Eglises d'Asie – Pakistan
Le cas de Rimsha Masih pourrait remettre en question la loi anti-blasphème
Publié le 03/09/2012
Dans l’affaire de Rimsha Masih, qui a été répercutée par les médias du monde entier et a suscité une forte attention médiatique et politique au Pakistan, tout le monde attendait que la justice se prononce sur l’âge de la jeune chrétienne et son état de santé mentale. Ses avocats tablaient sur le fait que les juges ne pouvaient que reconnaître son irresponsabilité pénale et seraient donc amenés à prononcer un non-lieu. Samedi 1er septembre, la surprise a été complète lorsque la police a écroué l’imam de la mosquée proche du lieu où vivait la famille de Rimsha Masih.
Les enquêteurs étaient intrigués par le fait que, dans le sac de papiers que la fillette était sensée avoir brûlés, se trouvaient des feuilles effectivement en partie calcinées et deux pages intactes du Noorani Qaida, un manuel d’apprentissage de la langue arabe et du Coran. Leurs soupçons ont été confirmés lorsqu’un aide de l’imam a accusé ce dernier d’avoir ajouté ces pages du Noorani Qaida aux feuilles brûlées. Selon la police, l’aide de l’imam et deux autres témoins ont prié l’imam de ne pas fabriquer de fausses preuves, mais celui-ci « a répondu : ‘Il s’agit de la seule façon d’expulser les chrétiens de ce quartier’ ». « En plaçant des pages du texte sacré sur des cendres, il a profané le Coran et a donc aussi été accusé de blasphème », a précisé un enquêteur, qui a ajouté que les relations entre chrétiens et musulmans dans le quartier de Mehrabad s’étaient dégradées ces derniers mois. L’imam reprochait aux chrétiens de faire entendre de la musique et des sons de cloche à l’heure de l’appel à la prière des musulmans, tandis que des propriétaires musulmans auraient voulu récupérer le terrain des maisons louées par les chrétiens.
Dans l’immédiat, l’horizon judiciaire de la jeune Rimsha Masih, qui est maintenue en détention depuis quinze jours, s’éclaircit. Une grève du barreau du Pendjab a certes entraîné un report de l’audience qui devait se tenir ce 3 septembre mais, le 7 septembre, sauf nouvel élément, le juge devrait prononcer la remise en liberté de la fillette.
Au sein de la communauté chrétienne, ce rebondissement a été accueilli avec le plus vif soulagement. Directeur de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, le P. Emmanuel Yousaf a déclaré à l’agence Fides : « Faire la vérité dans l’affaire Rimsha Masih à propos des fausses accusations la concernant est un bienfait non seulement pour la communauté chrétienne mais aussi pour tout le Pakistan. (…) Depuis longtemps, les évêques et les minorités religieuses ainsi que les défenseurs des droits de l’homme dénoncent les abus commis au nom de la loi sur le blasphème. Désormais ceux-ci sont exposés aux yeux de tous. »
Parmi la majorité musulmane de la population pakistanaise, ces derniers jours, des voix s’étaient élevé pour défendre la jeune chrétienne. Le Conseil des oulémas du Pakistan avait demandé une enquête « impartiale et approfondie » et appelé à des « mesures strictes » contre les accusateurs s’il s’avérait que de fausses allégations avaient été proférées. A Karachi, le responsable d’une des grandes mosquées de la ville a exprimé sa disponibilité à « accueillir et prendre soin de Rimsha et de sa famille » au nom de la solidarité interreligieuse.
Quant à l’avenir de la loi sur le blasphème, des analystes pakistanais font valoir qu’inculper l’imam de la mosquée de Mehrabad au nom de cette loi n’était pas le meilleur service à rendre à la société pakistanaise. Dans l’édition datée du 3 septembre du quotidien Dawn, un éditorialiste écrit que le Code pénal pakistanais permettait l’inculpation de l’imam pour « fabrication de pièces à conviction, faux témoignage et trouble à l’ordre public », mais qu’il serait « malvenu » de l’inculper au nom de la loi anti-blasphème.
« On ne peut corriger le mauvais usage qui est fait de cette loi en la retournant contre ceux-là même qui en font un mauvais usage, écrit l’éditorialiste. Ce dont [le Pakistan] a besoin est un débat national et une refonte complète de sa législation, laquelle de toute évidence prête le flanc à un détournement abusif par des personnes poursuivant des vengeances personnelles ou animées d’une idéologie religieuse extrémiste. » L’éditorialiste poursuit en faisant appel à l’Etat, sans l’aide duquel « le climat de peur qui entoure ces questions ne pourra être déraciné », mais sans cacher la difficulté de la tâche : « C’est parce que l’Etat n’a cessé, depuis si longtemps, d’esquiver ses responsabilités que la situation est devenue celle que nous connaissons. La situation continuera à se dégrader tant qu’aucune action forte ne sera entreprise. »