Eglises d'Asie – Birmanie
Le gouvernement birman rejette un appel des Nations Unies à reconnaître la citoyenneté des Royingyas
Publié le 22/11/2013
… qu’il ne reconnaissait pas l’existence d’« une minorité Rohingya » et que, par conséquent, il n’accorderait pas la citoyenneté aux musulmans de Birmanie qui se présentent comme Rohingyas.
Le 22 novembre, c’est par un message sur sa page Facebook, canal régulièrement utilisé par le gouvernement birman pour faire connaître ses prises de position officielle, que Ye Htut, porte-parole du président Thein Sein, a répondu à l’appel de la Commission des droits de l’homme de l’ONU. « La position du gouvernement du Myanmar est de ne pas reconnaître le terme ‘Rohingya’ », écrit le porte-parole, ajoutant que « les Bengalis qui vivent dans l’Etat [de l’Arakan], pour autant qu’ils répondent aux critères fixés par la Loi sur la citoyenneté de 1982, peuvent obtenir la citoyenneté [birmane] ».
Le porte-parole a insisté sur le droit du gouvernement birman à agir selon sa propre législation. « Nous ne pouvons accorder la citoyenneté à ceux qui ne répondent pas aux critères fixés par la loi, et ce quelles que soient les pressions. C’est là notre droit souverain », a-t-il affirmé. De son côté, l’ambassadeur de Birmanie à l’ONU, Kyaw Tin, a expliqué à la commission onusienne que son pays « avait une position ancienne contre le fait d’utiliser le terme de ‘minorité Rohingya’ ».
Pour les Nations Unies, qui ont décrit, dans de précédents rapports, les Rohingyas comme étant « l’une des minorités les plus persécutées au monde », la Birmanie est certes sur la bonne voie, étant donné les progrès réalisés dans le pays en matière de respect des droits de l’homme sous la présidence de Thein Sein, mais le traitement réservé aux Rohingyas en Arakan et, par voie d’extension, aux musulmans ailleurs dans le pays « inquiète ». Le gouvernement « devrait accorder à la minorité Rohingya un accès équitable à la citoyenneté et autoriser la conduite d’enquêtes pleinement indépendantes et transparentes au sujet des rapports faisant état de violation des droits de l’homme », demande ainsi la Commission pour les droits de l’homme de l’ONU, dont les appels sont transmis à l’assemblée générale des Nations Unies.
Depuis juin 2012, la situation des Rohingyas de l’Arakan, qui n’était déjà pas bonne, s’est considérablement dégradée. Des heurts entre Royingyas et Arakanais avaient alors fait près de deux cents morts – principalement des Rohingyas – et des dizaines de milliers de déplacés – surtout des Rohingyas qui vivent depuis dans des camps particulièrement insalubres. Depuis, des incidents, souvent meurtriers, se sont multiplié.
Pour le gouvernement birman, les Rohingyas, de religion musulmane, ne sont que des « Bengalis », termes à la fois péjoratifs et qui renvoie cette minorité à un statut d’immigrés illégaux venus du Bangladesh voisin. La loi de 1982, passée sous la junte militaire alors au pouvoir, stipule que les minorités ethniques du pays peuvent prétendre à la citoyenneté birmane pour autant qu’elles sont en mesure d’attester leur présence sur le sol national avant 1823 – une disposition taillée sur mesure pour écarter les Rohingyas de la citoyenneté, ceux-ci étant en grande partie formés de migrants du Bangladesh venus en Arakan à l’époque du colonisateur britannique pour travailler dans les exploitations agricoles. En dépit des changements survenus à la tête du pays depuis 2011 et de la mue de la junte militaire en un régime civil, la politique à l’endroit des Rohingyas n’a pas changé et le pouvoir en place persiste à ne pas reconnaître aux Rohingyas le statut de minorité. A titre d’exemple, dans les formulaires du recensement qui sera mené l’an prochain – le premier depuis trente ans –, la longue liste des 135 communautés ethniques minoritaires reconnues par les autorités ne comprend pas celle des Rohingyas.
Au-delà du gouvernement, la politique des autorités vis-à-vis des Rohingyas semble partagée par la majeure partie des acteurs de la scène politique nationale. Dans l’Etat de l’Arakan, le Rakhine National Development Party (RNDP), qui représente la majorité bouddhiste de la population de l’Etat, tient un discours très ouvertement anti-Rohingya. « A travers les Nations Unies, je sens que les grandes puissances tentent de faire pression sur nous. Nous ne donnerons jamais notre terre [aux Rohingyas], pas un seul mètre carré, jamais. Nous protégerons nos terres en faisant le sacrifice de nos vies, si cela est nécessaire », a réagi Aye Maung, président du RNDP auprès du magazine en ligne The Irrawaddy. Du côté de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, le ton est moins combatif mais « l’accord » avec le président Thein Sein sur ce point est très réel. « Les Rohingyas n’existent pas selon la loi du Myanmar », a déclaré Nyan Win, porte-parole de la LND, à un journaliste de l’AFP.
Du côté de la société civile, le sentiment anti-musulman, latent dans la société, s’exprime assez ouvertement. En visite en Birmanie du 14 au 17 novembre dernier, une délégation de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) a pu se rendre près de Sittwe, en Arakan, où elle a visité un camp de Rohingyas. Le jour de leur visite, une foule de quelque 5 000 personnes, emmenée par des moines bouddhistes, a manifesté pour protester contre la présence de la délégation issue de pays musulmans. Des manifestations semblables ont eu lieu à Rangoun et à Lashio. Le 20 novembre, la police a arrêté trois hommes à Rangoun, des bouddhistes de l’Arakan, suspectés de préparer des attentats à la bombe contre des mosquées de la ville.
Par ailleurs, avec la fin de la saison des pluies, les départs d’embarcations emmenant des Rohingyas qui tentent de fuir l’Arakan pour gagner la Thaïlande ou la Malaisie ont recommencé. Le 3 novembre, un de ces bateaux a chaviré dans le golfe du Bengale, peu avoir quitté la région de Sittwe. Sur les 70 occupants de ce bateau, seulement six survivants ont été retrouvés. Selon le témoignage de réfugiés rohingyas qui ont réussi le passage, les forces de sécurité birmanes laissent les Rohingyas partir contre des pots-de-vin s’élevant à 2 000 dollars par bateau.
(eda/ra)