Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – S’échapper de l’Etat Rakhine

Publié le 11/12/2012




Les tensions dans l’Etat Rakhine demeurent très vives entre les Rohingyas musulmans, dont une partie vit dans des camps depuis les violences intercommunautaires de ces derniers mois, et les Arakanais bouddhistes. La situation est à ce point bloquée qu’un certain nombre de Rohingyas cherchent leur salut en quittant le pays par voie de mer, vers la Malaisie ou l’Indonésie. …

Le magazine The Irrawaddy a récemment fait état du destin tragique encouru par certains d’entre eux, en proie à des passeurs peu scrupuleux et sans respect pour la vie humaine. Dans le document ci-dessous, nous reproduisons un témoignage recueilli par le Service jésuite des réfugiés (JRS), dans son numéro de Dispatches du 11 décembre 2012. On y découvre le parcours de « Noor », Rohingya de l’Etat Rakhine en Birmanie, ayant fui sa ville natale de Buthidaung pour échapper à la misère et aux persécutions dont est victime cette communauté minoritaire de confession musulmane.

Il y a huit ans de cela, après la fête musulmane de Eid al-Adha, qui dure quatre jours, ma famille se baignait dans la mer lorsque l’armée est arrivée et a emmené tous les hommes et moi avec eux. Pendant trois jours, nous avons été forcés de travailler comme porteurs, transportant sur des kilomètres de lourdes charges pouvant aller jusqu’à 60 kg.

L’un de mes parents était trop faible, et ils l’ont battu jusqu’au sang. J’ai tenté de lui venir en aide mais un officier m’a vu et m’a battu jusqu’à ce que je m’écroule ; il m’a cassé plusieurs dents et ensanglanté le visage. Au bout de huit jours, nous avons été libérés; mais nous avons dû rentrer chez nous sans personne pour nous indiquer le chemin et sans nourriture.

De tels événements font partie de la vie des Rohingyas vivant dans l’Etat Rakhine (Etat de l’Arakan). Les Rohingyas n’ont pas droit à la citoyenneté et ne peuvent se déplacer librement, sauf dans certains lieux et pour des durées limités. Nous vivons sous la menace permanente de voir nos terres saisies par les autorités pour les donner à d’autres. Le gouvernement nous interdit de pratiquer notre religion, l’islam.

Nos papiers d’identité temporaires ne sont pas acceptés dans la plupart des services publics, comme par exemple l’hôpital. Un grand nombre de nos écoles ont été fermées et nous ne sommes pas autorisés à aller à l’université. N’ayant qu’un accès limité à l’éducation, nous ne pouvons trouver que des emplois secondaires. Lorsque je vivais là-bas, comme de nombreux autres villageois, je cultivais des légumes et vivais de ce que je pouvais récolter. Mais nous n’avions pas le droit de vendre notre production en ville.

Les violences des militaires rendent notre vie encore plus dure. Il n’est pas rare – au contraire – que des Rohingyas soient enlevés au hasard, torturés, et disparaissent à jamais. Les Rohingyas sont familiers de la mort et des disparitions forcées.

Dès que l’un de nous a de l’argent, nous essayons de fuir notre pays. Mon père m’a pressé de trouver un endroit sûr où je pourrais travailler et c’est pourquoi je suis parti pour la Malaisie. J’y ai travaillé pendant six ans sans papiers et j’ai pu économiser assez d’argent pour partir en Australie.

Un passeur a proposé de faire passer ma famille et seize autres personnes en Australie par bateau. Après deux nuits, une partie des passagers avait le mal de mer ; le capitaine nous a laissés dans un hôtel quelque part en Indonésie en promettant de revenir sous 24 ou 48 heures. Une semaine plus tard, nous attendions toujours et nous avons dû quitter l’hôtel faute d’argent pour payer les nuits restantes – seules deux nuits avaient été payées. Ne sachant pas quoi faire, je me suis décidé à me rendre au bureau du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) à Djakarta.

Un Indonésien nous a dit qu’il pourrait nous avoir des billets pour Djakarta au tarif d’un million de roupies indonésiennes, ce qui correspond à peu près à 104 dollars par ticket. Je n’avais que 200 ringgits malais, ce qui correspond à 65 dollars. Je lui ai donné le bracelet de ma femme d’une valeur de 1 400 ringgits. Il m’a donné quatre tickets de bus et de l’argent. Je n’avais pas d’autre choix.

Nous avons voyagé trois jours avant d’atteindre Tangerang, une ville [NdT : un centre industriel] située à 25 km à l’ouest de Djakarta. De là, nous avons pris un taxi pour arriver devant le bureau du HCR mais, à notre arrivée il était fermé. Le lendemain, nous sommes revenus et nous avons demandé le statut de réfugiés. Il n’y avait rien d’autre à faire que d’attendre la décision. Je savais que l’argent qui me restait ne durerait pas longtemps.

Heureusement, nous avons lié amitié avec un Indonésien qui nous a aidés à survivre pendant les mois qui ont suivi. Nous avons pu louer une pièce bon marché à Ciawi, une petite ville de Java-Ouest, proche de Djakarta.

Lorsque nous n’avons plus eu d’argent, j’étais désespéré. Sans avoir l’autorisation de travailler, nous ne pouvions pas trouver d’argent. Je suis allé au centre de détention et j’ai demandé à être arrêté, mais j’ai dû partir après une nuit.

Deux mois plus tard, ma femme et ma nièce ont contacté le Church World Service (CWS), une organisation humanitaire internationale qui nous a donné un petit pécule et nous a envoyés auprès du JRS pour recevoir de l’aide.

Ma situation en Indonésie est difficile car je n’ai pas le droit de travailler. Pour notre survie, nous dépendons du peu d’argent donné par charité. Toutefois, je me sens en sécurité car ici je peux pratiquer librement ma religion. Je n’ai pas de problèmes de voisinage avec les autochtones d’Indonésie.

A ce jour, notre principale préoccupation est de survivre en attendant la décision du HCR. Mon seul espoir pour l’avenir réside dans ce statut de réfugié. Je prie pour que le HCR nous fasse connaître sa décision rapidement afin que nous puissions partir pour un autre pays où nous pourrons reconstruire notre vie.

J’espère que nous pourrons finalement réaliser notre rêve de vivre en sécurité et de manière digne, en étant traités comme des êtres humains ayant des droits, et que mes enfants pourront être scolarisés et saisir les chances que la vie leur donnera.