Eglises d'Asie – Chine
La démission de l’évêque auxiliaire de Shanghai soulève des questions
Publié le 21/03/2012
… Mais, peu avant cette date, Mgr Jin s’était fracturé une côte à la suite d’une mauvaise chute et avait dû être hospitalisé. Ce n’est donc qu’aujourd’hui que celui qui est une grande figure de l’épiscopat chinois a été en mesure de présider cette cérémonie d’ordination.
Si ces ordinations sont un signe de « la continuité de la mission en Chine », ainsi que l’écrit le quotidien Xinde (‘La Foi’) de Shijiazhuang, elles posent cependant la question de l’absence à la cérémonie de Mgr Joseph Xing Wenzhi, l’évêque auxiliaire de la grande métropole de la côte est. Comme à l’époque du maoïsme triomphant où l’apparition ou la disparition de tel ou tel leader aux côtés du président Mao était interprétée comme le signe d’une promotion ou au contraire d’une disparition de l’avant-scène politique chinoise, tous les observateurs et les fidèles du diocèse de Shanghai ont en effet noté que le grand absent de la messe célébrée le 18 mars à la cathédrale Saint-Ignace de Shanghai était Mgr Xing. Cette absence confirmait la démission de l’évêque auxiliaire, laquelle, après des mois de rumeurs, avait finalement été révélée par Mgr Jin.
Aujourd’hui âgé de 49 ans, Mgr Xing avait été ordonné évêque auxiliaire du diocèse de Shanghai le 28 juin 2005. A l’époque, sa nomination par Rome – et entérinée par Pékin – avait été analysée comme un signe positif, étant sous-entendu que le nouvel évêque prendrait, le moment venu, la succession tant de l’évêque « officiel » de Shanghai, Mgr Jin, déjà âgé et affaibli par le diabète et une pathologie cardiaque, que de l’évêque titulaire « clandestin » de Shanghai, Mgr Fan Zhongliang, lui aussi très âgé. Originaire non de la grande métropole côtière mais du diocèse de Zhoucun, dans le Shandong, Mgr Xing avait peu à peu pris sa place, aux côtés de Mgr Jin, remplaçant celui-ci aussi souvent qu’il était nécessaire.
Il semble cependant que le jeune évêque auxiliaire ait rencontré des problèmes depuis au moins le mois de décembre 2010, voire auparavant. Le fait que Mgr Xing ait démissionné est devenu évident en décembre dernier lorsque son absence à la messe de Noël a été remarquée par tous. Une semaine auparavant, Mgr Jin avait nommé un nouveau vicaire général en la personne du P. Thaddeus Ma Daqin, un prêtre originaire de Shanghai âgé d’une quarantaine d’années ; il avait annoncé par la même occasion qu’il avait accepté la démission de Mgr Xing.
Le retrait de l’évêque auxiliaire étant devenu éminemment visible, la blogosphère catholique chinoise s’est mise à bruire de rumeurs, sans que soit apportée de réponse à la question de la raison de sa démission. Un prêtre chinois a livré son analyse de cette situation à l’agence Ucanews. Ayant exercé son ministère à Shanghai, aujourd’hui actif dans le nord du pays, il écrit sous pseudonyme (2). Selon lui, un début de réponse à ce qu’il convient d’appeler « le mystère Xing » est à chercher du côté de la Huitième Assemblée nationale des représentants catholiques.
Cette assemblée, qui n’a aucune légitimité aux yeux de Rome, s’est tenue à Pékin du 7 au 9 décembre 2010. Les autorités chinoises y avaient fait « élire » des évêques illégitimes – non reconnus par le pape – au sein des instances dirigeantes de la partie « officielle » de l’Eglise en Chine. Sur les images diffusées à la télévision chinoise de cette assemblée (photo ci-contre), on pouvait voir, assis au premier rang, Mgr Xing. Par cette présence, les autorités chinoises semblaient vouloir dire que leur initiative était un succès, étant donné la présence à Pékin de celui qui avait été choisi pour succéder à l’évêque de Shanghai, chef du diocèse numériquement le plus important du pays (3).
Il semble cependant que l’attitude de Mgr Xing ait déplu aux autorités gouvernementales. Mgr Xing fut en effet critiqué lors de cette assemblée pékinoise pour ses « trois ‘non’ » : l’évêque auxiliaire de Shanghai s’était gardé de revêtir sa soutane d’évêque, de porter sa calotte épiscopale et, enfin, il n’avait pas fait montre d’un grand enthousiasme lors de l’assemblée elle-même. En d’autres termes, même si Mgr Xing était physiquement présent à Pékin pour cette huitième assemblée, son attitude témoignait de son désaveu de l’Association patriotique des catholiques chinois et des méthodes employées par le gouvernement pour élire les responsables de la Conférence des évêques « officiels » de Chine.
Selon le prêtre anonyme qui s’est exprimé dans les colonnes de Ucanews, l’attitude de Mgr Xing n’aurait dû surprendre personne. Même si cette huitième assemblée avait « élu » Mgr Jin au poste de président honoraire des organes officiels de l’Eglise en Chine (« honneur » partagé avec le laïc Liu Bainian, véritable « patron » de la politique du gouvernement chinois sur l’Eglise catholique), Mgr Xing partageait avec Mgr Jin un certain mépris pour M. Liu Bainian comme pour les injonctions politiques venues de Pékin. Comme ce rappelle le prêtre anonyme, Mgr Jin avait eu, par le passé, l’audace de critiquer Liu Bainian en lui assénant face à face : « Si l’Eglise en Chine est dans un tel chaos, c’est à cause de vous ! »
Pour les autorités chinoises, Mgr Xing ne serait donc pas assez malléable. En octobre dernier, lorsque Liu Yuanlong, vice-président de l’Association patriotique, s’est rendu à Shanghai pour présenter à Mgr Jin, les nouveaux responsables élus lors de la huitième assemblée, Mgr Xing avait pris soin d’être absent et fait en sorte qu’aucun prêtre ne l’accueille. Seuls des responsables locaux de l’Association patriotique étaient présents. Pour les dirigeants nationaux de l’Association patriotique, l’affront était évident.
Reste que le soudain départ de Mgr Xing demeure en partie inexpliqué. Selon certains, il aurait démissionné de son office pour des raisons personnelles et serait retourné vivre à Zhoucun ; selon d’autres, il aurait pris un travail civil dans les environs de Shanghai. Si le désaveu des autorités civiles semble évident, des questions demeurent quant à une éventuelle incompatibilité entre lui et le presbyterium shanghaien, voire avec Mgr Jin lui-même. On peut seulement noter que Mgr Jin a pris soin, en nommant le P. Ma Daqin, de choisir un Shanghaien. Ayant commencé son ministère parmi les « clandestins », le P. Ma a rejoint les rangs des « officiels » il y a une dizaine d’années environ.
Quelles que soient les raisons personnelles qui ont pu motiver la décision de Mgr Xing, il est clair que celui-ci est avant tout victime du système de contrôle et de pressions du gouvernement sur les responsables de l’Eglise, pressions pouvant aller jusqu’à tendre des pièges pour ensuite exercer un chantage sur les membres du clergé. Mgr Xing a peut-être choisi de démissionner plutôt que de céder au chantage. Figure emblématique parmi les jeunes évêques chinois, connu pour son intégrité et sa résistance au gouvernement, sa démission a créé un choc auprès de l’ensemble du clergé en Chine (en particulier auprès de tous les jeunes prêtres formés par Mgr Xing, durant les nombreuses années où il a été supérieur du séminaire de Sheshan).