Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – Y a-t-il une raison au succès relatif des chrétiens protestants, en comparaison de celui, moindre, des catholiques ?
Publié le 07/05/2014
… président à un essor plus rapide du protestantisme en Chine, en comparaison des difficultés que rencontrerait le catholicisme.
Publié le 5 mai 2014 sur les fils de Ucanews, ce texte a été traduit en français par la Rédaction d’Eglises d’Asie.
Les questions sans réponse ne manquent pas après ce qui s’est passé ces derniers jours dans la prospère province du Zhejiang. Pourquoi les autorités ont-elles entrepris de détruire plusieurs temples et églises chrétiennes ? Ces mesures, menées dans les jours qui ont suivi Pâques, sont inédites par leur ampleur et il faut remonter à plusieurs décennies en arrière pour en trouver de similaires. A juste titre, elles ne sont pas passées inaperçues et ont été couvertes par les médias hors de Chine.
Comme toujours lorsqu’il s’agit de la Chine, ce pays aux dimensions d’un continent dont le gouvernement ne peut être considéré comme particulièrement transparent, il est difficile de dire qui a donné ces ordres de destruction et quel était l’objectif poursuivi. Mais un fait a surpris bon nombre de personnes hors de Chine, à savoir l’importance de la population chrétienne dans cette région et la virulence, qui ne peut être que le reflet d’une certaine peur, des actions mises en œuvre par les autorités.
Récemment, un chercheur chinois basé aux Etats-Unis a affirmé dans un article publié par le quotidien anglais The Telegraph qu’à l’horizon 2030, la Chine serait le pays qui abritera la plus importante population chrétienne du monde. L’affirmation est non seulement fausse mais très exagérée. Peut-on considérer que le Brésil (200 millions de chrétiens) ou le Nigéria (85 millions de chrétiens), pour ne citer que ces deux pays, vont cesser de ‘produire’ des chrétiens au cours des quinze années à venir ?
La réalité est que personne ne sait combien de chrétiens vivent en Chine. On peut même ajouter qu’il existe un certain nombre de bonnes raisons pour que les chrétiens qui s’y trouvent ne se déclarent pas comme tels. Il suffit de considérer ce qui vient de se passer dans le Zhejiang, où les autorités avaient décrété que la croissance de la communauté chrétienne dans leur province était « intenable ». Ce sont ces mêmes autorités qui ont le pouvoir de fixer quelle est la croissance acceptable pour telle ou telle communauté de croyants.
Se déclarer chrétien en Chine et le revendiquer haut et fort est le meilleur moyen de subir des représailles très réelles. Cela fait des lustres que les catholiques chinois maintiennent leur nombre au même niveau. Le chiffre des catholiques était de 12 millions en 1980, de 12 millions en 1990, de 12 millions en 2000 et – surprise, surprise ! – de 12 millions en 2010. Aucun membre d’aucune communauté religieuse en Chine ne se risque à déclarer des statistiques conformes à la réalité. Agir autrement ne ferait qu’attirer sur soi l’attention du gouvernement, voire déclencher un cycle de persécution.
Pourtant, il est indiscutable que le christianisme en Chine a connu une croissance massive ces dernières décennies. Mais ce qui est moins étudié est le fait que la croissance des communautés protestantes a été bien plus explosive que celle des communautés catholiques.
Il ne faut pas chercher du côté des fonctionnaires chinois pour trouver une explication à ce phénomène. Leur compréhension de ce qu’est le christianisme est plutôt limitée et le fait que le gouvernement chinois considère le protestantisme et le catholicisme comme deux religions distinctes témoigne de cela. Parmi les cinq religions officiellement reconnues, vous trouvez en effet le bouddhisme, le taoïsme, l’islam ainsi que le protestantisme et le catholicisme. Rares sont les pays dans le monde où les gouvernements en place ne considèrent pas les protestants et les catholiques comme les membres d’une seule et même religion, le christianisme.
La question demeure de savoir pourquoi le nombre des protestants augmente nettement plus vite que celui des catholiques. L’Histoire peut sans doute nous éclairer en partie. Après la victoire de Mao Zedong en 1949, la Chine s’est réorganisée selon un schéma inspiré par le ‘grand frère’ soviétique, et plus spécifiquement selon les idées professées par Lénine, fondateur et père de l’Union soviétique.
Le gouvernement chinois gère donc les organisations religieuses à travers un Bureau des Affaires religieuses, qui est un département du Front uni du Parti communiste chinois, l’organe par lequel le Parti contrôle les organisations qui ne sont pas le Parti lui-même ; on trouve, au nombre de ces organisations et groupements divers, les Eglises catholique et protestantes.
Malgré les divisions dont elle souffre, l’Eglise catholique en Chine est prise au piège, et ce qui fait sa force est aussi ce qui fait sa faiblesse. Partout dans le monde – et cela demeure vrai à peu de chose près en Chine –, son universalité (avec ce que cela suppose de relations au-delà du cadre national), ses institutions (ses paroisses, ses séminaires, ses services sociaux et caritatifs, ses maisons d’édition), ses statuts (pour son clergé, séculier ou régulier) et ses cérémonies (à travers le culte et les sacrements) sont des réalités visibles et stables. L’ensemble forme un ensemble cohérent, qui appelle (ou au contraire repousse) l’adhésion et la participation de ses membres.
Dans un pays communiste, tout cet ensemble représente une cible facile pour une administration organisée sur une base léniniste et obsédée par le souci de tout contrôler. Par conséquent, si certains catholiques se plient aux contraintes gouvernementales dans les structures mises en place par lui et que d’autres considèrent ceux-ci comme des lâches qui coopèrent avec l’ennemi, d’autres encore estiment qu’adhérer au catholicisme complique singulièrement leur vie et ils quittent l’Eglise.
Le même processus a été appliqué par les dirigeants communistes chinois aux dénominations protestantes et celles-ci se sont trouvées organisées au sein du Mouvement pour les trois autonomies (autonomie de gouvernement, de finance et d’enseignement – tout ceci pour signifier l’expulsion des missionnaires et rompre tout lien avec l’étranger). Cette politique a été menée par l’entremise du Front uni, qui a la tutelle du Bureau des Affaires religieuses, à tous les protestants de Chine populaire.
Mais le fait le plus notable de ces dernières décennies est que l’explosion numérique des communautés protestantes s’est faite en-dehors de ce schéma. La plupart des bâtiments, des églises et des lieux de rencontres des chrétiens ont été construits sur la base d’initiative locale et sans la reconnaissance ou l’autorisation du gouvernement. Et l’on constate que la plupart des bâtiments et des églises, qui avaient été édifiés dans un style plutôt triomphal avant de subir l’assaut des bulldozers mandatés par les autorités, n’appartenaient au départ qu’à de très modestes communautés de croyants, qui rassemblaient pas plus de quelques dizaines de personnes se réunissant chez l’un ou l’autre, en-dehors de toute supervision officielle.
Par contraste avec la manière de faire des catholiques qui entretiennent plus de liens avec l’institution Eglise, les protestants ont pu se développer sur une base plus souple, plus légère et plus adaptable face aux exigences des autorités locales. En Chine, les communautés protestantes sont apparues et se sont développées à partir de petits groupes de prière, de partage de la Bible, d’études bibliques autour d’une vidéo diffusée dans le cercle domestique ou au bureau. Il n’est pas rare que des entrepreneurs chrétiens organisent dans leurs ateliers et usines des groupes de chrétiens où l’on prie et où l’on étudie la Bible dans l’enceinte même de l’entreprise.
Dans toutes les provinces de l’Est du pays, des groupes de douze personnes au maximum se réunissent ainsi pour ce que les catholiques appelleraient « une première évangélisation ». Nombreux sont les programmes d’études de la Bible organisés pour une durée de deux heures sur un cycle de trois mois qui existent en Chine aujourd’hui ; souvent, ils s’appuient sur la version chinoise des Parcours Alpha, bien connu en Europe, et forment un réseau aussi dense qu’informel d’introduction au christianisme.
Ces groupes ne tombent pas sous le regard du Bureau des Affaires religieuses. Multipliez le nombre de participants à chacun de ces groupes (une douzaine) par le nombre même de ces groupes (des milliers) et vous obtenez très rapidement des centaines de milliers de croyants. A mesure que ces communautés grandissent – et cela va très vite en Chine –, un besoin se fait rapidement jour : celui d’avoir un lieu pour se réunir et célébrer le culte, à savoir un temple ou une église. C’est là que ces communautés se heurtent au mur formé par le Bureau des Affaires religieuses et par son obsession du contrôle, plus précisément par la peur qui est au cœur de tout le pouvoir chinois, à savoir celle de ne pas contrôler tout groupe, ancien ou émergent, spécialement quand ce groupe est de nature religieuse.