Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Présentation d’un projet de législation religieuse

Publié le 31/10/2013




Ces dernières années, cellules de réflexion et bureaux de recherche du gouvernement ont largement et ouvertement débattu de la question de la religion et du droit dans la société chinoise, mettant en avant des propositions pour résoudre les nombreuses « questions religieuses » qui continuent d’affecter le gouvernement et la société. Un de ces think tanks, …

… l’Institut Pushi pour les Sciences sociales à Pékin, défend l’idée, depuis longtemps déjà, que le problème fondamental est qu’en Chine les religions sont positionnées en-dehors de l’Etat de droit.

En d’autres termes, il n’existe aucune loi qui protège (ou interdise) les religions ; il n’y a que des réglementations conçues pour contrôler et gérer les religions. En conséquence, soutient le professeur Liu Peng, président de l’Institut Pushi pour les Sciences sociales, il est nécessaire que l’Assemblée nationale populaire (ANP) promulgue une Loi sur les religions.

Au cours de ces dix dernières années, le professeur Liu et son équipe de Pushi ont travaillé sur cette question et, en juin de cette année, ils ont publié un avant-projet pour une telle loi. Il a été rendu public au cours du « Symposium 2013 sur les religions et l’Etat de droit », qui s’est déroulé à Pékin en juin. Naturellement, le chemin est encore long avant de voir le vote effectif d’une telle loi par l’ANP. Toutefois, la publication de ce projet fournit un aperçu intéressant sur certains débats et discussions qui ont lieu aujourd’hui en Chine. Proche des milieux protestants, notamment des Eglises domestiques, très introduit aux Etats-Unis, le professeur Liu a récemment accordé un entretien au Christian Times au sujet de son projet et c’est cet article, publié le 15 août 2013, qui est traduit ci-dessous (1). La traduction en français est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

Lors du XVème Congrès du Parti communiste chinois, la stratégie de « gouverner la nation conformément à la loi » fut inscrite à l’ordre du jour. L’an dernier, à l’occasion du XVIIIème Congrès du PCC, cette stratégie a encore été précisée. Au sujet des questions religieuses, nombreux sont les universitaires et les religieux qui laissent entendre depuis plus de dix ans déjà qu’une loi sur les religions devrait être adoptée afin de mieux gérer les questions religieuses.

Le 20 juillet, l’Assemblée nationale populaire (ANP) et le Centre de recherche parlementaire de la faculté de droit de l’Université de Pékin, l’école de droit de l’Université des Etudes étrangères de Beijing et l’Institut Pushi pour les Sciences sociales ont organisé conjointement à Pékin le « Symposium 2013 sur la religion et l’Etat de droit ». Lors du colloque, le professeur Liu Peng, président de l’Institut Pushi pour les Sciences sociales a rendu public le premier « Projet de préconisation citoyenne en vue d’une législation religieuse chinoise » (2013), proposé par lui et ses collègues de l’Institut.

Il a présenté les éléments de base et le cadre du projet, lequel comprend dix points :
Section I : Dispositions générales
Section II : Personnes morales religieuses
Section III : Emplacements pour des activités religieuses
Section IV : Activités religieuses
Section V : Personnel religieux
Section VI : Propriété religieuse
Section VII : Education religieuse
Section VIII : Culture religieuse et art
Section IX : Echanges religieux internationaux
Section X : Dispositions complémentaires

Le professeur Liu a indiqué qu’au cours des dix dernières années, il a été amené, au titre de ses fonctions à l’Institut Pushi pour les Sciences sociales, à étudier les législations religieuses de divers pays, en comparant et analysant des modalités de base des lois sur la religion dans le monde et dans la région de Taiwan. Ce projet de loi sur les religions, résultat de ces études, part des conditions prévalant actuellement dans la société chinoise. « Nous avons eu plus de dix ans de discussions. Nous avons commencé par poser les questions suivantes : qu’est-ce que la liberté religieuse ? Quelles sont les relations entre religion et Etat de droit ? Pourquoi une législation religieuse est-elle nécessaire ? Cet ensemble constitue la base de recherches approfondies pour les questions connexes. Nous avons finalement achevé le projet de loi religieuse en juin de cette année. »

Le professeur Liu signale que le but de cette proposition visant à mettre en place une législation religieuse est de sensibiliser à l’importante question de la législation religieuse et de résoudre les problèmes religieux en Chine par l’Etat de droit. Le professeur Liu estime que c’est le cours des choses de notre époque que de mettre en place une loi religieuse et cette proposition s’accorde avec l’orientation générale de gouvernance par l’Etat de droit.

Une législation religieuse est la composante indispensable de la construction juridique chinoise. Elle fournira les moyens essentiels pour résoudre les frictions et les problèmes religieux et améliorera un système de gestion qui actuellement ne donne pas satisfaction.

En vertu des règles qui sont sensées diriger un Etat de droit, la Chine a besoin d’une législation religieuse. L’élaboration d’une telle législation doit être ouverte, démocratique et scientifique ; il conviendra d’écouter les voix des milieux religieux, universitaires, juridiques et gouvernementaux et de préconiser une large participation de personnes appartenant à divers domaines. Le professeur Liu espère que ce projet de proposition de loi religieuse sera un point de départ, offrant un cadre à tous ceux qui s’intéressent à la religion et à l’Etat de droit pour réfléchir et en examiner les aspects spécifiques.

Le professeur Liu précise que la nécessité d’une législation religieuse n’est pas seulement une question liée à l’émergence d’un Etat de droit, mais qu’elle intègre aussi la question de comprendre « dans quelle mesure le pays est prêt à faire de la religion un facteur positif dans la société ». Depuis les années 1990, le professeur Liu a étudié les religions et l’Etat de droit, appelant à la réforme du système de gestion religieuse en Chine et à l’accélération de l’adoption d’une législation religieuse et de l’Etat de droit. Pour en favoriser la promotion, le professeur Liu a publié de nombreux articles et organisé plusieurs conférences sur la religion et l’Etat de droit à l’Institut Pushi pour les Sciences sociales dont il est le directeur. Après dix ans d’efforts, un public de plus en plus large des milieux religieux et universitaires a commencé à prêter attention à cette question, tout en reconnaissant l’importance nationale, éthique, sociale et religieuse de l’Etat de droit dans la religion. Les questions religieuses en Chine ne peuvent être effectivement et raisonnablement résolues que par l’Etat de droit.

Présentation de quelques-uns des points principaux du projet de loi religieuse

Au cours du colloque, le professeur Liu a brièvement présenté le contenu du projet de loi religieuse, dont voici quelques-uns des points principaux.

1.) Le cœur du projet de loi est la liberté de croyance religieuse et la séparation des Eglises et de l’Etat

Dès le départ, le projet de loi religieuse met l’accent sur la liberté de croyance religieuse et la séparation des Eglises et de l’Etat. Ce sont là les principes de base ainsi que les objectifs clés du projet de législation religieuse. Le point focal du projet vise à protéger la liberté de croyance religieuse plutôt que les gérer ou les restreindre. Dans le même temps, le projet avance nettement la proposition consistant à ce que « le pays mette en œuvre la séparation de l’Eglise et de l’Etat ». La séparation des Eglises et de l’Etat est un principe fondamental dans les pays qui suivent les règles de l’Etat de droit pour traiter des relations entre les Eglises et l’Etat dans une société moderne. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » L’une des raisons principales faisant que beaucoup de problèmes religieux n’ont pas été résolus en Chine est que les Eglises et l’Etat ne sont pas séparés et que la législation ne parvient pas à établir de modèle pour cette séparation.

2.) Les organismes religieux sont libres de décider s’ils veulent se déclarer en tant que personnes morales religieuses

Les groupes religieux sont libres de décider s’ils veulent se déclarer comme personnes morales religieuses. Les catégories de « organisation religieuse » et « personne morale religieuse » doivent être différenciées. Si une organisation religieuse choisit de se déclarer en tant que personne morale religieuse, elle peut alors jouir des droits et obligations à caractère civil comme une entité indépendante ; si elle choisit de ne pas se déclarer en tant que personne morale, elle jouit alors de la même liberté de religion que les groupements déclarés, mais n’est pas considérée comme une entité civile indépendante.

Le professeur Liu affirme que « lorsqu’un organisme religieux signe un contrat ou traite avec d’autres organisations sociales et nécessite une identification, la question de savoir s’il faut se déclarer et devenir une personne morale religieuse revêt une grande importance ». Il dit aussi que « les groupes religieux déclarés peuvent travailler avec d’autres institutions de la société civile en tant qu’entités indépendantes ; les groupes religieux non déclarés sont simplement des associations volontaires de citoyens croyants, ils n’ont pas besoin de l’identité d’une personne morale s’ils n’interagissent pas avec d’autres personnes ou institutions de la société. Par ailleurs, il y a des confessions qui refuseront d’entrer dans le domaine public en raison de leurs croyances religieuses et leur choix doit être respecté ».

Si une organisation religieuse n’est pas enregistrée comme personne morale religieuse et quand on en vient aux questions des propriétés religieuses, les dispositions applicables de la législation religieuse ne s’appliquent pas à leur cas ; elles devraient plutôt suivre les dispositions de la loi sur la propriété ou les principes généraux du droit civil. « Pour les organismes religieux qui ne sont pas déclarés en tant que personnes morales religieuses, leurs biens ne sont pas des biens nationaux, mais des propriétés privées appartenant aux membres du groupe et devant être protégées par le droit civil. »

3.) Les biens culturels et religieux ne cessent pas d’être des biens religieux simplement parce qu’ils sont aussi considérés comme des biens culturels

La propriété de biens religieux constitue un enjeu singulier : certains biens religieux sont en même temps des biens culturels. A qui appartiennent ces biens ? Qui doit entretenir ces biens ? Qui en sont les propriétaires : les organisations religieuses, le ministère des Biens culturels ou d’autres organismes ?

Sur ce point, le professeur Liu cite les clauses applicables contenues dans le projet de législation religieuse et propose une solution. Un chapitre entier du projet, fort de 55 articles, concerne la propriété religieuse. L’article 22 stipule que « les groupes religieux, les lieux d’activités religieuses, les écoles religieuses et autres institutions religieuses ont le devoir de protéger les vestiges culturels. Aucun organisme ou particulier ne doit prendre possession de biens religieux sous prétexte de protection des trésors culturels. Pour les bâtiments religieux, les stèles commémoratives, les sculptures et les biens similaires qui appartenaient à l’origine à des organisations religieuses et que l’Etat a classés ultérieurement comme biens culturels (gérés et utilisés par des membres du clergé avant la Révolution culturelle, occupés et confisqués par des groupes non-religieux après la Révolution culturelle) seront restitués aux organismes religieux d’origine, aux lieux de culte, écoles ou autres institutions qui en étaient les propriétaires ou aux personnes morales religieuses héritières de ces institutions religieuses, et ce dans l’année suivant la date de mise en œuvre de cette loi. Les biens religieux appartenant à des personnes morales religieuses et qui sont déclarés biens culturels ne changeront pas leur nature de biens religieux en raison de leur statut de biens culturels ».

Le professeur Liu estime que tous les vestiges culturels doivent être bien protégés. Cependant, la possession d’un bien religieux ne doit pas être modifiée parce qu’il devient un bien culturel ou qu’il devient la propriété d’une autre personne. Il est excessif d’affirmer que, parce qu’un bien religieux est classé aussi comme bien culturel, la propriété de ce bien doit être attribuée à une autre entité. Les biens religieux anciens sont définis en premier lieu comme des biens religieux, ensuite comme des biens culturels anciens. Dans les faits, ceux qui y sont le plus attachés veulent la plus grande protection. A l’évidence, ce sont les organisations religieuses et les croyants. Des biens nombreux et précieux ont été conservés pour la plupart dans les mains d’organismes religieux et de croyants. Le dirigeant bouddhiste Zhao Pu a écrit des articles examinant précisément pourquoi des groupes religieux doivent protéger les biens religieux.

4.) Organisations et lieux de culte ne devraient pas réaliser de profits

Quelle conduite adopter avec les organisations religieuses et les biens religieux situés dans des sites touristiques ? Les temples doivent-ils vendre des billets au titre de leur attractivité touristique ? A ce propos, le professeur Liu prend une position claire dans le projet de la loi religieuse : « Pour ce qui concerne les habitations, les bâtiments, les installations annexes, les arbres et plantes, les tombeaux, les tours commémoratives et autres structures appartenant à une personne morale religieuse implantés dans un site touristique, les droits de propriété et les droits d’utilisation et de gestion appartiennent à la personne morale religieuse. Aucun parti et organisme gouvernemental, groupes ou individus ne doit attribuer ces propriétés pour quelque raison que ce soit à des organismes non religieux ou à des particuliers. Si la propriété religieuse a été occupée ou transférée, elle doit être restituée à l’organisme religieux » (article 56). « Les personnalités juridiques religieuses ou des partis et des organismes gouvernementaux, groupements et individus ne doivent pas tirer profit des lieux de culte, des structures religieuses et installations annexes qui appartiennent à des personnes morales religieuses » (article 58). « La décision d’ouvrir ou non au public des structures religieuses, des lieux de culte, des écoles religieuses ou autres institutions religieuses et établissements affiliés sera prise par la personne morale religieuse. S’ils sont ouverts au public, l’accès doit être gratuit » (Article 59).

5.) Les personnes morales religieuses bénéficient d’un statut d’exonération fiscale

Conformément à la pratique internationale, les organisations religieuses jouissent en général de l’exemption fiscale. Le projet de loi religieuse reprend également ces dispositions.

Les revenus que les personnes morales religieuses tirent des activités religieuses, des propriétés religieuses, d’activités philanthropiques et de dons bénéficient d’un statut hors-taxes. Le champ d’application de l’exonération fiscale comprend les éléments suivants : 1.) les bâtiments utilisés par la personne morale religieuse, les lieux de culte et édifices religieux ; 2.) les stèles de pierre, tours et tombeaux, les columbariums appartenant à la personne morale religieuse ; 3.) les revenus d’activités religieuses organisées par la personne morale religieuse (rites religieux, psalmodies, consécrations, assemblées de Dharma, baptêmes, mariages, funérailles, communication spirituelle, cérémonies religieuses, fêtes religieuses et services religieux) ; 4.) les revenus provenant de la vente par la personne morale religieuse de classiques religieux, brochures, images, matériel audio et vidéo, artisanat, objets de dévotion ; 5.) les revenus générés au travers de l’aide sociale et les activités philanthropiques par la personne morale religieuse ; 6.) les donations (article 61).

6.) Dispositions concernant le contrôle financier religieux

Le contrôle financier des institutions religieuses est un point important. Le professeur Liu a présenté la disposition relative à cette question dans le projet de loi religieuse :

« Les personnes morales religieuses doivent suivre les méthodes de gestion financière du pays et de la comptabilité en conformité avec le système de gestion financière de l’Etat. Tout revenu doit être intégré dans la gestion financière » (articles 63, 64). « La gestion financière des personnes morales religieuses doit être transparente. La personne morale doit soumettre dans les délais impartis son rapport d’enquête annuel au gouvernement et en informer les fidèles et les donateurs. Ce rapport doit être vérifié par une tierce partie (un organisme de vérification des comptes compétent) avant d’être publié » (article 67). Afin d’éviter toute utilisation du statut de personne morale pour collecter des fonds ou se livrer à des activités de blanchiment d’argent, « si la personne morale religieuse résilie son enregistrement ou est destituée, le bureau civil d’enregistrement d’origine doit, en collaboration avec l’administration fiscale, procéder à la liquidation de ses biens et de sa situation financière. Après liquidation, les propriétés religieuses peuvent être attribuées à d’autres personnes morales religieuses, mais ne doivent pas, sous quelque forme que ce soit, être attribuées à des organisations non religieuses ou à des particuliers » (article 69).