… tenus le 27 janvier dernier par Yu Zhengsheng, n° 4 du Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois. Des propos qui laissent penser que le pouvoir chinois n’entend pas desserrer le contrôle qu’il exerce sur les religions.
Yu Zhengsheng, du fait de sa position au Comité permanent du Bureau politique, est l’une des sept personnalités qui dirigent la Chine populaire. Plus spécifiquement en charge des questions religieuses au Tibet et au Xinjiang, son influence sur la politique religieuse du pouvoir chinois est considérable. Rapportés par le Quotidien du peuple, les propos qu’il a tenus le 27 janvier ne font pas référence à une communauté religieuse en particulier mais ils insistent sur le fait qu’il est nécessaire de prendre des « mesures » afin d’assurer que « les activités religieuses » ne se transforment pas en « actes illégaux ».
Bien que Yu Zhengsheng n’ait fait aucune référence directe au Xinjiang, le grand ouest chinois où les troubles entre les populations autochtones musulmanes et l’administration chinoise gagnent en intensité, c’était, à l’évidence, de cette région dont il était question. Trois jours plus tôt en effet, le vendredi 24 janvier 2014, six personnes avaient péri dans des « explosions » et six autres avaient été tuées par la police à Xinhe, dans la préfecture d’Aksu. L’incident, rapporté par les médias officiels chinois, aurait été provoqué par des « terroristes » ayant attaqué à l’aide d’« explosifs » une boutique vendant de la viande de porc et un salon de massage. Alors que la police tentait d’arrêter les coupables, des heurts auraient éclaté, la police ouvrant le feu et tuant six personnes, six autres personnes trouvant la mort dans l’incendie de leur véhicule, embrasé après des tirs de la police.
Selon le Congrès mondial ouïghour, organisation d’exilés du Xinjiang basée en Allemagne, aucun explosif n’aurait été lancé contre les deux boutiques en question, et tout aurait été déclenché par une manifestation pour demander la fermeture de ces deux échoppes considérées par la population ouïghoure comme non conforme aux préceptes islamiques (le salon de massage aurait abrité des activités de prostitution). Ainsi que le souligne le correspondant à Pékin du quotidien français Libération, « comme c’est souvent le cas au Xinjiang, les deux parties en présence livrent (…) des interprétations des faits assez contradictoires » et « il est d’autant plus difficile de faire la part des choses que les journalistes étrangers sont généralement empêchés par les autorités de se rendre sur place ».
Depuis les graves émeutes antichinoises survenues en 2009 à Urumqi (197 morts), capitale du Xinjiang, les actes de violence n’ont cessé de se multiplier dans cette région. Aux arrestations massives, à la mise en place de restrictions d’ordre religieux et à l’obligation de l’enseignement en chinois dans les écoles pour siniser la population, les Ouïghours ont répondu par des attaques de commissariats, le plus souvent à l’arme blanche. En octobre dernier place Tienanmen, à Pékin, un attentat commis par une famille ouïghoure a provoqué la mort de deux touristes et, selon un décompte des médias chinois, une centaine de personnes, dont un nombre important de policiers, ont trouvé la mort du fait de ces tensions depuis le mois d’avril dernier au Xinjiang.
Dans ce contexte, alors qu’en mai dernier, Yu Zhengsheng visitait une mosquée au Xinjiang pour promouvoir la vision exprimée par le président Xi Jinping de « construire une civilisation matérielle et spirituelle », il semble bien que l’appui que le régime cherche à trouver du côté des religions – et d’une pratique religieuse en plein essor – ne se traduise pas, dans la vision des dirigeants chinois, par l’octroi d’une plus grande autonomie à ces mêmes religions.
Au cours de l’été dernier, le même Yu Zhengsheng visitait cinq monastères bouddhistes dans la région du Grand Tibet – une fréquence de visites de lieux de culte très inhabituelle pour un aussi haut dirigeant du Parti –, mais là encore cette attention pour les moines ne s’est pas accompagnée d’un desserrement de l’étau policier enserrant la région. Depuis mars 2011, plus de 120 Tibétains, moines et laïcs, se sont immolé par le feu – dont le dernier en date remonte au 5 février dernier : un Tibétain, jeune père de deux enfants, mort par le feu à Malho, dans l’est du Tibet –, ces immolations témoignant de la résistance de la population tibétaine à l’emprise Han sur la région.
Mais, au-delà de la situation particulière du Xinjiang et du Tibet, deux régions où l’irrédentisme des populations autochtones s’appuie sur une appartenance religieuse marquée, le pouvoir chinois ne semble pas prêt à laisser une plus grande autonomie à la sphère religieuse. Les études des chercheurs chinois ou étrangers le montrent, une des religions qui se développent les plus en Chine actuellement est le christianisme, notamment le protestantisme. On ne compte plus les cercles privés de lecture de la Bible ou de prière qui se réunissent en-dehors des lieux de culte contrôlés par le Mouvement des trois autonomies, l’instance chargée du contrôle des Eglises protestantes. On pourrait donc penser que l’étau étatique qui s’exerce sur les religions serait ici en voie de se desserrer. Or, de récentes arrestations démentent cette analyse.
Le 24 janvier dernier en effet, Xu Yonghai et une quinzaine de chrétiens appartenant à la communauté Shengai (‘Amour saint’) ont été arrêtés et sont depuis détenus sous le coup d’une inculpation pour « rassemblement illégal et manifestation non autorisée ». Fondateur il y a 25 ans de ce groupe protestant, Xu Yonghai et ses amis se rendaient, ce jour-là, au domicile d’un ancien dissident, Zhang Wenhe, dans la banlieue de Pékin pour y prier ensemble. La police a investi l’appartement où ils étaient réunis et a arrêté le groupe. Selon les informations disponibles, les interrogatoires des policiers ont porté sur les liens éventuels que ces chrétiens auraient entretenu avec les milieux proches de Xu Zhiyong, un avocat, fondateur du Mouvement des nouveaux citoyens, condamné deux jours plus tôt à quatre ans de prison ferme.
Xu Zhiyong n’est pas à proprement parler un dissident. Issu de la classe moyenne chinoise, né dans une famille chrétienne, il vise, à travers des actions menées « au nom de la liberté, de la justice et de l’amour » auprès des défavorisés et des pétitionnaires, à faire progresser la justice chinoise. Son procès et sa condamnation sont intervenus à un moment où le Mouvement des nouveaux citoyens prenait une dimension nationale. Vigilant à ne pas laisser les initiatives issues de la société civile se constituer en contre-pouvoir, l’Etat-Parti a donc fait le choix de la répression, tout comme il a sanctionné Xu Yonghai et ses proches de peur de voir les chrétiens, de fait très présents dans les milieux intellectuels et les professions juridiques, s’organiser en réseaux indépendants du Parti.
Du côté des catholiques, le traitement infligé à Mgr Ma Daqin, évêque « officiel » de Shanghai, a montré ce qu’il en coûtait d’afficher publiquement la volonté de se tenir à distance de l’Association patriotique des catholiques chinois. Alors que de nombreux sièges épiscopaux sont vacants en Chine continentale et qu’il devient important de nommer un évêque auxiliaire ou coadjuteur à Hongkong où l’évêque en titre, le cardinal John Tong Hon, aura 75 ans en juillet prochain, aucune information ne filtre laissant à penser que le dialogue entre Pékin et le Saint-Siège a été renoué.
Le 8 février dernier, interviewé par L’Avvenire, le secrétaire d’Etat du Saint-Siège, Mgr Pietro Parolin, a toutefois réitéré la disposition du Vatican à engager « un dialogue constructif avec les autorités chinoises ». Il a précisé qu’à la suite de l’élection du pape François, « des signes d’une attention renouvelée envers le Saint-Siège étaient récemment venus de Chine », sans plus de détail. Il rappelait aussi que le pape était jésuite, comme l’avait été « son confrère le P. Matteo Ricci », sous-entendant peut-être par là que le grand évangélisateur et apôtre de l’inculturation de l’Evangile en Chine, dont le dossier de béatification a été transmis à Rome début janvier, pourrait jouer un rôle dans la reprise du dialogue entre Rome et Pékin.
Selon le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong et personnalité connue pour son franc-parler, le fait que Xi Jinping et le pape François aient accédé quasiment en même temps aux plus hautes fonctions, il y a un an tout juste, ne doit toutefois pas amener à penser que les relations sino-vaticanes vont nécessairement aller vers un mieux. Dans un entretien accordé à l’agence AsiaNews à l’occasion du Nouvel An lunaire, le cardinal doutait de la volonté de la partie chinoise d’améliorer la relation : « On dit que le pape apprécie le tango, mais il faut être deux pour danser le tango. Peut-on supposer chez l’autre partie [la Chine] la même bonne volonté [que celle qui est témoignée par le pape] ? »
(eda/ra)