Eglises d'Asie

Appel au calme des autorités civiles et religieuses après l’attaque d’une église catholique

Publié le 27/01/2014




Les responsables des Eglises chrétiennes ont appelé au calme et à ne pas céder à l’esprit de vengeance après qu’une église catholique a été, la nuit dernière, la cible d’une attaque aux cocktails Molotov. Les responsables politiques, au plan local comme au plan national, ont eux aussi mis en garde contre une dégradation incontrôlée …

… des relations entre musulmans et non-musulmans, l’attaque de ce matin survenant dans un climat tendu et marqué par la polémique autour de l’interdiction faite aux chrétiens d’utiliser le mot ‘Allah’ pour dire Dieu en malais.

L’attaque s’est produite peu après 1 heure du matin, heure locale ; deux hommes ont lancé deux cocktails Molotov sur l’église de l’Assomption, avant de prendre la fuite. L’une des deux bombes artisanales n’a pas explosé tandis que l’autre n’a fait que des dégâts légers sur une rambarde située à l’avant de l’édifice.

L’église de l’Assomption, située au cœur du quartier touristique de Penang, est l’ancienne cathédrale du diocèse (la nouvelle cathédrale, plus vaste, se situant dans un quartier un peu moins central). Il semblerait que cette attaque trouve son origine immédiate dans le placardage de posters la veille sur la façade de cinq églises catholiques et protestantes de Penang et des environs où l’on pouvait lire en malais : « Allah est grand, et Jésus est le fils d’Allah » (1). Ces affiches, faites manifestement pour provoquer les musulmans, avaient été très rapidement retirées par les responsables de ces églises, qui ont vigoureusement démenti en être les auteurs et ont porté plainte auprès de la police pour que des enquêtes soient diligentées à ce sujet.

Bien que l’église visée par les cocktails Molotov et quatre des cinq églises sur lesquelles ont apparu les posters provocateurs appartiennent à l’Eglise catholique, le diocèse catholique de Penang s’est gardé pour le moment de tout commentaire.

C’est la Fédération chrétienne de Malaisie (CFM, Christian Federation of Malaysia), qui a réagi la première, son président, le Rév. Eu Hong Seng, demandant aux chrétiens de se montrer « sages et mesurés » dans leur réponse à un acte « haineux » et visant à provoquer « le chaos et de l’animosité à caractère ethnique », rapporte le site d’information en ligne The Malaysian Insider.

« Ces attaques pouvant se révéler avoir été motivées par un objectif politique et menées afin de déclencher ou d’aviver des tensions interreligieuses et interraciales, nous ne pouvons que nous montrer sages et mesurés dans notre réponse », a expliqué le pasteur protestant par voie de communiqué, appelant « tous les Malaisiens attachés à la paix à se montrer fermes et unis pour refuser toute action de profanation d’un lieu de culte religieux ».

L’action envers l’église de l’Assomption de Penang intervient alors que le climat s’est notablement alourdi ces derniers temps du fait de la polémique sur l’usage par les chrétiens du mot ‘Allah’ pour dire Dieu en malais. Dans un pays où les musulmans sont majoritaires et où la Constitution établit une équivalence entre le fait d’être Malais et celui d’appartenir à la religion musulmane, les minorités, d’origine indienne et chinoise, ainsi que les non-Malais de manière générale, éprouvent des difficultés grandissantes à faire respecter leurs droits.

Les tensions se sont focalisées ces derniers mois sur l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens, des législations et règlements pris par différentes instances religieuses au niveau des Etats fédérés voulant leur interdire cet usage ainsi que l’utilisation de plusieurs autres mots malais utilisés tant dans les textes chrétiens que dans les textes musulmans. Chacun attend notamment l’issue judiciaire qui sera donnée, le 5 mars prochain, par la Cour fédérale au procès que l’hebdomadaire catholique The Herald a intenté pour faire droit à sa demande d’utiliser le mot ‘Allah’ dans ses colonnes en malais. Et chacun a à l’esprit qu’en 2010, après qu’un tribunal statuant en appel eut donné raison au Herald, plusieurs églises et une école catholique avaient été la cible d’attaques.

Au plan politique, les événements semblent se précipiter après plusieurs semaines de tension continue. Avant même l’attaque de ce lundi, le leader de l’opposition Anwar Ibrahim avait appelé, dans un discours prononcé dimanche 26 janvier à Subang, localité proche de Kuala Lumpur, à un « dialogue » entre la coalition au pouvoir, menée par le Barisan Nasional, et la coalition de l’opposition, le Pakatan Rakyat. « Nous n’avons pas vu une telle montée de la tension dans notre pays depuis les événements qui ont mené à la tragédie nationale du 13 mai 1969 », a déclaré Anwar Ibrahim, en référence aux très meurtrières émeutes intercommunautaires du 13 mai 1969 qui sont depuis restées, dans le discours politique malaisien, comme un traumatisme ne devant plus jamais se répéter. « Les voix de la haine et de l’animosité, les voix des préjugés et de la méfiance, les voix de la destruction et de la ruine tentent de détruire l’harmonie, la coopération et la compréhension mutuelle que nous sommes parvenus à rebâtir sur les ruines de cette tragédie [du 13 mai 1969] », a mis en garde celui qui est aujourd’hui considéré comme l’une des figures dominantes de l’opposition.

Le même jour, le Premier ministre Najib Razak s’est dit prêt à étudier « au sein du cabinet » la proposition du leader de l’opposition. Il a aussi réitéré les propos qu’il avait tenu le vendredi 24 janvier, à savoir que la déclaration en dix points de 2011 était toujours valide. C’était la première fois depuis des semaines que le Premier ministre s’exprimait sur la polémique autour de l’usage du mot ‘Allah’. Il rompait ainsi un silence que beaucoup lui reprochait.

Vendredi 24 janvier, Najib Razak s’est toutefois contenté de dire que la déclaration en dix points de 2011 autorisait les chrétiens des Etats de Sabah et de Sarawak, en Malaisie orientale, à utiliser le mot ‘Allah’ dans leurs livres en malais, et que dans les autres Etats de la Fédération, c’est-à-dire dans les Etats de la Malaisie péninsulaire, cette autorisation était du ressort des législations locales. « J’espère que chacun peut accepter [la déclaration en dix points] car elle ne touche pas aux droits des autres races à pratiquer leur religion », a déclaré le Premier ministre, ajoutant espérer que « chacun reste calme et ne sur-réagisse pas ».

Pour les milieux chrétiens en Malaise, si la réaffirmation publique par le Premier ministre de la validité de la déclaration en dix points est un élément positif, elle demeure nettement insuffisante. En effet, ce texte, qui n’est qu’une déclaration gouvernementale, ne possède pas la force juridique que pourrait revêtir une loi ou même un simple règlement. Autrement dit, elle ne peut servir à défendre juridiquement le droit des chrétiens de langue malaise qui vivent en Malaisie péninsulaire, à pratiquer leur foi en langue malaise. Les chrétiens dénoncent notamment l’incohérence qu’il y a à ce qu’un chrétien de Sabah ou de Sarawak puisse dire ‘Allah’ en lisant sa bible en malais ou en allant à la messe en malais lorsqu’il se trouve à Sabah ou Sarawak, mais ne le puisse plus à l’instant où il pose le pied à l’aéroport de Kuala Lumpur, situé dans l’Etat de Selangor, un des Etats de la péninsule malaise où les autorités religieuses musulmanes ont pris des arrêtés interdisant l’usage du mot Allah par les non-musulmans.

Dans un pays dont près de 60 % des 28 millions d’habitants sont musulmans, les chrétiens représentent 9 % de la population. Les deux tiers d’entre eux vivent à Bornéo, dans les Etats de Sabah et de Sarawak. Au fil de l’essor économique que connaît la Malaisie et des migrations vers les grands centres urbains et industriels de la péninsule, les chrétiens de langue malaise originaires de Sabah et de Sarawak sont désormais nombreux parmi les communautés chrétiennes de Malaisie péninsulaire.

(eda/ra)