Eglises d'Asie

Islamabad : sanglant attentat-suicide alors que les chrétiens commémorent l’assassinat de Shahbaz Bhatti par les talibans

Publié le 03/03/2014




La capitale du Pakistan est sous le choc : quelques heures seulement après les célébrations commémorant l’assassinat de Shahbaz Bhatti il y a trois ans par des islamistes, un attentat-suicide contre un tribunal a fait 11 morts et plus de 25 blessés. 

Ce lundi 3 mars, peu avant 9 h 00, heure locale, des hommes armés ont pénétré dans un tribunal d’Islamabad et ont ouvert le feu, avant que deux d’entre eux n’actionnent leur ceinture d’explosifs.

Selon les derniers rapports de police, onze personnes ont été tuées et au moins vingt-cinq autres, transportées au Pakistan Institute of Medical Sciences (PIMS) sont actuellement entre la vie et la mort. Le porte-parole de l’hôpital, le Dr Ayesha, a confirmé la mort de onze victimes parmi lesquelles se trouvent le juge Rafaqat Awan, plusieurs avocats et au moins un policier.

Les forces de sécurité d’Islamabad ont déclaré que les assaillants – qui n’auraient été que quatre en tout lors de l’attaque – étaient toujours cachés dans la ville et que les quartiers alentours étaient fouillés minutieusement. Selon les derniers éléments de l’enquête, les agresseurs, âgés de 20 à 25 ans, « étaient armés de kalachnikov et de grenades, étaient vêtus du shalwar kameez (tenue traditionnelle composée d’une longue tunique et d’un pantalon ample) et avaient leurs visages couverts de longues barbes ».

Cette attaque, qui n’a pas encore été revendiquée, intervient deux jours après l’annonce d’un cessez-le-feu d’un mois par le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), regroupement de factions islamistes armées, afin de permettre de mener à leur terme les négociations de paix avec le gouvernement pakistanais. Le ministre de l’Intérieur, Chaudhry Nisar Ali Khan, avait salué cette décision le 2 mars dernier, déclarant qu’« après l’annonce positive de la veille des talibans, le gouvernement avait décidé de suspendre les frappes aériennes des derniers jours ».

Le dialogue de paix, très controversé, qui s’était amorcé ces derniers temps, avait été en effet suspendu il y a deux semaines par Islamabad, après l’exécution de 23 paramilitaires par une faction talibane. En représailles, l’aviation pakistanaise avait pilonné les positions des rebelles islamistes dans leurs fiefs des zones tribales du nord-ouest, à la lisière de l’Afghanistan.

Cependant, si le gouvernement a annoncé suspendre ses raids aériens en réponse au cessez-le-feu des talibans, il s’est clairement réservé «le droit de répondre d’une manière adéquate à tout acte de violence ».

Le porte-parole du TTP, Shahidullah Shahid, a donc réagi rapidement, ce lundi, afin de disculper le groupe islamiste de toute implication dans l’attentat du tribunal d’Islamabad. « Nous n’avons aucun lien avec cette attaque, et nous soutenons fermement le cessez-le-feu», a-t-il déclaré, ajoutant il y a quelques heures qu’il était possible que des « groupes dissidents » soient à l’origine de l’attaque, ayant alors « agi sans autorisation ».

Le Premier ministre Nawaz Sharif et le ministre de l’Intérieur Chaudhry Nisar Ali Khan ont tous deux fermement condamné l’attentat, dont l’affaire devrait être portée devant le juge dès demain matin 4 mars.

Le dernier attentat-suicide dans la capitale remonte à juin 2011, il y a trois ans, peu après le raid d’un commando américain visant Oussama Ben Laden à Abbottabad.

Il y a trois ans, Islamabad était également endeuillée par un autre attentat, qui avait coûté la vie le 2 mars 2011 à Shahbaz Bhatti, ministre des Minorités, catholique convaincu et ardent détracteur de la loi anti-blasphème. Un engagement qui avait conduit à son assassinat par les talibans, ont rappelé des milliers de personnes venues commémorer sa mort au cours de manifestations pacifiques et de veillées de prières dans tout le pays, plus particulièrement à Islamabad. Ces célébrations et appels à la paix, qui ont débuté vendredi 28 février, se sont terminées dimanche 2 mars, tard dans la nuit, quelques heures seulement avant le tragique attentat contre le tribunal.

Vendredi dernier au soir, une foule de chrétiens entourait la branche féminine du Pakistan People’s Party (PPP), dont Shahbaz Bhatti avait été l’un des leaders, pour un hommage à l’ancien ministre des Minorités, devant l’Assemblée législative du Pendjab. « Shahbaz Bhatti était un homme courageux qui a donné sa vie pour les droits des minorités persécutées dans le pays, a déclaré l’un des militant du PPP. Son souvenir sera toujours présent dans nos coeurs ; il est le symbole de la résistance contre tous ceux qui veulent retirer leurs droits aux minorités au nom de la religion. »

Les représentants de la communauté chrétienne se sont adressés au gouvernement, demandant que la justice ne soit plus « entre les mains de criminels qui se croient autorisés à commettre des actes haineux au nom de la religion ». Redemandant, comme chaque année que les meurtriers de Shahbaz Bhatti soient poursuivis, les chrétiens se sont unis aux militants des droits de l’homme pour réclamer l’abolition de la loi anti-blasphème afin que « le sacrifice de Shahbaz n’ait pas été vain ».

Dimanche 2 mars, la commémoration de l’anniversaire de l’assassinat du seul ministre catholique du Pakistan a débuté par une messe à Khushpur, son village natal, où se sont pressés des milliers de catholiques, mais aussi de nombreux militants et politiciens de toutes confessions.

Les responsables de la All Pakistan Minorities Alliance (APMA), fondée par Shabhaz Bhatti, ont ensuite organisé une cérémonie publique devant le mémorial dédié à l’ancien ministre à Islamabad. Un message du frère du politicien assassiné, Paul Bhatti, a été lu lors de la célébration, appelant le gouvernement à « prendre des engagements forts en faveur de la paix » alors que le Pakistan se trouvait « dans une période cruciale de son histoire ». Paul Bhatti est actuellement en Italie, où il s’est réfugié pour échapper aux menaces de mort des islamistes. Une veillée de prière a ensuite rassemblé une foule nombreuse autour du mémorial devant lequel ont été déposé des centaines de cierges.