Eglises d'Asie

Découverte d’un charnier de 80 personnes : l’évêque de Mannar réclame la vérité

Publié le 28/02/2014




Les restes de 80 personnes, dont des femmes et des enfants, ont été découverts dans le district de Mannar, l’un des plus touchés par la guerre civile (1). Le charnier a été mis à jour fin décembre 2013 par des ouvriers qui effectuaient des travaux de voirie près du temple de Thirukketheeswaram. 

Après l’exhumation de 37 corps en janvier dernier, les fouilles, interrompues pendant la période des fêtes, ont repris récemment, aboutissant à la découvert d’une quarantaine de cadavres supplémentaires le 24 février dernier.

Mgr Rayappu Joseph, évêque catholique de Mannar, a célébré le 25 février une messe collective pour ces 80 personnes non identifiées, à laquelle a participé, selon l’agence AsiaNews, une foule constituée de plusieurs prêtres et religieuses ainsi que de nombreux habitants de la région. « Nous voulons savoir ce qui est arrivé à ces gens, a déclaré l’évêque lors de son homélie. Nous voulons des réponses. Le gouvernement ne peut pas se contenter de délivrer des certificats de décès aux familles dont les proches ont disparu sans explication (…). Nous devons nous faire entendre, au nom de tous ceux qui ont disparu sans laisser de traces. Nous avons le devoir de nous battre pour la justice et la vérité. »

L’évêque, qui encourt régulièrement les foudres du gouvernement pour avoir été l’un des premiers à alerter la communauté internationale sur « le génocide tamoul », se bat depuis des années pour obtenir que le gouvernement enquête sur les disparitions inexpliquées.

Lors de la dernière phase de la guerre civile qui s’est achevée en 2009, des milliers de Tamouls ont été portés disparus et aucune véritable enquête n’a jamais été menée par les autorités gouvernementales soupçonnées aujourd’hui par les Nations Unies d’avoir participé à des opérations de « nettoyage ethnique », résume le Tamil Guardian dans son édition du 26 février.

« Pour le moment, nous avons trouvé les restes de 80 personnes environ, dont des femmes et des enfants. Nous sommes en train de déterminer comment et quand ils sont morts », a expliqué le médecin légiste chargé de l’enquête, le Dr Dhananjaya Waidyaratne.

Mais l’évêque de Mannar craint que les exhumations effectuées par les autorités civiles sur le chantier du charnier n’aboutissent à la disparition des preuves de crimes de guerre. C’est ce que souligne également un document envoyé par l’Asian Legal Ressource Centre (ALRC) au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, lequel l’a examiné le 22 février dernier. Rapportant la découverte des premiers corps en janvier, le mémorandum souligne qu’aucune précaution particulière n’a accompagné l’exhumation des cadavres, ce qui rendra par la suite impossible la datation de la fosse, comme la manière dont sont décédées les victimes ainsi que leur identification. Les fouilles ont été conduites à la pioche et au bulldozer, détruisant tous les indices nécessaires à une véritable investigation scientifique. L’ALRC recommande donc au Conseil des droits de l’homme d’envoyer des experts sur place afin de « donner une chance à la vérité ».

Le gouvernement sri-lankais a immédiatement nié le fait que les forces armées puissent être impliquées dans la mort de ces 80 civils, rappelant que la région de Mannar était un des bastions des Tigres tamouls et que des troupes indiennes déployées lors de troubles civils au Sri Lanka entre 1987 et 1990 avaient également occupé cette zone. Dans sa déclaration, souligne le Sri Lanka Guardian dans son édition du 27 février, Colombo passe cependant sous silence le fait que c’est dans cette région reconquise par l’armée sri-lankaise dès 2008 qu’ont été signalées le plus de disparitions inexpliquées de civils ainsi que le plus de cas de tortures et d’exécutions sommaires.

La macabre découverte du 24 février intervient quelque jours après le rejet par le gouvernement sri-lankais de la demande des Nations Unies de superviser une enquête internationale sur les allégations de crimes de guerre et violations des droits de l’homme. Faisant mention de la découverte des premiers corps du charnier, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU expliquait que ces nouveaux éléments démontrant « l’ampleur et la gravité des violations qui avaient été commises » par les deux parties durant la guerre, appelaient d’autant plus la mise en place d’une enquête indépendante et impartiale.

Navi Pillai, qui connaît très bien le dossier sri-lankais et s’est rendu il y a quelques mois dans les territoires du Nord, a rappelé en outre à Colombo que le délai qui lui avait été imparti pour rendre un rapport « crédible et transparent » sur ces allégations de crimes de guerre, arrivait à expiration le 1er mars prochain, mettant les Nations Unies dans l’obligation de décider lors de la prochaine réunion du Conseil à Genève en mars prochain, d’une résolution à l’encontre du Sri Lanka.

Les protestations de Colombo sont d’autant moins prises au sérieux par la Commission des droits de l’homme qu’un rapport du Public Interest Advocacy Centre (PIAC), daté du 5 février dernier, vient tout juste d’être présenté à Genève, affirmant que des ordres de « destruction systématique de fosses dans lesquelles avaient été jetés de nombreux cadavres de Tamouls » avaient été donnés à l’armée et aux forces de sécurité sri-lankaises afin de « dissimuler le massacre de très nombreux civils ». La destruction de ces charniers, poursuit le rapport du PIAC, est « l’une des preuves les plus évidentes » des violations des droits de l’homme lors de la dernière phase de la guerre civile au Sri Lanka.

Ce document, présenté par une commission d’experts dont un ancien chargé d’enquête sur les crimes de guerre au sein des Nations Unies et un ex-porte-parole de l’ONU au Sri Lanka, désigne des responsables au sein des chefs de l’état-major sri-lankais et du gouvernement lui-même. « Plus de quatre ans après la fin de la guerre civile au Sri Lanka, le gouvernement sri-lankais n’a donné aucune réponse crédible aux allégations de violations de la loi internationale », peut-on encore lire dans cette étude qui liste les violations avérées des droits de l’homme, commises par les deux parties à l’encontre des populations civiles : bombardements et attaque à l’artillerie lourde, viols, meurtres, enlèvements, tortures, utilisation des civils comme boucliers humains, enrôlement d’enfants-soldats, etc. Le rapport conclut cependant en imputant aux forces armées sri-lankaises la plus importante partie des crimes de guerre. « Une enquête indépendante internationale est absolument nécessaire (…) faute de quoi il n’est pas permis d’espérer une quelconque réconciliation au Sri lanka », conclut-il.

« C’est un rapport accablant », a déclaré David Poopilapillai, porte-parole du Canadian Tamil Congress, au Telegraph du 27 février. « Et ce qui est particulièrement troublant, c’est que ces crimes ont été commis intentionnellement ; il ne s’agit pas de ‘bavures’. »

(eda/msb)