Un nombre croissant de communautés qui, au départ n’étaient que de simples réunions privées – la plupart du temps dans des maisons délabrées -, ont récemment été enregistrées auprès du gouvernement local, bien que leurs membres continuent de rejeter les règles du Mouvement des trois autonomies, l’organe officiel de l’Eglise protestante en Chine. Comme beaucoup d’institutions dans le pays, ces Eglises naviguent dans un monde juridique flou.
Le Mouvement des trois autonomies a été créé en 1951 pour « libérer les chrétiens chinois de l’influence et des fonds étrangers en appliquant les trois principes suivants : autonomie de pouvoir, de gestion et d’annonce de l’Evangile. Selon des analystes, le fait que beaucoup de chrétiens de cette région se soient détournés de l’Eglise officielle résulte de l’histoire et de leur prospérité.
« Les chrétiens de Wenzhou ont beaucoup d’amis et de relations sociales ; ils sont très compétents explique Chen Cun-fu, président de l’Institut du christianisme et des études interculturelles à l’université Zhejiang, à Hangzhou. « Ils sont intelligents, ils savent comment agir. Ils sont jeunes, ils ont de l’argent, ils possèdent leurs téléphones portables et leur propre véhicule. » De fait, un nombre croissant d’étudiants, d’avocats, d’hommes d’affaires et de prédicateurs, élevés outre-mer, rejoignent aussi ces églises souterraines.
Selon le règlement de l’Eglise chinoise officielle, les offices en milieu de semaine sont interdits, tout comme le prosélytisme à l’extérieur des églises. Mais les règles sont souvent détournées et sont fonction des relations que les pasteurs peuvent avoir avec les autorités locales. Des églises, menées par des personnalités indépendantes d’esprit, refusent de se rendre aux réunions officielles ou de payer une redevance aux organismes officiels.
L’église de Bailouxia, plutôt délabrée et cachée dans une des ruelles de la ville prospère, a tout d’abord débuté par des réunions privées clandestines. Puis, les fidèles ont ensuite fait enregistrer l’église auprès des autorités locales et elle peut désormais arborer une croix à l’extérieur du bâtiment. Récemment, on pouvait voir quatre personnes âgées assises sur des bancs en bois vernis, en train de faire la sieste sous des ventilateurs. Un bambin importunait une femme qui épilait les sourcils d’une autre paroissienne. « Le temple de Dieu est laissé à l’abandon chantait un pasteur en jouant de la musique à partir d’un clavier électronique, lors de l’animation de l’office devant une soixantaine de personnes. « Où est le gardien ? Le mur s’est écroulé et tout le monde ne pense qu’à prendre soin de sa propre personne. »
Affrontements devant une construction d’église
Rien n’illustre mieux l’audace des chrétiens du Zhejiang que le bâtiment de l’église clandestine construite à la hâte cet été, dans la banlieue de Hangzhou, la capitale provinciale. Lorsque les autorités locales ont démoli l’église, des émeutes s’en sont suivies, avec près de 3 000 manifestants face à plusieurs milliers de policiers anti-émeute, d’agents de la Sécurité et de policiers en civil.
Ce fut l’épisode le plus intense d’une série d’arrestations, de descentes de police et de démolitions d’églises, considérées comme illégales par les autorités. Pour certains observateurs, les émeutes étaient seulement le dernier chapitre d’une longue bataille, engagée entre les autorités et une population de 45 à 65 millions de chrétiens chinois, au franc-parler de plus en plus prononcé. Pour d’autres militants, la répression de ces émeutes reflète une intensification des persécutions envers les Eglises non officielles.
L’église du district de Xiaoshan, construite en 1921, possédait ses propres bâtiments avant que le gouvernement local ne la réquisitionne pour en faire un hôpital, il y a quelques années. Depuis, les paroissiens ont entamé des négociations avec les autorités afin d’obtenir des dédommagements et un autre terrain, mais ils ne se sont vus allouer qu’un lieu très bruyant, en bordure d’autoroute. « Les habitants de Xiaoshan ont une forte tradition de réunions familiales ou de rassemblements à domicile ; et ils sont riches, ils veulent donc plus de liberté, précise Chen Cun-fu. Il est difficile pour le gouvernement de les réguler et de leur dire où ils doivent construire leur église. »
Las de ne pas avoir de réponses de la part des autorités, les paroissiens ont alors décrété, en juillet dernier, qu’ils ne pouvaient plus attendre. Des centaines d’entre eux se sont rassemblés dans le village de Cheluwan, à Xiaoshan, pour construire leur propre église. Ils ont commencé les travaux un lundi, un groupe encerclant le site afin de protéger le deuxième groupe qui travaillait de nuit. Certains bénévoles préparaient les repas pour les ouvriers, pendant que ces derniers, montés sur des échafaudages métalliques, se passaient, en fil indienne, pelles, sable, ciment et cordes.
Le samedi matin, il ne restait que la toiture à poser, mais, dans l’après-midi, les autorités locales ont envoyé quatre bulldozers, plusieurs centaines de camions et des milliers de policiers anti-émeute, d’agents de la Sécurité et de policiers en civil pour disperser les paroissiens.
« Arrêtez toute activité illicite intimait un policier, alors que des spectateurs utilisaient leurs téléphones portables pour photographier l’arrivée des forces de l’ordre. « Personne ne doit empêcher les fonctionnaires de l’Etat dans l’exercice de leurs fonctions. Personne ne doit déformer les faits, répandre des rumeurs ou troubler l’ordre public poursuivait le policier.
Une émeute a éclaté lorsque les paroissiens ont essayé d’empêcher la démolition de leur église. Plus de cinquante personnes ont été arrêtées, beaucoup d’entre elles ont été battues, précise un avocat des détenus, qui a interviewé et photographié les blessés. Six pasteurs ont été incarcérés pour avoir commandité les violences et fait obstruction à l’application de la loi. Le procureur devait décider de leur éventuelle inculpation.
Le chef du village, Wang, a quant à lui insisté sur le fait qu’il n’y avait pas eu de blessés et que l’église était clandestine, non enregistrée auprès des autorités. « Ce sont des hors-la-loi. Ils estiment que Dieu est l’autorité la plus haute et ils ne respectent pas la loi a-t-il déclaré par téléphone. Dans les médias officiels, on pouvait lire qu’un bâtiment illégal avait été démantelé. Toutefois, les informations d’émeutes, de répressions et d’arrestations se sont vite propagées parmi les chrétiens.
« Ce genre de choses peut seulement se passer dans le Zhejiang. Dans les autres provinces, les chrétiens n’oseraient pas construire une église de cette manière », commente un pasteur d’une Eglise de plusieurs milliers de fidèles, à Hangzhou, enregistrée auprès du Mouvement des trois autonomies. Ce pasteur préfère d’ailleurs rester dans l’anonymat, les questions de religion étant très délicates. « Les autorités ne prêtent pas attention à ce que vous prêchez tant que vous ne faites pas de politique, précise-t-il. La loi en Chine est très changeante. Ils peuvent essayer de contrôler, mais parfois les gens font ce qu’ils veulent. »
A Xiaoshan, toutefois, les habitants vivent désormais dans la peur. Une enquête approfondie a été menée afin de savoir qui a envoyé des informations sur ces émeutes aux médias étrangers. Un villageois a ajouté que des policiers en civil avaient même attendu devant des maisons de militants chrétiens en se faisant passer pour des journalistes. « Vous ne pouvez pas parler ouvertement ou vous entretenir avec des opposants ou des étrangers. Il existe des policiers en civil qui surveillent étroitement les habitations des chrétiens, a-t-il précisé. Ils arrêtent les gens dans la rue et en pleine nuit, en demandant où sont passés les responsables des communautés chrétiennes concernées. »
« C’est seulement un nom »
Hu Qianjie, 32 ans, propriétaire d’un atelier de soudure de Wenzhou, fait partie du nombre croissant de ces pasteurs, indépendants d’esprit, dont les églises sont pourtant enregistrées auprès du Mouvement des trois autonomies. Fils de vendeur ambulant, il a grandi dans la pauvreté et se souvient de chrétiens venus chez lui pour prier pour son frère cadet, malade.
« J’étais troublé par ce qu’on m’apprenait à l’école : que le socialisme était bon, que toutes les personnes étaient égales en droit, que tous les emplois se valaient », dit-il en parlant de cette quête qui l’a amené à se convertir au christianisme, lorsqu’il avait 17 ans. Aujourd’hui, malgré le fait qu’il soit à la tête d’une église protestante officielle, il ne cache pas ses propres opinions. « On peut croire que nous sommes assujettis au Mouvement des trois autonomies, mais en fait c’est juste un nom, comme un signe apposé devant notre maison, explique-t-il. Je ne me contente pas d’expliquer la Bible à mes paroissiens, je fais le lien avec la situation actuelle de notre société. »
Hu Qianjie rejette le caractère stéréotypé du Mouvement des trois autonomies qui se limite strictement à l’Evangile. Il pose un regard critique sur les attaques du Parti communiste envers l’idéologie occidentale, car il considère que les cultures chrétiennes sont meilleures dans l’absorption de leçons utiles tirées d’autres sociétés, alors que « la culture chinoise rejette tout ce qui ne s’ajuste pas à sa propre culture
En rendant la vie de l’Eglise pertinente avec celle des jeunes chrétiens chinois, Hu Qianjie espère remplir un vide face à un gouvernement qui se montre incapable d’être exemplaire dans le domaine moral. « Nous ne parlons pas publiquement de sujets sensibles ou politiques, précise-t-il. Nous nous concentrons plus sur les problèmes de l’avortement, des divorces, des relations extraconjugales. Le Parti communiste n’a plus d’exigences à formuler ni de normes à respecter dans ces domaines. »
Zheng Datong, un pasteur de Wenzhou qui prêche à la fois dans des églises officielles et clandestines, estime que les Eglises en Chine sont un exutoire important pour les classes moyennes de la province du Zhejiang. « J’ai beaucoup d’amis issus des classes moyennes. Ce sont de petits entrepreneurs pour la plupart, commente-t-il. Je peux vous dire qu’il existe un besoin, ils sont en quête spirituelle. Les gens ont tout aujourd’hui – ils ont des automobiles, des maisons -, sauf la paix intérieure. »