Eglises d'Asie

De quoi « l’incident de l’église de Sanjiang » est-il le symptôme ?

Publié le 16/04/2014




Depuis un peu plus de quinze jours, une certaine effervescence a gagné la communauté protestante de Wenzhou, prospère cité côtière de la province du Zhejiang : un temple protestant, aussi vaste que récemment construit, est menacé de destruction par les autorités locales. Que ce soit sur les réseaux …

… sociaux chinois, dans la presse chinoise ou étrangère, de nombreux articles ont été publiés sur ce qui est désormais appelé « l’incident de l’église de Sanjiang », du nom du temple protestant en cause. Problème de conformité au droit de la construction, campagne visant les chrétiens, voire paravent cachant une opération plus vaste contre les religions, les interprétations divergent quant au sens à donner à cet « incident ».

Depuis le 3 avril dernier et le placardage sur la façade du temple de la lettre officielle des autorités annonçant « la destruction » du lieu de culte, la tension est un petit peu retombée. Les fidèles se relaient toujours dans le temple pour en assurer la garde jour et nuit, mais un accord semble avoir été trouvé entre la municipalité et la communauté protestante.

Les autorités reprochaient à la communauté chrétienne d’avoir très largement dépassé le permis de construire initialement accordé et d’avoir construit des milliers de m² sans autorisation. Les responsables de la communauté protestante ont reconnu qu’ils avaient outrepassé le permis de construire et ont convenu de détruire une partie du bâtiment annexe au temple, le temple lui-même restant intouché, y compris les flèches de son toit et la grande croix rouge qui les surmonte.

En cours de construction, le bâtiment annexe a été édifié à l’arrière du temple lui-même et devait, sur sept ou huit étages et environ 8 000 m², accueillir les bureaux et divers services attachés au temple. L’accord conclu entre les deux parties consiste à en réduire la hauteur. Selon les sources – qui ne concordent pas toutes entre elles –, les deux, voire les cinq étages supérieurs de l’édifice seront démantelés.

Si l’accord est susceptible de ramener le calme à Wenzhou, il laisse un certain nombre d’interrogations sans réponse sur la signification de cet incident. La question se pose notamment de savoir s’il constitue un événement isolé ou s’il participe d’un mouvement plus large. Le South China Morning Post, quotidien hongkongais, rapporte en effet que d’autres lieux de culte chrétiens dans le Zhejiang sont visés par des ordres de démolition, à Taishun, Wencheng et Ruian notamment. Dans le Global Times, édition anglophone du Quotidien du Peuple, on peut lire que cinq églises dans la province du Zhejiang sont menacées d’être rasées ou, à tout le moins, de voir abattues les croix qui les surmontent. Le journal précise que quatre d’entre elles se trouvent à Wenzhou, ville qui compte « plus d’un million de chrétiens sur une population totale de neuf millions d’habitants – une proportion plutôt élevée pour la Chine ». Et le quotidien ajoute que, « dans certains médias occidentaux », la ville de Wenzhou a pour cela été surnommée « ‘la Jérusalem de l’Orient’ ».

Observé sous un angle technique, « l’incident de Sanjiang » ne concerne qu’un dépassement de permis de construire et relève donc d’une simple infraction au droit de la construction. A y regarder de plus près, l’affaire est toutefois plus sensible, à l’image de quasiment toutes les affaires foncières en Chine : la capacité à contrôler l’allocation des terrains est en effet une prérogative-clé des autorités locales et un moyen essentiel pour elles de générer des rentrées financières.

Pour la construction d’un lieu de culte, le processus est plus complexe que pour une construction normale étant donné qu’une communauté religieuse désireuse d’édifier un temple doit non seulement déposer une demande de permis de construire mais également obtenir l’aval du Bureau local des Affaires ethniques et religieuses. Elle doit pour cela fournir un ensemble de documents relatifs au statut des fidèles qui composent la communauté et à celui de ses responsables. Aux différentes étapes de la réalisation du projet, un comité ad hoc, formé à la fois des Affaires religieuses et de la municipalité, doit donner son feu vert. Le processus est lourd et, témoigne un responsable protestant auprès du journaliste du Global Times, « tout le monde sait qu’en matière de constructions religieuses, dix années ne suffisent pas à réunir toutes les autorisations, alors nous construisons en même temps que nous déposons les différentes demandes ». Nombreuses sont les municipalités et les autorités locales à accepter que des lieux de culte soient construits ainsi, et cela semble avoir été le cas à Wenzhou, le temple de Sanjiang ayant été inscrit le 16 septembre dernier sur le site Internet de la ville au nombre de ses « projets-modèle ».

Dans le cas de Sanjiang, aux questions de respect du droit de la construction s’ajoute une interrogation sur le motif réellement poursuivi par les autorités de la province. Feng Zhili, responsable du Bureau des Affaires ethniques et religieuses pour le Zhejiang, aurait récemment prononcé un discours faisant état de l’inquiétude du Parti communiste face à ce qui était perçu comme un essor trop important du christianisme dans la province, le Zhejiang étant déjà une des provinces connaissant le plus fort taux d’implantation du christianisme. Feng Zhili aurait demandé aux organismes officiels chapeautant les Eglises protestantes, à savoir le Mouvement des trois autonomies et le Conseil chrétien de Chine, de mettre en œuvre des mesures de contrôle. Lesquelles auraient consisté à vérifier les permis de construire et à réduire la taille et la visibilité des croix rouges qui généralement surmontent les temples protestants.

Certaines sources sur Internet laissent entrevoir le fait que la campagne actuellement en cours ne concernerait pas que les seuls chrétiens protestants. Sous le mot d’ordre « Trois révisions et une démolition », ce serait l’ensemble des sites religieux qui serait visé. Les autorités provinciales s’inquiéteraient du renouveau de la religion populaire chinoise qui, à la faveur de la prospérité économique de ces dernières décennies, s’est accompagné de la construction ou de la rénovation d’une multitude de temples et de sanctuaires, petits ou grands. Plusieurs milliers d’entre eux auraient été détruits ou seraient visés par des ordres de destruction, les responsables du Parti dans la province voulant montrer que les religions doivent demeurer sous leur contrôle. Dans ce cadre, « l’incident de Sanjiang » n’aurait dû sa visibilité qu’à la promptitude des protestants de Wenzhou à se mobiliser et à trouver des relais sur Internet et à l’étranger.

(eda/ra)