Eglises d'Asie

Polémique sur l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens : le rédacteur en chef du Herald convoqué par la police

Publié le 08/01/2014




Le 7 janvier, le P. Lawrence Andrew, rédacteur en chef du Herald, l’hebdomadaire de l’archidiocèse de Kuala Lumpur, a été entendu durant deux heures par la police de l’Etat de Selangor agissant dans le cadre de l’ISA, une législation d’exception. Le prêtre catholique était interrogé …

… au sujet de propos qu’il avait tenus quelques jours auparavant dans un média en ligne sur l’usage du mot ‘Allah’ dans la liturgie des messes célébrées en malais dans les églises catholiques de Selangor.

Sorti libre de cette convocation mais dans l’attente d’une éventuelle suite judiciaire à cette affaire, le dossier ayant été transmis ce 8 janvier au procureur général, le P. Lawrence a expliqué aux journalistes qui l’attendaient à la sortie du quartier général de la police de Selangor avoir « été interrogé par les policiers sur [ses] déclarations publiées dans un article du Malaysian Insider ».

Dans l’article en question, mis en ligne le 27 décembre dernier, le P. Lawrence expliquait aux journalistes de ce site d’information qu’aucun groupe musulman, quel qu’il soit, ne pouvait s’ingérer dans la gestion des affaires chrétiennes. Il citait notamment le Bureau des Affaires islamiques de l’Etat de Selangor (Jais), expliquant que cette instance ne pouvait prétendre exercer sa juridiction sur d’autres organismes religieux que les organismes musulmans. Il affirmait par conséquent que les catholiques, dans le cadre de la liturgie célébrées dans les paroisses de Selangor, l’Etat qui entoure Kuala Lumpur, continueraient à utiliser le mot ‘Allah’ pour dire Dieu. Il ajoutait aussi que la liberté religieuse était inscrite et protégée par la Constitution fédérale du pays.

Devant les journalistes le 7 janvier, le P. Lawrence a déclaré qu’il avait expliqué aux policiers que le mot ‘Allah’ était utilisé « de très longue date » dans les bibles en malais et que, pour étayer son propos, il avait produit devant les policiers un manuscrit catholique de 1905 en langue malaise portant plusieurs occurrences du mot Allah. Il a ajouté avoir aussi montré à ces mêmes policiers des livres de prières vieux d’un siècle où l’on peut lire des citations de la Bible faisant usage du mot Allah.

La police de l’Etat de Selangor agissait dans le cadre de la législation sur la Sécurité intérieure (Internal Security Act), texte de 1960 qui autorise la détention préventive sans jugement et qui est vivement critiquée par les défenseurs de l’Etat de droit comme relevant d’une législation d’exception (1). Suite aux propos du P. Lawrence cités dans The Malaysian Insider du 27 décembre, une centaine de plaintes avait en effet été déposée à la police, les plaignants estimant que le prêtre violait par ses propos une loi de l’Etat de Selangor interdisant aux non-musulmans l’usage du mot Allah. Promulgué en 1988 par le sultan de Selangor, ce texte proscrit l’utilisation par les non-musulmans de 35 mots et expressions arabes, tels, outre ‘Allah’, les mots ‘Nabi’ (prophète), ‘Injil’ (évangile) ou bien encore ‘Insya Allah’ (la volonté de Dieu).

La convocation du P. Lawrence par la police fait grand bruit en Malaisie. Elle s’inscrit cinq jours après la descente menée par le Jais de Selangor dans les locaux de Société biblique de Malaisie, où 320 bibles en bahasa malaysia (la langue malaise) ont été saisies et deux responsables interpellés, avant d’être remis en liberté un peu plus tard. Elle s’inscrit aussi dans le contexte de la polémique, récurrente depuis plusieurs années, sur l’usage du mot Allah par les chrétiens. Depuis qu’en 2009, le ministère fédéral de l’Intérieur a menacé de révoquer l’autorisation de publication de l’hebdomadaire catholique The Herald, les jugements se succèdent. Le 14 octobre dernier, le diocèse de Kuala Lumpur et le P. Lawrence ont perdu devant la Cour d’appel de Putrajaya, les juges interdisant au journal l’usage du mot Allah, mais, ainsi que l’avait rappelé le Premier ministre en personne, la décision de justice ne concernait que le seul Herald en Malaisie péninsulaire – et nullement donc les autres textes catholiques où l’on peut lire Allah pour dire Dieu en malais, comme c’est le cas dans la bible traduite dans cette langue, la Bible Al-Kitab. Le prochain épisode judiciaire de cette affaire est prévu pour le 24 février prochain, jour où la Cour fédérale entendra les parties en présence et jugera de l’opportunité ou non d’un nouveau procès.

Les réactions à la convocation par la police du P. Lawrence ont été de deux types, les uns dénonçant une atteinte à la liberté religieuse, les autres demandant une uniformisation des législations.

Secrétaire général du DAP (Democratic Action Party), l’un des trois partis formant la coalition de l’opposition, Lim Guan Eng a fustigé, dans la convocation par la police du P. Lawrence, une manifestation de « la tyrannie qui s’exerce contre les minorités religieuses » (2). Ce 8 janvier, Lim Guan Eng, qui est aussi le ministre-président de l’Etat de Penang, a dénoncé l’absence d’impartialité de la police, prompte « à enquêter sur un prêtre catholique pour sédition, alors qu’aucune poursuite n’est engagée contre les prédicateurs extrémistes incitant à la haine raciale et religieuse envers les non-musulmans et les non-Malais ». Ce « deux poids – deux mesures », a ajouté l’opposant, constitue « une violation flagrante de l’esprit et de la lettre de la Constitution fédérale ».

Ce même 8 janvier, la Société des avocats catholiques a estimé qu’il était temps que les lois et règlements promulgués dans les différents Etats de la Fédération de Malaisie soient « harmonisés » de manière à ne pas être en contradiction avec les droits inscrits dans la Constitution fédérale. « Pour éviter un état d’incertitude et de confusion permanent (…), il est nécessaire de clarifier les lois touchant aux races et aux religions », a déclaré Viola De Cruz Silva, présidente de la Catholic Lawyers’ Society de Kuala Lumpur. « Le législateur doit protéger les droits de tous les citoyens de ce pays et protéger la Constitution », a-t-elle ajouté.

(eda/ra)