Eglises d'Asie

Les talibans empêchent la vaccination de 1,5 million d’enfants

Publié le 16/09/2013




Le Pakistan est aujourd’hui l’un des trois pays au monde où la poliomyélite est encore endémique (avec l’Afghanistan et le Nigéria). Depuis que l’OMS a lancé sa campagne d’éradication de la polio en 1988, en faisant vacciner tous les enfants de moins de 5 ans, l’incidence de la maladie sur la planète a chuté de façon drastique, … 

… passant de 350 000 cas recensés en 2008 à seulement 223 en 2011. Avec 198 cas confirmés en 2011, le Pakistan totalise le nombre de malades contaminés le plus élevé de toutes les nations du monde.

Alors que son programme de vaccination intensive commençait à faire les preuves de son efficacité l’année dernière (le nombre de cas de polio étant passé de 198 à 58), le Pakistan est en passe de voir ses efforts demeurer vains en raison de l’opposition farouche des talibans. Dans les zones tribales où ils font la loi, se trouvent aujourd’hui les derniers foyers de poliomyélite, qui risquent de propager de nouveau la maladie dans les régions environnantes. Plus d’une trentaine de cas ont été signalés récemment au Balouchistan, au Waziristan, au Pendjab et dans le Sind, sans compter la quarantaine de « cas suspects » actuellement en cours de vérification.

L’alarme a été lancée ces jours derniers par les autorités sanitaires nationales et l’OMS, constatant l’échec partiel de la dernière campagne de vaccination de laquelle ont été exclus 1,5 million d’enfants sur les 34 millions concernés.« Notre crainte est que le virus se répande à partir de ces zones d’infestation et mette en péril l’achèvement de la campagne d’éradication de la polio qui était prévu dans deux ans », s’inquiète le Dr. Elias Durry, coordinateur pour l’OMS de la vaccination contre la polio au Pakistan. 

Des dizaines de volontaires appartenant à des équipes de vaccinations locales ont été tués par les talibans l’année dernière et au début de 2013 alors qu’ils essayaient de vacciner les enfants des régions tribales. Le 31 décembre 2012, un médecin et six femmes aide-soignantes ont été ainsi abattus devant les enfants qui attendaient d’être vaccinés dans le district de Swabi, dans la partie nord-ouest de la province de Khyber Pakhtunkhwa. A la suite de ces exécutions, toutes les campagnes de vaccination avaient été suspendues dans la région et n’ont repris que tout récemment. Selon l’Associated Press, dix-sept membres des équipes de vaccination, ainsi que cinq policiers qui les accompagnaient ont été tués par les talibans ces treize derniers mois.

Sous le titre « Les anges de Karachi », le quotidien anglais The Independent a publié mercredi 11 septembre un reportage sur les femmes qui « risquent leur vie tous les jours pour vacciner les enfants contre la polio » au Pakistan. Après l’exécution des sept volontaires le 31 décembre dernier puis l’annonce il y a quelques semaines du meurtre de quatre aide-soignantes à Karachi ainsi que d’une autre jeune fille au Peshawar, Rabail Mehar, l’une de ces volontaires, avoue au quotidien britannique qu’elle a failli abandonner sa mission.

Comme des centaines d’autres volontaires, la jeune femme fait partie des équipes mises en place dans le cadre de la campagne d’éradication de la poliomyélite menée conjointement au Pakistan par le gouvernement central, les autorités provinciales, plusieurs ONG, associations caritatives, ainsi que l’Unicef et l’OMS.

Le fait que les équipes soient presque exclusivement féminines n’est pas un hasard. Dans un monde où les hommes et les femmes ne peuvent communiquer publiquement, seules d’autres femmes ont la possibilité d’approcher les mères des enfants à vacciner et les convaincre de les laisser administrer le vaccin.
Lorsque l’équipe de vaccination arrive dans l’un des bidonvilles de Karachi, qui rassemble dans un espace insalubre et surpeuplé des milliers d’hindous et de musulmans d’une grande pauvreté, rapporte le journaliste de The Independant, un appel est lancé par haut-parleur à la population : « Que toutes les femmes viennent accompagnées de leurs enfants ; faites-vite, nous n’avons pas beaucoup de temps ! ».

L’équipe de femmes qui administre les vaccins est supervisée par une jeune doctorante de 27 ans. Elle aussi a refusé, malgré les supplications de sa famille, d’abandonner son poste de « travailleur social » après les assassinats. La population ne se fait pas prier et défile avec une kyrielle d’enfants qui reçoivent une marque sur la main après le vaccin.

Mais dans les régions tribales et éloignées où il n’y a aucune connaissance des principes de transmission des maladies, les choses sont plus difficiles et les équipes de volontaires doivent faire face, non seulement aux menaces des talibans les armes à la main, mais aussi à la peur des populations qui croient au danger de la vaccination et craignent les représailles des extrémistes s’ils acceptent d’amener leurs enfants. 

Parmi les nombreuses « croyances anti-vaccination » inculquées par les talibans, la plus diffusée est sans aucun doute celle selon laquelle la campagne anti-polio est une « machination de l’Occident » qui cherche à faire pénétrer sur le territoire pakistanais des espions à la solde des Etats-Unis (le cas de référence étant celui du médecin engagé dans ce type de campagne qui avait donné aux services secrets des renseignements sur Ben Laden). Les talibans opposent également à la campagne de l’OMS et du gouvernement des « raisons éthiques », affirmant que les « attaques de drones qui tuent des enfants sont incompatibles avec de soi-disants soins pour les sauver de la maladie ». D’autres groupes, très nombreux dans les régions tribales, soutiennent aussi que le produit injecté n’est pas un vaccin mais un poison destiné à rendre stérile tous les musulmans.

« Je voudrais faire vacciner mes enfants, mais j’ai trop peur que les talibans l’apprennent », avoue Syed Wali, qui vit près de Peshawar, dans le nord-ouest du Pakistan. Dans la capitale de la province de Khyber Pakhtunkhwa, les humanitaires volontaires ont installé deux checkpoints protégés par l’armée pour y pratiquer les vaccinations, mais la population terrifiée rechigne à y amener ses enfants, rapporte vendredi 13 septembre Dunyanews.tv, une chaîne d’information pakistanaise en ourdou.