Eglises d'Asie – Corée du Nord
Tactique de l’ambivalence : Pyongyang libère un missionnaire et procède à des tirs de missiles
Publié le 05/03/2014
« Le Nord présente un double visage avec d’un côté des gestes de conciliation et de l’autre des provocations inconsidérées », a commenté Kim Min-seok, porte-parole du ministère sud-coréen de la Défense.
Lundi 3 mars, Pyongyang a annoncé la libération de John Short, 75 ans, missionnaire australien arrêté le mois dernier pour propagande religieuse, expliquant avoir autorisé son expulsion « par mansuétude en raison de son grand âge ». Le chrétien protestant, qui est à la tête d’une maison d’édition religieuse à Hongkong, avait été appréhendé à son hôtel le 18 février pour avoir distribué des tracts sur la Bible près d’un temple bouddhiste à Pyongyang le 16 février dernier, jour anniversaire du père de l’actuel dirigeant, Kim Jong-il. Ce dernier point, essentiel dans un pays où le seul culte autorisé est celui des « leaders suprêmes », lui avait valu d’être accusé de « crime contre la foi du peuple coréen envers ses dirigeants ».
« Je reconnais maintenant la gravité de mon crime envers le peuple coréen dont j’ai déclenché la juste colère, et j’en demande humblement pardon », peut-on lire dans la confession écrite du missionnaire signée du 1er mars et diffusée par l’agence officielle nord-coréenne KCNA. Après avoir « supplié à genoux la Corée du Nord de bien vouloir avoir pitié » de lui, John Short termine sa « confession libre » par cette phrase : « Je réalise que les médias des Etats-Unis et des pays occidentaux qui disent que la Corée du Nord est un pays fermé et n’a pas de liberté de religion disent des choses inexactes et fausses. » Arrivé lundi soir à Pékin, le missionnaire, en larmes, a refusé de parler aux reporters, se disant trop fatigué.
La Corée du Nord libère généralement les détenus étrangers après confession de leurs crimes par les intéressés, lesquels sont nombreux à avouer, par la suite, l’avoir fait sous la contrainte (1). Les motifs d’accusation, les termes de la confession et la libération « pour raison d’âge » de John Short sont similaires à ceux de l’Américain Merrill E. Newman, 85 ans, expulsé en décembre dernier, après 42 jours de détention par Pyongyang. L’ancien vétéran de la guerre de Corée avait déclaré peu après que ses aveux lui avaient été soustraits par la force.
Cependant, le ressortissant américain d’origine sud-coréenne, Kenneth Bae, n’a, lui, pas bénéficié de cette clémence. Détenu depuis novembre 2012 pour avoir tenté de « renverser » le régime, il a été condamné à quinze ans de travaux forcés. Aucune démarche diplomatique de la part des Etats-Unis n’a pu jusqu’à présent permettre sa libération
De même, un prisonnier baptiste sud-coréen, Kim Jung-wook, 50 ans, porté disparu en octobre dernier à la frontière chinoise, a fait son mea culpa lors d’une conférence de presse la semaine dernière, confessant être « un espion au service de la Corée du Sud » et avoir été « chargé de monter une Eglise souterraine à Dandong, en Chine » pour lui servir de couverture. Selon la KCNA, Kim Jung-wook aurait été arrêté en possession de « bibles et de matériel vidéo chrétien ». L’agence officielle cite de larges extraits de ces aveux publics au cours desquels Kim Jung-wook déclare « se repentir de ses actes criminels » tout en assurant « ne pas avoir été maltraité en prison ». Quant au quotidien sud-coréen JoongAng Ilbo (Korea Joongang Daily) de ce 4 mars, il souligne que nul ne connaît la sanction dont est menacé le chrétien, mais que la demande de libération formulée par Séoul a été rejetée par Pyongyang. Selon Radio Free Asia, plusieurs dizaines de Nord-Coréens, accusés d’être les « complices » du missionnaire baptiste sud-coréen, ont été arrêtés le régime nord-coréen et font face à un sort funeste : les camps d’internement au mieux, une exécution sommaire au pire.
Alors qu’elle annonçait lundi 3 mars la libération de John Short, la Corée du Nord a lancé simultanément deux missiles à courte portée dans la mer du Japon, depuis sa côte orientale. « Les deux missiles ont suivi une trajectoire de plus de 500 kilomètres », a affirmé le ministère sud-coréen de la Défense, indiquant qu’il s’agissait vraisemblablement de Scud de courte portée, capables d’atteindre toutes les cibles possibles en Corée du Sud.
Des tirs semblables avaient déjà été effectués les 11 et 27 février derniers, dans le cadre de la riposte nord-coréenne traditionnelle « à la provocation des forces impérialistes » c’est-à-dire aux manœuvres militaires conjointes des Etats-Unis et de la Corée du Sud qui se déroulent tous les ans à la même époque aux abords de la péninsule.
La Corée du Sud a réagi aux derniers tirs en donnant hier 3 mars le coup d’envoi de deux jours d’exercices à tirs réels afin de « tester ses défenses orientales contre une éventuelle invasion nord-coréenne ». Ce mardi 4 janvier, la Corée du Nord a récidivé, lançant en tout sept missiles, toujours depuis sa côte sud-est. Rappelant qu’en 2012 et 2013, des tirs de missiles et surtout, des essais nucléaires avaient valu au régime totalitaire d’être sanctionné sévèrement par le Conseil de sécurité des Nations Unies, Séoul a menacé Pyongyang de porter plainte pour violation de la résolution de l’ONU.
Cette réactivation des tensions, alors que Pyongyang venait tout juste d’accepter la reprise des rencontres des familles séparées depuis la guerre de Corée (1), ne surprend cependant pas les spécialistes de la péninsule. A la tête du pays depuis fin 2011, le jeune Kim Jong-un s’est engagé dans une politique encore plus ambivalente que ses prédécesseurs, maniant parfois simultanément les propositions de dialogue et les gesticulations militaires. L’année 2013 a été particulièrement marquée par un durcissement du régime ; des vagues de répression très fortes ont secoué le pays, jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat, comme l’a montré, en décembre dernier, l’exécution sommaire de l’oncle du jeune leader pour « haute trahison ».
Le pays totalitaire doit cependant faire face aujourd’hui à un rapport accablant de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord, qui demande au Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale.
Le rapport de 372 pages qui sera présenté au Conseil des droits de l’homme lors de sa session de mars à Genève dénonce, pour la première fois, sur la base de témoignages et autres « éléments crédibles », les violations graves des droits fondamentaux et les crimes contre l’humanité qui se commettent en Corée du Nord. Diffusé mi-février, ce rapport du Conseil des droits de l’homme estime que « des centaines de milliers de prisonniers politiques ont péri dans des camps pendant les 50 dernières années », lesquels ont été « graduellement éliminés par des famines délibérées, le travail forcé, les exécutions, la torture, les viols, les infanticides ». Selon le document, il y aurait encore aujourd’hui entre « 80 000 à 120 000 prisonniers politiques détenus dans quatre grands camps prisons ».
Si la commission chargée en mars 2013 par les Nations Unies d’enquêter sur les droits de l’homme en Corée du Nord n’a pu obtenir l’autorisation de Pyongyang de se rendre sur place, elle a pu interroger de nombreux fugitifs et témoins en Corée du Sud, au Japon, au Royaume-uni et aux Etats-Unis. « Maintenant, la communauté internationale ne peut plus dire qu’elle ne savait pas », a déclaré le président de la commission, Michael Kirby. Selon lui, les crimes commis en Corée du Nord sont comparables à ceux des nazis lors de la seconde guerre mondiale.
La commission a adressé un courrier à Kim Jong-un, dans lequel elle souligne que ces abus ont le plus souvent été commis sous la responsabilité et le contrôle direct des organismes d’Etat comme l’armée, la magistrature, le Parti des travailleurs de Corée mais aussi le dirigeant nord-coréen lui-même. Les enquêteurs ont également signifié à la Chine qu’elle se rendait potentiellement coupable de complicité de crimes contre l’humanité, en renvoyant des exilés nord-coréens dans leur pays. La communauté internationale est, elle aussi, pointée du doigt, accusée de ne pas avoir apporté de « réponse adéquate » aux souffrances du peuple nord-coréen.
Pour finir, la commission appelle le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir la Cour pénale internationale (CPI) pour que les responsables de ces crimes répondent de leurs actes devant la justice internationale, y compris le dirigeant suprême Kim Jung-un. Sans surprise, la Chine a fait savoir, avant même la publication officielle du rapport, qu’elle désapprouvait par avance une saisine de la CPI.
(eda/msb)