Eglises d'Asie – Birmanie
Nouvelle vague de violences antimusulmanes : l’archevêque de Rangoun appelle à la paix
Publié le 10/05/2013
Le 3 mai dernier, une nouvelle vague de violence a touché cette fois la région de Hpakant, dans l’Etat Kachin, où plusieurs magasins et habitations appartenant à des musulmans ont été détruits par des groupes de bouddhistes armés. Dans cette région du nord du pays, où de violents combats entre l’armée et les rebelles de la minorité kachin se poursuivent depuis près de deux ans, aucune attaque de ce genre n’avait encore été recensée.
Moe Moe Lwin, 46 ans, musulmane habitant le village de Saing Taung de la commune de Hpakant, a raconté à l’AFP comment son magasin avait été pillé par une trentaine d’hommes arrivés à moto, armés de couteaux et de bâtons. « Nous n’osons pas rouvrir le magasin, a-t-elle confié. Nous avons toujours peur car le gouvernement ne peut pas assurer notre sécurité. »
Depuis qu’elles ont débuté il y a un an (1), les violences intercommunautaires entre musulmans (rohingyas essentiellement) et bouddhistes ont fait des centaines de morts et des milliers de réfugiés. Mais depuis quelques mois, les attaques ciblant la communauté musulmane dans son ensemble se sont multipliées, orchestrées par le « groupe 969 », lequel incite à grand renfort d’affiches, de tracts, d’autocollants, de CD et de DVD, la population bouddhiste à boycotter les magasins musulmans afin de « protéger la race et la religion birmanes ».
Ce chiffre 969, qui traditionnellement fait référence aux trois joyaux du Bouddha (2), symbolise aujourd’hui la haine raciale et religieuse des adeptes du Vénérable Wirathu, chef de file du mouvement (3). Rencontrant une forte adhésion populaire, la « campagne 969 » est diffusée également sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, où elle contribue à renforcer l’impact des attaques.
Lors des trois jours de saccage de Meiktila en mars dernier (4), les émeutiers ont peint le chiffre 969 sur les décombres des boutiques saccagées ou incendiées. Quelques jours plus tard, d’autres violences se produisaient dans la région de Bago, après la visite de moines venus prêcher, eux aussi, la « campagne 969 ».
Enfin, de nouveaux heurts ont éclaté le 30 avril dernier à Oakkan, au centre du pays, faisant au moins un mort (dix personnes auraient été tuées selon certaines sources) et plusieurs dizaines de blessés. L’émeute aurait été provoquée par le fait qu’une jeune musulmane, Win Win Sein, aurait – involontairement semble-t-il – bousculé un moine âgé de 11 ans, faisant tomber son bol servant à collecter les offrandes. Le soir même, 200 à 300 personnes juchées sur des motos arrivaient dans la ville et rasaient la mosquée, incendiant 80 maisons et pillant des dizaines de magasins et fermes dans les villages alentour.
L’apparente facilité avec laquelle ce discours nationaliste et antimusulman semble se répandre dans toute la Birmanie, y compris ses régions les plus reculées, inquiète certains analystes qui y retrouvent des éléments connus de l’idéologie sur laquelle s’appuyait la junte afin de légitimer son rôle de protecteur du bouddhisme contre « l’envahisseur musulman ».
Six musulmans accusés du meurtre d’un moine bouddhiste, dans le cadre des émeutes de Meiktila, risquent la peine de mort, rapporte ce vendredi 10 mai Democratic Voice of Burma (DVB). Un septième suspect doit comparaître devant un tribunal pour mineurs tandis que quatre autres sont encore recherchés par la police. Mais aucun des bouddhistes ou responsables religieux ayant participé aux violences ou incité à la haine religieuse n’a été inquiété, malgré les protestations de nombreuses ONG, dont Human Rights Watch (HRW), qui dénoncent la protection des agresseurs par le gouvernement et les forces de l’ordre. De récentes vidéos postées sur le Net ont ravivé la polémique, en révélant l’implication des moines bouddhistes et la complicité de la police dans la mise à sac des villes et les violences antimusulmanes de ces dernières semaines.
Dans l’affaire d’Oakkan également, seuls des musulmans ont été interpellés et accusés de « blasphème », dont Win Win Sein, la jeune femme qui avait bousculé le moine, une autre musulmane qui l’accompagnait, ainsi que deux autres « complices ».
La dernière attaque, qui s’est produite le 3 mai dans l’Etat Kachin, a en revanche donné lieu à l’arrestation, pour la première fois depuis le déclenchement des violences, de deux bouddhistes. Aucune autre information n’a été pour le moment communiquée par la police.
Parallèlement à ces incidents, se poursuivent toujours les exactions envers les Rohingyas, minorité musulmane apatride dont l’une des communautés vit en Arakan (Etat Rakhine), et qui est considérée par les Nations Unies comme la population la plus persécutée au monde. Dans son édition du 9 mai, l’Irrawaddy rapporte que les bouddhistes de l’Arakan continuent de s’opposer à la réinstallation des Rohingyas dans les zones prévues à cet effet par le gouvernement. Ces derniers continuent donc d’attendre, dans des camps surpeuplés où les vivres manquent et où le risque sanitaire s’accroit proportionellement à la lenteur avec laquelle l’administration birmane met en place leur réinstallation. Les ONG dénoncent un « nettoyage ethnique organisé » et multiplient en vain les demandes d’intervention internationale.
« Le gouvernement ignorera nos rapports tant que la communauté internationale ne leur fera aucune remarque », analysait Phil Robertson, responsable pour l’ Asie de Human Rights Watch (HRW), le 3 mai dernier. Il expliquait aussi que la récente levée des sanctions économiques contre la Birmanie afin de saluer les « avancées démocratiques » du pays a retiré aux ONG la possibilité de maintenir la pression internationale concernant les atteintes aux droits de l’homme et risque ainsi de permettre aux exactions de se poursuivre en toute impunité.
Au lendemain de cette dernière attaque dans l’Etat Kachin, Mgr Charles Maung Bo, archevêque catholique de Rangoun, a appelé le 4 mai le gouvernement birman et tous les responsables religieux du pays à « adopter des mesures urgentes afin de protéger les communautés les plus vulnérables, et empêcher d’agir ceux qui incitent à la haine et à la violence ». Une telle déclaration, qui est rare dans un pays où il est peu compris que les chrétiens s’immiscent dans les affaires intérieures de l’Etat, souligne le caractère de gravité que l’Eglise accorde à la situation actuelle.
Dans une démarche tout aussi inhabituelle, Mgr Bo avait déjà publié en avril dernier un communiqué demandant aux « frères et soeurs de toutes les communautés de son pays bien-aimé » de faire preuve de « compassion et d’amour » et de s’unir « afin de parvenir ensemble à une démarche commune dans le respect de l’autre et l’écoute mutuelle ».