conformait bien…

au jugement rendu le 14 octobre dernier par la Cour d’appel de Putrajaya interdisant l’usage du mot ‘Allah’ dans la section en langue malaise de l’hebdomadaire catholique.

Sur la page Facebook du ministère, on pouvait lire l’explication suivante : « Le Bureau des publications et du contrôle des textes coraniques du ministère de l’Intérieur à Sabah a saisi, le 25 octobre 2013, 53 exemplaires du journal The Herald. La saisie a été effectuée en accord avec la décision de la Cour d’appel qui a jugé que The Herald n’était pas autorisé à utiliser le mot ‘Allah’ dans ses colonnes. » Il était précisé un peu plus loin : « Toutefois, après inspection, aucun usage litigieux du mot ‘Allah’ n’a été trouvé dans la publication et [l’ensemble des 2 000 exemplaires] a reçu le feu vert pour être distribué (…) le 27 octobre 2013. »

Ce 29 octobre, à Kuala Lumpur, le rédacteur en chef du Herald, le P. Lawrence Andrew, précise qu’il n’a reçu à ce jour aucune explication officielle du ministère de l’Intérieur et que la saisie effectuée sur l’aéroport de Kota Kinabalu, pour temporaire qu’elle ait été, a empêché la bonne distribution de son journal dans les églises de Sabah, les fidèles n’ayant pu le recevoir à temps dimanche 27 octobre dans leurs paroisses. Il ajoute aussi que la levée de la saisie par les fonctionnaires de l’Intérieur n’a eu lieu qu’après que l’archevêque de Kuala Lumpur, Mgr Murphy Pakiam, fut intervenu auprès d’un député, catholique de Sabah, Wilfred Madius Tangau, membre de la coalition au pouvoir, le Barisan Nasional, qui, à son tour avait dû contacter le ministre de l’Intérieur, alors en déplacement à l’étranger.

A Sabah et à Sarawak, les deux Etats de la Fédération de Malaisie situés sur l’île de Bornéo, l’incident a soulevé une forte incompréhension. Près des deux tiers des 2,6 millions de chrétiens de Malaisie vivent dans ces deux Etats, très différents de la Malaisie péninsulaire. La polémique qui a cours depuis plusieurs années sur l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens est largement incomprise dans cette partie de la Fédération.

Dans les colonnes du Herald du 29 octobre, le député Tangau s’explique en ces termes : « Toute cette affaire paraît plutôt étrange aux habitants de Sabah et de Sarawak, quelles que soient leur religion et leur race. Ici, nous vivons en harmonie les uns avec les autres et, dans une même famille, vous trouverez des membres professant des fois différentes. Par exemple, dans ma famille, mon beau-frère est musulman et plusieurs des cousins de ma femme sont musulmans. » Ajoutant qu’il était évidemment nécessaire de se plier à une décision de justice, il a précisé que le ministère de l’Intérieur se devait de s’expliquer sur son attitude car les Malaisiens orientaux ne pouvaient admettre et comprendre la nécessité d’« opérer une ségrégation entre les populations, et en particulier sur la base d’un seul mot ».

A Putrajaya, la capitale administrative et politique du pays, l’incident de Kota Kinabalu est interprété comme l’expression d’une certaine gêne au sein du gouvernement fédéral. En effet, peu après l’énoncé du verdict du 14 octobre dernier, le Premier ministre lui-même avait pris soin de souligner que la décision de justice ne concernait que le seul Herald en Malaisie péninsulaire. Une déclaration qui semblait rappeler que la résolution de 2011 – prise, à l’époque, peu avant la tenue d’élections dans l’Etat de Sarawak où la coalition au pouvoir devait impérativement conserver sa majorité – était toujours valide.

Selon cette résolution en dix points, les bibles peuvent être légalement importées et imprimées en Malaisie, quelle que soit la langue dans laquelle elles sont écrites, que ce soit en Malaisie péninsulaire ou à Sabah et Sarawak. Concrètement, la résolution autorise l’impression et la diffusion de la bible Al-Kitab, la bible en malais, ainsi que les bibles en iban, kadazandusun ou lun bawang, des langues indigènes en usage à Sabah et Sarawak, qui toutes utilisent le mot ‘Allah’ pour dire Dieu.

Le 28 octobre, le ministre de l’Intérieur, Ahmad Zahid Hamidi, a cependant déclaré que si l’Al-Kitab restait légale car « techniquement, la bible n’est pas une publication [de presse] », The Herald devait se conformer à la loi. « Je ne veux pas aller au-delà de ce qui a été décidé par la Cour d’appel », s’est défendu ministre, tout en soulignant que l’interdiction du mot ‘Allah’ dans la section en langue malaise du Herald était « justifiée ». Quelques jours auparavant, le ministre de la Justice, Abu Talib Othman, avait lui aussi laissé entendre qu’à son sens, The Herald devait se voir interdit de distribution à Sabah et Sarawak.

Du côté du Malaysian Consultative Council for Buddhism, Christianity, Hinduism, Sikhism and Taoism (MCCBCHST), instance qui est devenue l’interlocutrice privilégiée des autorités pour les questions interreligieuses, ces nouveaux rebondissements dans la polémique sur l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens suscitent une inquiétude réelle. Son président, Jagir Singh, explique ainsi que « sous prétexte […] que certaines personnes pourraient être détournées de leur foi [en confondant Allah et le Dieu des chrétiens], le ministre de l’Intérieur s’arroge le pouvoir de réguler les libertés fondamentales, y compris la liberté religieuse ».

Le Conseil des Eglises de Malaisie, qui réunit diverses Eglises protestantes et orthodoxes, a quant à lui estimé que l’incident de Kota Kinabalu constituait « une violation des droits des Eglises [chrétiennes] ».

Pour Mgr Murphy Pakiam, qui s’est exprimé par voie de communiqué le 22 octobre, soit avant l’incident de Kota Kinabalu, le jugement du 14 octobre a été rendu par des juges qui ont été « grossièrement mal informés » quant à l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens de Malaisie « depuis des siècles ».

Les juges ont estimé que le mot ‘Allah’ ne faisait pas partie de l’expression de la foi chrétienne, or, souligne l’archevêque, dans le credo professé par tous les chrétiens et qui commence par « Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, … », l’expression « un seul Dieu » est traduite dans les bibles en bahasa malaysia et en arabe par le mot ‘Allah’. « Tout chrétien qui nierait ou modifierait cette profession de foi encoure l’excommunication ou le risque d’être considéré comme hérétique », explique encore l’évêque.

Conclure donc que ce mot n’est pas essentiel à l’expression de la foi chrétienne constitue une grave négation du droit fondamental des chrétiens de langue malaise à utiliser le mot ‘Allah’ dans leur liturgie, leurs livres de prière, la bible Al-Kitab et d’autres publications, poursuit Mgr Pakiam. Le prélat rappelle à cette occasion qu’en Malaisie péninsulaire, des milliers de chrétiens venus de Sabah et de Sarawak pour étudier dans les universités, travailler dans les forces armées, la police et l’administration ou bien encore les entreprises privées, utilisent la langue malaise. A leur intention, ajoute Mgr Pakiam, toutes les semaines, la moitié des lieux de culte catholiques en Malaisie péninsulaire proposent au moins un service religieux ou des activités catéchétiques en bahasa malaysia.

(eda/ra)