Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – « L’attitude intransigeante de Xi Jinping est à l’origine de l’attaque d’Urumqi »
Publié le 08/05/2014
où deux Ouïghours ont poignardé plusieurs personnes avant de se faire sauter avec des explosifs. Le bilan de cet attentat est de 79 blessés et trois morts (dont les deux assaillants).
Cette attaque, qui rappelle celle commise le 1er mars dernier à la gare de Kunming (1), est intervenue le dernier jour de la visite du président chinois Xi Jinping dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang. Rebiya Kadeer dénonce un renforcement de la politique de répression culturelle et religieuse de cette ethnie majoritairement musulmane ainsi qu’une sinisation forcée, similaire à celle mise en œuvre au Tibet.
Un nouvel attentat à l’arme blanche s’est produit depuis dans une gare de Canton, dans le Sud de la Chine. Six personnes auraient été gravement blessées par quatre assaillants dont l’un aurait été tué.
La traduction de l’interview est de la rédaction d’Eglises d’Asie
RFA : Quel message voudriez-vous adresser au sujet de l’attentat d’Urumqi ?
Rebiya Kadeer : Avant tout, j’aimerais exprimer mes sincères condoléances à tous ceux qui ont été touchés par la perte de tant de vies innocentes. Je demande également au gouvernement chinois de reconnaître son entière responsabilité dans l’échec d’une politique sans pitié, laquelle a conduit à ce tragique événement. J’appelle la communauté internationale à considérer les raisons profondes qui ont provoqué l’incident.d’Urumqi. Je la prie instamment de mener des investigations sur les origines de cette attaque.
Que voudriez-vous dire aux Ouïghours … à ceux qui s’opposent au gouvernement chinois d’une autre façon [les membres du Congrès mondial ouïghour] comme à ceux qui soutiennent ce type de violence ?
Cet acte a été commis dans notre patrie mais… nous n’avons aucun moyensde communiquer sur les évènements qui s’y produisent, ni d’avoir une influence quelconque sur eux, ni même de pouvoir porter assistance aux Ouïghours qui y subissent des violations des droits de l’homme. Pour le moment, nous ne disposons que d’une seule possibilité de nous exprimer, de maintenir une voix ouïghoure indépendante à l’étranger, qui est Radio Free Asia, et même cela est d’une grande difficulté. Les quelques médias officiels ou semi-officiels qui diffusent en langue ouïghoure sont sous le contrôle total du gouvernement chinois. Nous ne pouvons donc que toucher les Ouighours qui vivent à l’étranger, mais pas ceux qui vivent dans le pays [en Chine].
Ce que nous avons fait jusqu’à présent et ce que nous continuerons de faire, est de tenter de sensibiliser la communauté internationale au sort des Ouïghours, de surveiller l’évolution de la situation sur place, et de faire des recommandations au gouvernement chinois, qu’il veuille les entendre ou non. La Chine doit donner un espace, une existence légale, politique, religieuse et culturelle au peuple ouïghour pour qu’il puisse exercer ses droits librement ; elle doit également répondre à la souffrance de ce peuple, écouter ses revendications au sujet de ses besoins fondamentaux et y apporter les solutions nécessaires.
Qu’avez-vous à dire à propos des auteurs de l’attentat ?
En réalité, deux groupes distincts peuvent être considérés comme ayant été les auteurs de l’attentat. Le premier, le plus visible, était celui qui était sur scène et qui a commis l’acte en lui-même, le second, le vrai responsable, était en coulisses. Ceux qui avaient le rôle des assassins, avaient des couteaux dans les mains et portaient des explosifs dans leurs vestes. Mais les vrais assassins étaient en réalité ceux qui les avaient poussés à commettre de tels actes, à se donner la mort, à abandonner tout espoir d’être entendus. C’est le gouvernement de Xi Jinping, qui était dans les coulisses, c’est lui le véritable « fabriquant de terroristes ».
Ceux à qui profite la crise actuelle ne sont pas les Ouïghours ni les citoyens chinois ordinaires ; ce sont les membres des soi-disant « organismes de sécurité », un tout petit nombre de fonctionnaires qui utilisent toutes sortes de prétextes pour renforcer la sécurité tout préservant leurs propres privilèges et leur train de vie. Je reste persuadée que lorsque les populations chinoises et ouïghoures comprendront cela, une étape importante sera franchie dans la compréhension mutuelle entre ces deux peuples.
Vous avez condamné les « acteurs cachés » du drame d’Urumqi, qui étaient en coulisses. Que diriez-vous de ceux qui étaient sur scène ?
En tant que défenseur des droits de l’homme, je ne peux admettre que les Ouïghours soient associés à aucun mouvement terroriste ni aucun acte de violence, où que ce soit et à quel moment que ce soit. Bien que j’appartienne à l’ethnie ouïghoure et que je sois victime de cette oppressio, [exercée par le Chine], je suis opposée à toute forme de violence. Je n’appelle pas les Ouïghours – qui n’ont ni armes ni espoir – à prendre la voie de la violence ; je pense que c’est contre-productif.
Mais la réalité, c’est que je n’ai rien pu faire lorsque la jeunesse ouïghoure a manifesté pacifiquement le 5 juillet 2009, recevant en réponse des tirs à balles réelles. La réalité, c’est que l’année dernière, lorsque des jeunes ont pris d’assaut le quartier général de la police, ils ont tous été fusillés sur place sans procès ni détention préalable. La réalité, c’est que, toujours l’an passé, des hélicoptères ont été envoyés bombarder des jeunes qui priaient lors d’un rassemblement pacifique dans le district de Kargilik. Et à chaque fois, je n’ai rien pu faire.
Si quelqu’un venait me dire aujourd’hui ; « Je n’en peux plus de cette oppression, que dois-je faire ? », je n’aurai aucune réponse à lui apporter. C’est pourquoi, dans ce cas particulier, je ne condamne pas ceux qui ont pris part à cet événement. Pour les condamner, je devrais être en mesure de leur proposer une autre solution. Au lieu de cela, je ne peux qu’exprimer mon regret pour tous ceux qui sont morts et ont été blessés, y compris les auteurs de l’attentat. Ils sont tous tombés en victimes de la politique impitoyable de la Chine.
Le gouvernement chinois a qualifié l’incident d’acte terroriste. Quel est votre avis sur la question ?
Mon avis, c’est tout d’abord que le gouvernement chinois, qui n’a pas été élu démocratiquement, n’a pas l’autorité morale pour accuser les autres de violence. Un gouvernement qui opprime ses citoyens et s’accroche au pouvoir par la violence ne peut accuser les autres de terrorisme.
Le gouvernement communiste, qui a envoyé des chars d’assaut pour tuer ses propres citoyens le 4 juin 1989 [à Tian’anmen – NdT], n’a aucun droit de juger les autres. L’attentat de la gare d’Urumqi est certainement un événement tragique, mais doit être replacé dans le contexte d’autres actes passés, tels que ceux qui ont été commis à Lhassa le 28 mars et à Urumqi le 5 juillet. Tout récemment, Radio Free Asia a révélé la disparition de 37 personnes à la suite des émeutes du 5 juillet dernier. Ces 37 personnes ont été arrêtées par la police chinoise et n’ont jamais réapparu. Le récent incident d’Urumqi n’est pas une plus grande tragédie que le sort de ces personnes disparues.
C’est pourquoi je refuse cette qualification de « terroriste » que le gouvernement chinois a donné aux auteurs de ces actes – qu’ils se produisent en Chine ou à l’étranger –, étant donné que Pékin n’a aucune autorité morale pour émettre ce type de déclaration.
Certes, vu de l’étranger, le drame d’Urumqi peut paraître être clairement un acte terroriste. Mais pour quelqu’un qui connaît la région de l’intérieur et a vu la politique [de répression exercée] à l’encontre du peuple ouïghour, le véritable responsable apparaît de façon évidente. Un spécialiste de la question désignerait sans aucune hésitation le gouvernement chinois, blâmant sa politique opressive envers les Ouïghours. C’est la raison pour laquelle la Chine ne permet pas aux médias de l’étranger de venir enquêter sur place. Si seulement ils le pouvaient, la vérité apparaîtrait dans toute sa lumière.
La Chine soutient que les assaillants avaient été endoctrinés sur un plan religieux. Cet attentat est-il lié à la religion ?
La répression religieuse est l’une des nombreuses formes d’oppression que dénoncent les Ouïghours. Le gouvernement chinois essaye de démontrer qu’il y a un lien entre cet événement et le terrorisme international ainsi que l’extrémisme religieux. [Mais] les motivations qui ont provoqué l’incident d’Urumqi sont politiques et ethniques. Si cet événement devait être en lien avec la religion…, il serait une conséquence de l’oppression religieuse par l’Etat chinois. Cet incident n’a aucun rapport avec l’endoctrinement religieux.
Quelle est la raison de l’augmentation depuis un an de la résistance violente dans la région ouïghoure ?
Il y a des centaines de raisons pour cela. Par exemple, les lois qui permettent la détention non seulement de ceux qui ont exprimé leur opposition, mais de tous ceux que l’Etat considère comme des fauteurs de troubles potentiel. Le silence sur le sort de centaines de personnes qui ont été arrêtées par la police et ont ensuite disparu après les émeutes du 5 juillet. La soi-disant « éducation bilingue » dans les écoles ouïghoures, qui est en réalité l’enseignement forcé de la seule langue chinoise et qui a pour but l’anéantissement de la culture ouïghoure. L’accaparement des terres des paysans ouïghours par des entreprises chinoises d’Etat et le déplacement forcé des populations rurales. Le fait qu’un garçon de 17 ans a été récemment abattu par la police pour avoir grillé un feu rouge sur sa moto. L’arrestation, récente elle aussi, du professeur Ilham Tohti et d’Abduweli Ayup, qui avaient appelé les autorités à respecter leurs propres lois d’autonomie régionales au sein de la République populaire de Chine.
Y a-t-il eu un fait déclencheur à l’attentat d’Urumqi ?
Il est difficile, sans médias indépendants sur place, de deviner ce qui a pu être à l’origine directe de l’incident. Cependant, les mots de Xi Jinping sur la lutte contre le terrorisme, en particulier lorsqu’il a parlé de « frapper les terroristes comme des rats » lors de sa récente visite dans la région ouïghoure, pourraient bien être à l’origine de cette réaction.
Par ailleurs, lorsque Xi Jinping est arrivé au pouvoir, il y a eu l’espoir parmi les Ouïghours qu’il y aurait un certain assouplissement de la politique à leur encontre. Mais nous avons vu que récemment, dans ses meetings avec les responsables de la sécurité intérieure de l’Etat, Xi Jinping a tout au contraire martelé qu’il fallait éradiquer le terrorisme dans la région ouïghoure. Il a rendu visite aux unités chargées de la répression des Ouïghours et les a assurés de son soutien total. Cela lui a aliéné un nombre considérable de Ouighours. Ces déclarations de Xi Jinping qui appellent le sang, ont sans doute une raison, en tous cas j’aimerais le croire.
Xi Jinping a annoncé l’intensification de la répression. Quelles conséquences risque d’avoir l’incident d’Urumqi sur les Ouïghours ?
Depuis l’occupation du Turkestan oriental, la Chine n’a fait qu’augmenter sa répression envers dls Ouïghours. Elle n’a jamais relâché son emprise. La seule différence réside dans le fait que par le passé, cela se passait en « cachette » de la communauté internationale alors qu’aujourd’hui, tout est fait ouvertement.
Je crains que la conséquence la plus importante de cet incident concerne les relations entre les deux ethnies [les Ouïghours et les Chinois hans], et que les tensions entre eux grandissent jusqu’à atteindre un point de non-retour. Les graines qui donneront de futures tragédies viennent d’être semées ici.
Avez-vous quelque chose en particulier à dire sur cet incident à la communauté internationale ?
Dans le monde d’aujourd’hui, il y a un dicton très largement cité : « Il n’y a aucune raison qui puisse être invoquée pour justifier la terreur. » C’est à la fois très vrai et peu concret. On devrait plutôt dire : « Il n’y a aucune raison qui puisse justifier la violence, y compris les intérêts de l’Etat, l’intégrité de l’Etat, ou le maintien de la sécurité. » Aucune de ces raisons ne devrait être utilisée pour justifier le meurtre de ses propres citoyens par un Etat, le génocide de ses propres minorités ethniques, ou la légalisation d’un régime de terreur par un gouvernement. Aucune décision, quelque juste qu’elle puisse paraître, ne pourra se maintenir durablement si elle est prise unilatéralement et favorise les puissants au détriment des faibles.
(eda/msb)