Eglises d'Asie

Mariages et conversions forcés : les membres des minorités religieuses sont les premiers concernés

Publié le 02/06/2012




Mercredi 30 mai dernier, plus de 150 enfants portant un masque où il était écrit « Stop à la violence » s’étaient rassemblés devant le Club de la presse à Lahore ; ils brandissaient des articles sur le mariage des enfants, le kidnapping des mineurs, le suicide des adolescentes violées et les conversions forcées de fillettes mariées contre leur volonté à un musulman.

Ce sit-in était l’une des manifestations organisées par la Society for the Protection of the Rights of the Child (SPARC), afin de dénoncer les violences croissantes envers « les plus vulnérables », essentiellement des femmes et des enfants des minorités religieuses.

La grande campagne de sensibilisation lancée le 28 mai dernier par l’ONG vient de s’achever aujourd’hui samedi 2 juin. Les élèves de plusieurs écoles de la région qui avaient suivi un programme de la SPARC ont participé à des spectacles et des pièces de théâtre sur les thèmes du trafic des enfants ou encore des mariages précoces. Dans toute la province du Pendjab, la plus touchée par le phénomène, ont également eu lieu des « marches » pour la défense des droits de l’enfant et le respect des populations discriminées.

La SPARC a monté cette opération après la série de suicides de plusieurs adolescentes violées, ainsi que le jugement très critiqué de la Cour suprême rendu à l’encontre de trois jeunes hindoues converties de force à l’islam (1). Sobia John, chargée à la SPARC de la lutte contre la violence envers les mineurs, a dénoncé lors de la manifestation, l’augmentation au Pendjab des abus de toutes sortes contre les enfants : kidnappings, mariages précoces, meurtres, actes de maltraitance, esclavage et abus sexuels. Selon l’organisation, depuis le début de l’année 2012, plus de 122 cas de violations des droits de l’enfant ont été rapportés par les médias, ce qui, souligne-t-elle, ne représente qu’une petite partie émergée de l’iceberg. Parmi ces cas rendus publics, on compte 40 viols ou abus sexuels, 14 meurtres, 22 kidnappings, 14 cas de maltraitance grave, 6 mariages forcés et 13 décès d’enfants faute de soins.

« L’Etat ne peut plus rester le spectateur silencieux de l’oppression des plus faibles », a déclaré le 30 mai Sajjad Cheema, responsable régional de la SPARC. « Nous demandons que soient immédiatement mises en place des lois interdisant ces pratiques et abus. Il faut également que l’ensemble de la population soit sensibilisée et éduquée aux valeurs de respect et de non-violence », a-t-il ajouté.

Samedi 2 juin, lors de la réunion de clôture de la semaine de sensibilisation de la SPARC à Lahore, Sajjad Cheema a réitéré son appel à la société civile, aux associations et aux médias afin de faire pression sur l’Etat pour qu’il accepte de « respecter les règles internationales », rappelant que le Pakistan avait ratifié la convention des droits de l’enfant en 1990 sans avoir jamais mis en place de législation sanctionnant les violences envers les mineurs.

Précédant de peu l’opération de la SPARC, l’Eglise catholique du Pakistan a elle ausi demandé à l’Etat d’adopter de toute urgence des lois protégeant les femmes, spécialement celles appartenant aux minorités religieuses. Lors d’une réunion le 26 mai dernier à Lahore, la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence épiscopale du Pakistan, appuyée par des avocats chrétiens et des militants des droits de l’homme, a vivement critiqué le jugement de la Cour suprême au sujet des trois femmes converties de force. Dans une déclaration commune, les participants du colloque ont dénoncé le fait qu’au Pakistan, malgré les dénonciations récurrentes de la Commission des droits de l’homme, des organisations de défense des droits de l’enfant, des ONG et des Eglises chrétiennes, la situation ne cessait de s’aggraver et que les lois promises pour protéger les enfants et les femmes n’étaient toujours pas votées.

Les femmes des minorités religieuses vivent sous la menace constante d’enlèvement et de conversion forcée, a rapporté notamment Peter Jacob, directeur de la Commission ‘Justice et Paix’, cité par l’agence Ucanews. Chaque année, a-t-il ajouté, un millier de jeunes filles chrétiennes et hindoues sont enlevées, violées et forcées à contracter un mariage avec un musulman, sans possibilité de recourir à la justice.

La Cour suprême a gravement failli à ses devoirs et à sa fonction, en ne voulant pas entendre la plainte des trois jeunes hindoues, et en refusant la pétition du Conseil hindou du Pakistan réclamant une loi contre la conversion forcée des femmes des minorités religieuses, a conclu Peter Jacob. Avec l’ensemble de la Commission ‘Justice et Paix’, il a appelé la Cour à revoir son jugement au sujet des trois femmes auxquelles aurait dû être appliqué « le principe juridique de la protection des personnes vulnérables ».

En mars dernier, la Cour suprême a en effet  jugé que trois femmes hindoues qui disaient avoir été kidnappées, mariées à des hommes musulmans et forcées à se convertir à l’islam, avaient l’âge requis par la loi pour une conversion et leur avait intimé l’ordre de retourner chez leurs époux. « Il n’y a de justice que pour les musulmans, il n’y a pas de justice pour les hindous. Tuez-moi ici au tribunal, mais ne me renvoyez pas là-bas. Tous ces gens sont main dans la main, ils vont nous tuer », avait déclaré l’une d’elles, Rinkle Kumari, devant la Cour.

A l’issue du colloque du 26 mai, rapporte l’agence Fides, l’assemblée a émis des recommandations à l’intention du gouvernement, dont l’établissement d’un comité interreligieux de vérification de chaque conversion, et l’obligation d’une période probatoire de trois à six mois pour les conversions précédant un mariage.

Selon Haroon Suleman Khokhar, l’un des avocats présents à la réunion, la loi anti-blasphème est souvent un moyen de conversion forcée. « Il existe des cas où les victimes acceptent de se convertir à l’islam pour ne pas être condamnées pour blasphème », a-t-il expliqué. Une pratique courante a qui été également dénoncée par Paul Bhatti, conseiller pour l’Harmonie nationale auprès du Premier ministre, au cours d’un séminaire organisé à Islamabad le 15 mai dernier. Intitulé « Lutter contre les conversions forcées », ce dernier réunissait, à la demande d’Akram Gill du ministère fédéral de l’Harmonie interreligieuse, différents spécialistes et hommes politiques, des ONG, ainsi que des membres du ministère de la Justice, du ministère des Affaires religieuses, du ministère des Droits de l’homme, de la Commission nationale pour le statut des femmes et du Conseil islamique. L’assemblée avait conclu également que seule « la mise en place d’un dispositif légal pourrait endiguer le phénomène [des conversions forcées] ».