Eglises d'Asie

L’archevêque de Rangoun s’inquiète du vote prochain d’une loi sur la liberté de religion

Publié le 14/04/2014




Tandis que se précise l’étude au Parlement de plusieurs projets de loi visant à « protéger la religion et la race » birmane, Mgr Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun, sort de sa réserve et met en garde contre toute velléité de l’Etat de s’ingérer dans le droit des personnes à choisir librement et …

… individuellement leur appartenance religieuse.

Selon Mgr Charles Bo, la menace que font peser ces projets de loi sur la liberté religieuse est suffisamment grave pour justifier une intervention de sa part aujourd’hui, alors que les attentes de la population sont fortes, trois ans après le début du processus de transformation de la junte militaire en un gouvernement civil respectueux du droit et des libertés.

S’exprimant devant différentes agences catholiques d’information, telles Ucanews et Fides, le prélat est revenu sur le contexte qui accompagne la présentation de ces projets de loi au Parlement. Emmenés par la faction des moines bouddhistes extrémistes connue sous le nom de Mouvement 969, des nationalistes birmans ont chargé des juristes de rédiger quatre projets de loi concernant les mariages interreligieux, la conversion religieuse ou bien encore le contrôle de la croissance démographique. Forts d’une pétition affichant 1,3 million de signatures, ces nationalistes sont porteurs d’une vision selon laquelle la nation birmane et bouddhiste, qui représente plus des deux tiers de la population du pays, est menacée par une poussée démographique et religieuse des musulmans venus du Bangladesh voisin. Ils ont obtenu du président Thein Sein que son gouvernement étudie ces projets de loi en vue de les présenter au vote des députés du Parlement.

Un des projets de loi les plus médiatisés est relatif aux dispositions civiles du mariage. S’il était adopté en l’état, une bouddhiste désireuse de contracter mariage avec un non-bouddhiste devrait au préalable obtenir l’accord tant de ses parents que des autorités de l’état-civil de son lieu de résidence. De plus, son futur mari se verrait dans l’obligation de se convertir au bouddhisme pour convoler en justes noces.

Pour Mgr Charles Bo, il y a là une immixtion de l’Etat dans le domaine religieux qui n’est pas souhaitable. « Le droit musulman pose qu’une personne désireuse de se marier avec un musulman devienne musulmane. Dans le cas d’un mariage avec une catholique, le droit de l’Eglise dit que cette personne doit s’engager à ce que les éventuels enfants du couple soient élevés dans la foi catholique. Il s’agit là de prescriptions religieuses. [Ce que porte le projet de loi à l’étude] est très différent dans la mesure où il s’agit d’une loi de l’Etat qui s’impose à un domaine qui appartient au religieux », a expliqué l’archevêque le 10 avril dernier dans son bureau situé derrière la cathédrale Sainte-Marie, à Rangoun.

Quant aux mesures visant à réglementer les conversions au bouddhisme, l’archevêque oppose là aussi un refus. « La conversion est un acte qui ressort de la liberté individuelle. Personne ne peut contraindre quelqu’un à embrasser une religion. Le pape lui-même fait part d’un grand respect envers les athées. Je pense que nous devons respecter la conscience de chacun. Nous ne pouvons forcer quiconque à adhérer à une religion ou à quitter une religion – pas même les parents, l’Etat ou les moines », a ajouté Mgr Bo.

Quant au projet de loi visant à limiter la croissance démographique de certaines catégories de population, les Rohingyas en réalité, qui sont déjà soumis à des règlements visant à limiter la taille de leurs foyers à deux enfants par famille, l’archevêque voit là des mesures qui mettront en danger les nouvelles libertés dont jouit depuis peu l’ensemble de la population du pays. « Si les restrictions se multiplient, ce n’est pas la démocratie », a-t-il mis en garde.

Au-delà des propositions de loi en cause, l’archevêque de Rangoun s’alarme du climat qui s’est instauré ces derniers temps dans le pays à la faveur des campagnes d’opinion des moines extrémistes du Mouvement 969. Il raconte ainsi avoir été frappé, lors d’une récente tournée effectuée par lui dans les environs de Rangoun, d’avoir entendu des sermons antimusulmans diffusés à longueur de journée par les haut-parleurs de pagodes bouddhiques.

« Ce discours de la haine s’est diffusé à tout le pays, constate-t-il, mettant nommément en cause le moine U Wirathu. Même parmi les croyants bouddhistes ordinaires, les préjugés à l’encontre des musulmans sont désormais profondément ancrés. Il suffit désormais d’un rien pour que la violence se déchaîne. J’estime que le gouvernement devrait agir pour contrer ces discours haineux, mais malheureusement, à ce jour, les autorités ne font rien ; elles se taisent. »

Trop rares, au goût de Mgr Bo, sont les initiatives telles la campagne lancée par le blogueur Nay Phone Latt ; intitulée Panzagar (‘discours fleuris’), elle vise à contrer sur les réseaux sociaux, très utilisés en Birmanie, les discours incitant à la haine de l’autre.

Pour sa part, à l’occasion de la Semaine Sainte et des fêtes de Pâques, Mgr Bo annonce que ses sermons seront autant d’appels à la tolérance entre les religions en Birmanie. Représentant une Eglise qui réunit à peine plus de 1 % de la population, il estime qu’« il est du devoir des responsables religieux de prêcher ce qui est bon dans leurs religions respectives ». « Plutôt qu’attaquer les autres religions, il faut prêcher ce qui est bon dans sa religion, la sainteté propre à sa religion », ajoute-t-il encore, soulignant la concomitance cette année de la Semaine Sainte des chrétiens avec la fête bouddhique de Thingyan, la fête de l’Eau du Nouvel An birman. « Que Pâques et le festival de l’Eau portent en eux la signification d’un renouveau, d’une humanité nouvelle lavée du péché et de la haine, voilà qui est un message riche en signification pour le Myanmar en 2014 », conclut Mgr Bo.

Selon la presse birmane, les propositions de loi en question sont encore à l’étude au sein des différents ministères concernés. Elles seraient prêtes à être présentées au Parlement vers le mois de mai prochain. Si le président Thein Sein n’a pas publiquement évoqué le degré de soutien qu’il apporte à ces textes de loi sur « la protection de la race et de la religion », le sujet est éminemment sensible, lui comme le président du Parlement, Shwe Mann, ne pouvant l’ignorer au vu de la pétition rassemblée par les moines bouddhistes et dans la perspective des élections générales de 2015. Du côté de l’opposition, Aung San Suu Kyi, a choisi de se positionner non sur le terrain de la liberté religieuse mais sur celui de la défense des droits, la législation envisagée constituant, selon elle, « une violation des droits de l’homme et des droits des femmes ».

(eda/ra)