Eglises d'Asie

Les « boîtes à bébé » feront-elles évoluer la perception commune sur les enfants abandonnés et handicapés ?

Publié le 04/03/2014




Après une première expérimentation lancée en juillet 2011 à Shijiazhuang, au Hebei, le gouvernement chinois a installé une trentaine de « boîtes à bébé » dans plusieurs grandes villes du pays. L’objectif est de permettre aux parents qui le désirent, d’abandonner les enfants qu’ils estiment ne pouvoir élever. L’initiative rencontre …

… un réel succès et ce sont très majoritairement des enfants handicapés qui sont déposés anonymement. Elle soulève en même temps une polémique, la législation chinoise ne connaissant pas le dispositif de l’accouchement sous X et punissant l’abandon d’enfant.

Le succès des « boîtes à bébé » semble avoir été immédiat. Celle de Xi’an, au Shaanxi, a reçu son premier bébé le 4 décembre, quelques jours seulement après son ouverture ; il s’agissait d’un nourrisson de sexe masculin, atteint de trisomie 21. A Canton, au Guangzhou, la « boîte à bébé » a été inaugurée juste avant le Nouvel An lunaire ; quinze jours plus tard, 79 bébés y avaient été déposés, la plupart souffrant de maladies ou de handicaps plus ou moins sévères (dont quinze atteints d’infirmité motrice cérébrale).

En Chine, si une mère souhaite abandonner son enfant, quelle que soit la raison, elle ne peut trouver aucune aide de la part des pouvoirs publics – l’accouchement sous X n’existe pas et les services de l’assistance publique ne sont pas équipés pour accueillir les nouveau-nés –, ni de soutien non plus de la part de ses proches, les grossesses hors mariage étant encore largement tabou. Pour autant, l’abandon d’enfant est une réalité en Chine comme ailleurs dans le monde et vient régulièrement défrayer la chronique. En mai de l’année dernière, les réseaux sociaux avaient très largement répercuté l’histoire de ce nourrisson de Jinhua, au Zhejiang, retrouvé coincé dans un conduit de toilettes et miraculeusement extrait vivant et en bonne santé de sa « prison ». Plus récemment et plus tragiquement, les mêmes médias avaient fait état d’un bébé retrouvé dans une poubelle de Pékin, portant encore son cordon ombilical mais qui était mort – de froid sans doute – avant l’arrivée des secours.

Pendant des années, les autorités chinoises se sont toutefois refusé à ouvrir des centres destinés à rendre plus sûr – mais plus facile aussi – l’abandon des nouveau-nés. La priorité était au contraire de lutter contre les adoptions « illégales » ou « sauvages » – i.e. non signalées auprès des autorités civiles –, le trafic de nourrissons ou de très jeunes enfants étant une industrie florissante dans le pays.

En septembre 2008, une nouvelle « Directive sur l’adoption des enfants » a ainsi été publiée conjointement par cinq ministères du gouvernement, visant à renforcer la protection des enfants illégalement adoptés. Mais à en juger par la chronique médiatique, la pratique du trafic d’enfants perdure : selon les sources, entre 10 000 et plusieurs dizaines de milliers d’enfants sont enlevés chaque année en Chine, que ce soit de jeunes garçons qui seront adoptés par des familles en mal d’héritier mâle ou de jeunes filles qui seront plus tard épousées dans des régions rurales que les filles du cru ont quitté pour les zones urbaines. Le phénomène est passé à l’ère numérique : il y a quelques jours la police a coordonné une action nationale visant quatre sites Internet (« Réalisez votre rêve familial », « Tout le monde me veut », « Adopt 8 » (chiffre de la bonne fortune) et « Chine Orphelin.Net ») qui servaient d’intermédiaire entre « l’offre » et « la demande ». Un millier de personnes ont été interpellées et 382 très jeunes enfants destinés à être vendus ont été retrouvés.

Dans ce contexte, la mise en place par le gouvernement de « boîtes à bébé » est une initiative résolument novatrice. « Nous ne pouvons empêcher les abandons [d’enfant] mais nous pouvons faire en sorte d’en changer l’issue », a déclaré Han Jinhong, directeur du centre de Shijiazhuang où a été installée la première des « boîtes à bébé ». Comme cela est souvent le cas en Chine, la réforme, testée dans un premier lieu, est ensuite progressivement étendue au reste du pays. En août dernier, le ministère des Affaires civiles a ainsi autorisé les plus grandes villes des 31 provinces et territoires du pays à s’équiper de telles installations. Chacune des « boîtes à bébé » sera pourvue d’un berceau, d’une couveuse, de matériel d’assistance respiratoire d’urgence ainsi que d’un chauffage ou de la climatisation (selon la région et la saison). La personne qui viendra déposer un enfant dans le berceau déclenchera une sonnette d’alarme, entraînant l’intervention avec un léger délai des personnels de soin ; le lieu et ses environs immédiats ne seront pas sous surveillance vidéo et la police n’enquêtera pas.

Même s’ils restent un crime puni par le Code pénal, les abandons d’enfant à la naissance sont une réalité en Chine. Dans un pays où la politique de l’enfant unique reste en vigueur – même si elle n’est pas universelle et a été récemment assouplie –, les familles marquent une préférence pour la mise au monde d’un enfant en bonne santé, si possible de sexe masculin. Les statistiques sont inexistantes ou peu fiables mais les avortements sélectifs, bien qu’interdits par la loi, sont pratiqués. Le déséquilibre des sexes à la naissance au profit des garçons est bien connu – ainsi que son corollaire : l’avortement des fœtus de sexe féminin –, mais l’élimination des enfants présentant une malformation est aussi une réalité, qui se trouve à présent questionnée par les Chinois.

L’agence Ucanews rapporte ainsi qu’en 2012, Sina Weibo, l’équivalent local de Twitter, a demandé l’opinion des internautes sur la mise en place des « boîtes à bébé ». Certains sondés mettent en cause la politique sociale du gouvernement. « Si nous disposions de dispositifs d’accueil pour les handicapés – tout spécialement les enfants –, les parents se débarrasseraient-ils ainsi de leurs enfants ? Les boîtes à bébé témoignent peut-être d’un souci humanitaire, elles reflètent surtout les manquements du gouvernement », témoigne ainsi ‘Pupu l’Invincible’.

Le débat porte également porté sur le fait de savoir si de tels dispositifs aboutissent à « faciliter » les abandons d’enfants. Un sondage publié sur le portail d’informations officiel de la ville de Shenzhen indique que 35 % des 1 348 personnes interrogées estiment que les « boîtes à bébé » encouragent les parents d’enfants non désirés à les abandonner, et 17 % des sondés se déclarent opposés à leur mise en place. Mais 67 % des sondés ont estimé que le dispositif augmentera les chances de survie d’enfants qui, sans cela, auraient été abandonnés, voire supprimés.

Selon un autre sondage réalisé par le Planning familial du Guangdong en 2011, la moitié des jeunes filles migrantes, qui constituent une part importante des 10 millions d’habitants de la ville de Shenzhen, ont des relations sexuelles hors mariage. Une sur deux est tombée enceinte au moins une fois. Or, en Chine, avoir un enfant hors mariage est puni par la loi et les mères célibataires peuvent être poursuivies en justice. Dès lors, en cas de grossesse, si le père les abandonne, les jeunes filles n’ont le choix qu’entre l’avortement, l’abandon ou le meurtre du bébé. Dans le district de Baoan, à Shenzhen, dix jeunes migrantes célibataires, âgés de 16 à 23 ans, ont été condamnées depuis 2009 pour infanticide.

Pour Tang Rongsheng, directeur du Centre du bien-être de Shenzhen, discuter du bien-fondé de la mise en place de « boîte à bébé » revient à discuter de la nécessité de sauvegarder la vie des nourrissons. « Si nous empêchons les ‘boîtes à bébé’ au motif qu’elles favorisent le crime d’abandon d’enfant, nous sacrifions sciemment la vie de nouveau-nés, ce qui est contraire à la loi, à la moralité publique et à notre civilisation », argumente-t-il dans un article publié par le Nanfang Ribao, quotidien cantonais du Parti communiste (1).

(eda/ra)