Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – En Birmanie, manœuvres d’apartheid contre la minorité musulmane

Publié le 21/06/2013




Le 19 juin dernier, Navi Pillay, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a appelé le gouvernement birman à agir avec détermination pour faire cesser les discriminations dont sont victimes les Rohingyas, population musulmane, en Arakan, Etat majoritairement bouddhiste du Myanmar. « Les constantes violations des droits de l’homme des Rohingyas en Arakan (Rakhine) et la diffusion des sentiments antimusulmans …

… dans cet Etat et au-delà menacent le processus de réforme et requièrent toute l’attention du gouvernement », a déclaré la responsable onusienne.

Un an après le début des violences intercommunautaires de l’Arakan, l’article ci-dessous, traduction d’un reportage diffusé par l’agence Reuters le 15 mai dernier, montre que la situation des Rohingyas reste très précaire. Au moment où, à Rangoun, le ministre Aung Min, chargé au sein du gouvernement de mener les négociations de paix avec les différents groupes ethniques en rébellion contre le pouvoir central, déclare que la paix passe par le retour chez elles des quelque 350 000 personnes déplacées à l’intérieur des frontières ainsi que par le rapatriement des 400 000 réfugiés qui ont fui, parfois depuis des décennies, les combats entre l’armée birmane et les mouvements armés ethniques, le sort fait aux Rohingyas en Arakan montre que le chemin vers la paix et la concorde civile sera long.

Sittwe, Birmanie, 15 mai 2013 – Agé de 16 ans, un garçon musulman est en train de mourir sur une mince table de métal. Mordu par un chien féroce il y a un mois, il se tord de douleur et bave, alors que ses parents ont placé un bâton entre ses dents pour empêcher qu’il se morde la langue.

Un traitement rapide aurait pu sauver Waadulae. Mais il n’y a pas de médecins, pas d’analgésiques ni de vaccins dans cet hôpital rudimentaire près de Sittwe, capitale de l’Etat Rakhine (Arakan), à l’ouest de la Birmanie. C’est une antenne médicale isolée qui dessert quelque 85 300 personnes déplacées, presque toutes musulmanes, qui ont perdu leur maison dans les violences de l’année dernière, qui ont vu de meurtriers affrontements entre bouddhistes et musulmans.

« Tout ce que nous pouvons lui donner, ce sont des sédatifs », explique Maung Maung Hla, ancien fonctionnaire du ministère de la Santé, qui, malgré son manque de diplôme médical, traite environ 150 patients par jour. Les deux docteurs qui y travaillaient auparavant n’ont pas été vus depuis un mois. Il n’y avait plus de médicaments quand ils sont partis, précise Maung Maung Hla, un musulman.

Ces camps au milieu des ordures font ressortir la face sombre de la Birmanie dans sa transition vers une démocratie glorifiée, à savoir des politiques s’apparentant à l’apartheid, discriminant la minorité musulmane de la majorité bouddhiste. Au moment où la violence collective s’étend, nulle part ailleurs ces pratiques sont plus brutales qu’autour de Sittwe.

Comme en écho à ce qui s’est passé dans les Balkans après la chute de la Yougoslavie communiste, l’assouplissement du contrôle autoritaire en Birmanie laisse libre cours à la haine ethnique.

Le président Thein Sein, ancien général, a déclaré le 6 mai dernier dans un discours télévisé que son gouvernement s’engageait à créer « une société pacifique et harmonieuse dans l’Etat Rakhine ». Mais les dunes de sable et les rizières stériles à l’extérieur de Sittwe racontent une histoire bien différente. Ici, les abris d’urgence mis en place pour les musulmans Rohingya l’année dernière sont devenus définitifs, semblables à des ghettos. Les musulmans sont contraints par les armes de ne pas en partir. Les aides humanitaires arrivent au compte-goutte. Dans les camps, la colère affleure et les maladies abondent.

Au centre de Sittwe, les bouddhistes de l’ethnie Rakhine et les officiels locaux exultent dans ce qu’ils considèrent être un triomphe chèrement gagné : les rues sont pratiquement vidées des musulmans. Avant les violences de l’an dernier, les musulmans de la ville étaient environ 73 000, à peu près la moitié des habitants ; aujourd’hui, il en reste un peu moins de 5 000.

La transformation de la Birmanie, d’Etat paria en démocratie bourgeonnante, semblait pourtant se dérouler en douceur. Après un demi-siècle de dictature militaire, le gouvernement quasi civil qui a pris le pouvoir en mars 2011 a étonné le monde en libérant des dissidents, en assouplissant la censure et en renouant avec l’Occident.

C’est pourtant à ce moment qu’est survenue la pire violence sectaire depuis des décennies. Des affrontements entre des membres de l’ethnie bouddhiste Rakhine et des musulmans Rohingya apatrides, en juin et en octobre 2012, ont provoqué la mort d’au moins 192 personnes et le déplacement de 140 000. La plupart des morts et des déplacés étaient musulmans.

« L’Etat Rakhine traverse une crise profonde [qui] peut mettre en péril le processus de réforme », estime Tomas Ojea Quintana, rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme en Birmanie. A Sittwe et dans d’autres districts de l’Arakan , la vie n’a pas beaucoup changé en comparaison de ce qu’elle était sous la junte militaire : les violations des droits de l’homme et l’omniprésence de l’appareil de sécurité sont les mêmes, explique-t-il. « Ce qui se passe dans l’Etat Rakhine est semblable au modèle de ce qui se passait en Birmanie sous le gouvernement militaire », a-t-il déclaré dans une interview.

Cette crise constitue le défi intérieur le plus important jusqu’ici, pour les chefs réformistes d’un des pays d’Asie à la population multiethnique. Les musulmans représentent environ 5 % des 60 millions d’habitants. Pour avoir enduré des persécutions sévères sous l’ancienne junte, d’autres minorités, telles que les Kachin et les Shan, observent étroitement ce qui se passe actuellement en Arakan.

Alors que les premières violentes tempêtes de la saison de la mousson approchaient début mai à l’ouest de la Birmanie, le gouvernement et les agences des Nations Unies déclenchaient une évacuation chaotique des camps, pressant des milliers de musulmans Rohingya de se déplacer à travers l’Etat Rakhine vers des zones plus sûres et mieux protégées d’une possible montée des eaux.

Certains de ces Rohingyas ont résisté, craignant de perdre le peu qu’ils auraient dû laisser derrière eux : leurs tentes de toile et cabanes de fortune. Une cinquantaine d’entre eux se seraient même noyés au cours d’une évacuation bâclée par la mer.

« Ils disent tous des mensonges »

A Sittwe, Aung Mingalar, le dernier quartier restant à majorité musulmane, est bouclé par la police et les soldats patrouillent toutes les rues de long en large. Les musulmans ne peuvent pas le quitter sans permission écrite des autorités locales, bouddhistes, laquelle est pratiquement impossible à obtenir.

Des barrières métalliques, recouvertes de barbelés tranchants, ne sont ouvertes que pour les bouddhistes Rakhine. Malgré une interdiction à l’encontre des journalistes étrangers, l’agence Reuters a pu pénétrer dans Aung Migalar. Les rues quasi désertes étaient bordées de boutiques aux volets baissés. Quelques musulmans observaient d’un œil inquiet derrière les portes ou les fenêtres.

De l’autre côté des barrières, des bouddhistes Rakhine éprouvent un vif plaisir à voir cette ségrégation.
« Je ne leur fais pas confiance. Ils ne sont pas honnêtes, déclare Khin Mya, 63 ans, qui possède un magasin général dans la rue principale de Sittwe. Les musulmans sont sanguins. Ils aiment se battre, soit avec nous, soit entre eux. »

Ei Mon Kyaw, 19 ans, vend des noix de bétel et du tabac à mâcher. Il déclare que « les musulmans sont vraiment sales ; il est préférable que nous vivions séparément ».

Porte-parole du gouvernement de l’Etat de l’Arakan, Win Myaing, bouddhiste, explique pourquoi les musulmans assiégés du quartier Aung Migalar n’ont pas le droit de parler aux médias. « C’est parce qu’ils disent tous des mensonges », précise-t-il. Il nie également que le gouvernement se soit engagé dans une purification ethnique, accusation portée dans un rapport du 22 avril de Human Rights Watch. « Comment pourrait-il y avoir une purification ethnique ? Il ne s’agit pas d’un groupe ethnique », déclare-t-il depuis un bureau situé dans la rue principale de Sittwe, donnant sur une mosquée vide, gardée par des soldats et la police.

Ses commentaires renvoient à une vieille controverse sur l’origine des musulmans rohingya, dont le nombre est estimé à 800 000. Les Rohingya revendiquent une présence en Arakan ancienne de plusieurs siècles. Le gouvernement, lui, déclare qu’ils sont des migrants musulmans du Bangladesh voisin, arrivés du temps de l’empire britannique à partir de 1824. Après l’indépendance en 1948, les nouveaux dirigeants de Birmanie ont essayé de limiter la citoyenneté à ceux dont les racines dans le pays étaient antérieures à la colonisation britannique. La Loi sur la citoyenneté de 1982 a exclu les Rohingyas des 135 groupes ethniques officiellement reconnus, leur refusant la citoyenneté et les rendant de facto apatrides. Le Bangladesh les a également reniés et refuse depuis 1992 de leur conférer le statut de réfugiés. Les Nations Unies les qualifient de « virtuellement isolés » et les classent au rang peu enviable de minorité la plus persécutée au monde.

L’exode des boat-people

Pour l’heure, le gouvernement de l’Etat a suspendu tout retour des musulmans Rohingya dans leurs villages d’origine : arguant du fait qu’ils refusent de s’enregistrer comme « Bengalis », un terme qui suggère qu’ils seraient des immigrants clandestins venus du Bangladesh, les autorités les maintiennent dans des camps.

Face à une telle situation, nombreux sont les Rohingyas à choisir de tout risquer, y compris leur vie, en tentant de fuir par voie de mer. L’exode des « boat people Rohingya », prenant le large sur des barques de pêche de fortune vers d’autres pays du Sud-Est asiatique, s’accélère.

D’octobre 2012 à mars 2013, entre les deux moussons, environ 25 000 Rohingyas ont quitté la Birmanie par bateau, indiquent les données d’Arakan Project, un groupe de pression Rohingya basé à l’étranger. C’est deux fois plus l’an dernier et le problème Rohingya devient un problème régional.

Pour une personne aussi pauvre que le sont généralement les Rohingyas, le coût d’un aller simple est élevé : généralement autour de 200 000 kyats (220 dollars), souvent payé par des versements des membres de la famille déjà partis. Ceux qui réchappent à ces voyages périlleux finissent souvent en Malaisie, pays à majorité musulmane. Quelques-uns terminent dans des camps des Nations Unies où on leur refuse l’asile permanent. D’autres trouvent à s’embaucher au noir sur des chantiers ou un autre travail de subsistance. Plusieurs dizaines de milliers sont regroupés dans des camps en Thaïlande. Un nombre croissant se retrouvent derrière les barreaux en Indonésie.

Violence collective

L’Etat Rakhine, une des régions les plus pauvres du pays le plus pauvre d’Asie du Sud-Est, nourrissait de grands espoirs du fait des réformes entreprises par Naypyidaw.

A Sittwe, l’Inde finance la construction d’un port de 214 millions de dollars. Que ce soit par voie d’eau ou par voie de terre, l’Inde tient à désenclaver sa région Nord-Est et voit là l’espoir de nouvelles routes commerciales. Depuis Kyaukphyu, ville située à 90 kilomètres au sud-est de Sittwe, les gazoducs et les oléoducs s’étirent vers le nord-ouest, en direction de la Chine assoiffée d’hydrocarbures. Les deux projets capitalisent sur l’importance croissante de la Birmanie comme carrefour de l’Asie.

Cette promesse a toutefois été battue en brèche par les violences intercommunautaires qui ont éclaté au grand jour après le viol et le meurtre d’une femme bouddhiste par des musulmans en mai de l’an dernier. Six jours plus tard, à titre de représailles, une foule bouddhiste battait à mort dix musulmans. La violence s’est alors généralisée d’un seul coup à Maungdaw, un des trois districts à majorité Rohingya, jouxtant le Bangladesh : le 8 juin, des groupes Rohingya ont détruit des maisons et tué un nombre non révélé d’Arakanais.

Les affrontements se sont étendus à Sittwe. Plus de 2 500 maisons et bâtiments y ont été incendiés lorsque des foules Rohingya et Rakhine se sont déchaînées. Quand la fumée s’est dissipée, les deux camps déploraient des pertes, même si le nombre officiel de morts chez les Rohingyas – 57 – était presque le double de celui des bouddhistes Rakhine. Des quartiers musulmans entiers ont été rasés.

Le mois d’octobre suivant a connu plus de violence encore. Cette fois, des foules bouddhistes ont attaqué des villages musulmans à travers tout l’Etat pendant plus de cinq jours, dirigées dans quelques cas par des nationalistes Rakhine liés à un puissant parti politique, incitées à la fois par des moines bouddhistes et par les forces de sécurité locales.

Barack Obama, le président américain, lors d’une visite très remarquée à Rangoun au mois de novembre 2012, a vivement plaidé pour la réconciliation. « Les Rohingyas jouissent de la même dignité que vous et moi », a-t-il déclaré en direct à la télévision. La semaine de sa visite, dans une lettre adressée aux Nations Unies, Thein Sein avait juré de forger la paix entre les différentes composantes de la population de la Birmanie.

Mais la violence a continué à s’étendre. L’agitation antimusulmane, stimulée par des moines bouddhistes, a entraîné la mort de 44 personnes dans la ville de Meikhtila, au centre du pays au mois de mars 2013. En avril et en mai, des foules bouddhistes ont détruit des mosquées et des centaines de maisons musulmanes, à quelques heures de voiture de Rangoun, la plus grande ville du pays.

Thein Sein a répondu en envoyant des troupes dans les zones instables et en créant une commission indépendante sur la violence dans l’Etat Rakhine. Ses recommandations publiées le 27 avril prônent des rencontres entre les responsables musulmans et bouddhistes pour encourager la tolérance, le déplacement des musulmans vers des zones plus sûres en prévision des tempêtes de la mousson, ainsi que la séparation des deux communautés « jusqu’à ce que l’émotion retombe ».

Le message était d’autant plus clair que le président a usé du terme « Bengalis » pour parler des Rohingyas, les renvoyant ainsi à une appartenance liée au Bangladesh et renforçant la loi de 1982 sur la citoyenneté qui a rendu apatrides même ceux des Rohingyas qui vivent depuis des générations en Birmanie.

Les recommandations du rapport présidentiel mentionnaient aussi la forte natalité de la population Rohingya comme cause des affrontements avec les bouddhistes. En conséquence, les Rohingyas devaient se soumettre à des mesures volontaires de planification familiale. Il était aussi suggéré de doubler le nombre des soldats et des policiers dans la région.

Les Rohingyas ont répondu avec colère. « Nous rejetons complètement ce rapport », réagit Fukan Ahmed, 54 ans, un Rohingya qui a perdu sa maison à Sittwe.

Sur place, l’administration locale s’est mise en mouvement pour imposer la politique préconisée dans le rapport présidentiel.

Liste noire

Le 26 avril au matin, des fonctionnaires de l’Etat Rakhine sont entrés dans le camp de réfugiés de Theak Kae Pyin. Ils étaient accompagnés de trois policiers et de plusieurs officiers de la police des frontières, connue sous l’appellation de « Nasaka », mot dérivé des initiales de son nom birman. Unique à la région, la Nasaka est composée d’officiers de police, de militaires, de douaniers et d’agents de l’immigration. Ils contrôlent chacun des aspects de la vie des Rohingyas et sont très craints.

Les violations des droits de l’homme imputées à la Nasaka vont du viol au travail forcé en passant par le recours systématique à la force. Les Rohingyas ne peuvent pas se marier ou voyager sans l’autorisation de la Nasaka, laquelle n’est jamais assurée sans payer des pots-de-vin.

Le porte-parole du gouvernement de l’Etat, Win Myaing, affirme que la mission de la Nasaka est de compiler une liste indiquant où les gens ont vécu avant les violences, condition préalable pour un retour de chacun chez lui. Ils voulent savoir qui était à Sittwe et qui était de localité plus éloignées comme Pauktaw et Kyaukphyu, zones qui ont connu une quasi-totale expulsion des musulmans en octobre dernier.

Beaucoup ont fui les violences pour aller s’installer dans ce que Win Myaing décrit comme des camps non enregistrés, dans les environs de Sittwe, souvent improvisés dans des zones inondables. « Nous aimerions les renvoyer d’où ils viennent dans les deux mois qui viennent », explique Win Myaing, ajoutant que l’établissement de cette liste est la première étape pour y parvenir.

La liste cependant exige des musulmans qu’ils s’enregistrent comme « Bengalis ». Pour Fukan Ahmed et d’autres responsables Rohingya, le message est clair : s’ils veulent être réinstallés, ils doivent renier leur identité.

Des incidents se sont produits. Des foules se sont rassemblées au moment où les officiels ont essayé de compiler la liste, ont rapporté des témoins. Des femmes et des enfants criaient : « Rohingya ! Rohingya ! ». Au moment du départ des officiers de police, l’un d’eux a chuté à terre, frappé par une pierre à la tête, d’après Win Myaing. Des témoins Rohingya ont dit que l’officier avait trébuché. Sept Rohingyas ont été arrêtés et accusés d’avoir causé de graves blessures à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ; ils ont été mis en examen pour intimidation criminelle et trouble à l’ordre public.

La compilation de la liste a été suspendue, précise Win Myaing. Il en va de même pour la réinstallation des personnes déplacées. « S’ils nous faisaient confiance, le retour de chacun chez lui pourrait avoir lieu tout de suite. Mais si vous ne voulez même pas accepter que nous fassions une liste, alors comment pouvons-nous essayer de faire quelque chose ? », interroge-t-il encore. Pour lui, la crise pourrait être désamorcée si les Rohingyas acceptaient la Loi sur la citoyenneté de 1982.

Mais agir ainsi confirmerait effectivement qu’ils sont apatrides. Les discriminations bureaucratiques et le fait qu’ils ne possèdent souvent pas de papiers d’identité signifie que très peu de Rohingyas ont l’espoir de satisfaire aux critères de l’administration.

Boshi Raman, 40 ans, déclare que lui et les Rohingyas ne signeront jamais un document les désignant comme Bengalis. « Nous préfèrerions mourir », assure-t-il.

Win Myaing attribue aux Rohingyas leur infortune. « Si vous considérez rétrospectivement les événements qui se sont produits, ce n’est pas parce que les Rakhines étaient extrémistes. Les problèmes sont tous partis d’eux », les musulmans, dit-il.

Terre brûlée

Au camp de Theak Kae Pyin, une mer de tentes en toile et de baraquements précaires, construits avec la paille de la dernière récolte de riz, donne l’impression de s’étendre toujours plus loin. Plus de 11 000 personnes vivent dans ce camp, d’après les chiffres des Nations Unies. Des enfants nus se baignent dans un étang à l’eau marron foncé et jouent autour d’une rigole faisant office d’égouts à ciel ouvert.

Il y a un an, avant les troubles, Haleda Somisian vivait à Narzi, un quartier de Sittwe de plus de 10 000 personnes. Aujourd’hui, son ancien quartier n’est plus qu’une terre brûlée, mais Somisian, 20 ans, veut rentrer et reconstruire. Son mari, dit-elle, a commencé à la battre. Il travaillait à Narzi. Il est maintenant au chômage, abattu et découragé. « Je veux quitter cet endroit », dit-elle.

Certains de ceux confinés dans ces camps de réfugiés sont des Kaman. Cette minorité musulmane est reconnue comme l’un des 135 groupes ethniques officiels du pays ; généralement, ils ont la nationalité birmane et il est difficile de les distinguer des bouddhistes Rakhine. Ils ont été forcés à fuir leurs villages après la spirale de violences d’octobre dernier, lorsque leurs maisons ont été détruites par la foule des bouddhistes, notamment dans les quartiers isolés comme Kyaukphyu. Eux non plus, ils ne peuvent pas quitter les camps.

Au-delà de Sittwe, 50 000 personnes, la plupart des Rohingyas, vivent dans des camps semblables. Eux aussi ils ont fui les violences de l’an dernier. Dans tout l’Arakan, les Nations Unies ont fourni 4 000 tentes et construit 300 maisons de bambou, chacune pouvant contenir huit familles. Cinq cents autres maisons de bambou sont prévues pour la fin de l’année. Aucune ne sont conçues pour durer, explique le porte-parole de l’ONU, Vivian Tan. Les tentes peuvent durer de six mois à un an ; les maisons de bambou, deux ans.

Les Nations Unies voudraient fournir les abris temporaires dont on a grand besoin. « Mais nous ne voulons en aucun cas créer des abris permanents et justifier la moindre forme de ségrégation », précise Vivian Tan.

Médecins sans frontières a accusé des nationalistes endurcis d’avoir menacé son équipe, entravant sa capacité à donner des soins. Des cliniques mobiles sont apparues dans quelques camps, mais un rapport des Nations Unies décrit à quel point c’est insuffisant.

Waadulae, le jeune garçon souffrant de la rage, était soigné à l’hôpital de Dar Paing, dont l’unique employé, Maung Maung Hla, était surchargé. « Nous avons épuisé les antibiotiques, dit-il. Il n’y a pas de médicaments contre le paludisme. Il n’y a pas de médicaments contre la tuberculose ou le diabète. Pas de vaccins. Il n’y pas d’équipements pour surveiller la santé des gens. Il n’y a pas d’évacuations pour ceux qui souffrent de diarrhée aigüe. »

Le porte-parole de l’Etat, Win Myaing, explique que les médecins Rakhine craignent de pénétrer dans les camps. « Nous sommes arrivés au stade où ils ont préféré démissionner plutôt que d’aller dans ces endroits », affirme-t-il.

Le traitement réservé aux Rohingyas contraste avec celui des quelques 4 080 bouddhistes d’ethnie Rahkine déplacés dans le centre de Sittwe. Eux peuvent quitter leurs camps librement, travailler en ville, rendre visite à leur famille dans les villages du voisinage et reconstruire, avec l’aide très soutenue des chefs d’entreprise birmans.

Hset Hlaing, 33 ans, qui survit grâce aux aides fournies par les agences humanitaires dans le camp de Thae Chaung, se rappelle comment il gagnait sa vie avant les émeutes. Dans sa boutique de Sittwe, il dégageait une marge de 10 000 kyats (11 dollars)/jour. En juin dernier, son magasin et sa maison sont partis en fumée et, comme les autres musulmans, il refuse d’accepter le terme « bengali ». « Je ne veux pas aller dans un autre pays. Je suis né ici, dit-il, tout en buvant à petites gorgées du thé dans une cabane en bambou. Mais si le gouvernement ne nous accepte pas, nous partirons. Nous prendrons la mer. Nous irons dans un pays qui veut bien nous accepter. »