Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – Vague de répression contre les Ouighours après l’attaque de Kunming
Publié le 06/03/2014
La violence de l’attaque et son modus operandi ont causé une intense émotion au sein de la population chinoise, renforçant le sentiment anti-ouïghour déjà très marqué. Ces dernières années, et en particulier depuis les émeutes de 2009 à Urumqi (197 morts), la résistance et les manifestations se sont multipliées dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, les membres de cette ethnie majoritairement musulmane dénonçant une politique de répression culturelle et religieuse à leur encontre ainsi qu’une sinisation forcée, similaire à celle mise en œuvre au Tibet.
Le Congrès mondial ouïghour, une organisation en exil de défense des Ouïghours, a « condamné sans équivoque les violences » de Kunming et appelé le gouvernement chinois à « ne pas diaboliser l’ensemble du peuple ouïghour pour en faire indistinctement des ennemis d’Etat ».
Diffusé par Radio Free Asia et daté du 5 mars dernier, l’article ci-dessous provient du service ouïghour de l’agence d’information qui l’a ensuite traduit en mandarin, en cantonais et en anglais.
La plupart des membres de la minorité musulmane ouighour en Chine doit faire face actuellement à un fort mouvement de répression en réaction au massacre de la gare de Kunming, les autorités renforçant les restrictions sécuritaires, sur la base de l’origine ethnique, a rapporté un responsable de la région autonome ouïghoure du Xinjiang.
Mutalif Obul, commissaire de la préfecture de Kashgar dans le Xinjiang, interrogé mercredi 5 mars par un quotidien d’Etat, répondait que les villes chinoises avaient toutes pris des mesures contre les ouïghours selon des critères ethniques, après l’attentat de samedi qui avait fait 33 morts et qui avait été identifié par les autorités comme une « attaque terroriste » perpétrée par les « séparatistes » ouïghours.
« Mais j’espère que les autorités prendront également en considération les sentiments de la population du Xinjiang », a poursuivi le commissaire dans son interview par le China Daily, au sujet de l’ethnie ouïghoure turcophone [de la Région autonome].
« Trouver un emploi en dehors de la région devient difficile pour la population du Xinjiang depuis l’attaque, mais on peut espérer qu’il ne s’agit que d’un problème temporaire », a t-il ajouté.
Ses propos sur la discrimination en fonction de l’ethnie – laquelle est indiquée sur la carte d’identité en Chine –, sont corroborés par des rapports en provenance de la ville de Guilin (au Guangxi – NdT]), où un propriétaire de guesthouse a déclaré que la police avait donné l’ordre aux commerçants locaux d’exercer des restrictions spéciales à l’encontre des Ouïghours.
« Nous n’acceptons plus les gens du Xinjiang maintenant », a déclaré à Radio Free Asia (RFA) le propriétaire d’une guesthouse du nom de Zhang , dont la femme a été poignardée à mort à Guilin, le même jour que l’attaque de Kunming, par un suspect décrit comme un Ouïghour.
« [Les policiers] nous ont envoyé des consignes, parce que nous dirigeons une guesthouse, précise -t-il. Ils disent que si une personne du Xinjiang vient ici, nous devons la dissuader de rester, et si elle persiste, qu’il faut les avertir. »
Le Premier ministre Li Keqiang s’est engagé mercredi 5 mars à réprimer fortement le terrorisme suite à l’attaque de la station ferroviaire de Kunming, capitale de la province du Yunnan. Huit assaillants – quatre d’entre eux ont été abattus et les autres capturés par la police –, ont tué 29 personnes et blessé plus de 140 victimes en frappant sans distinction les voyageurs faisant la queue pour acheter des tickets au guichet de la gare, ont rapporté les médias d’Etat.
« Nous accentuerons la lutte contre les violences et le terrorisme, afin de maintenir l’ordre social et la sécurité de la Nation », a déclaré Li Keqiang aux membres de l’Assemblée nationale populaire (ANP), qui vient d’entrer en session ce mercredi 5 mars à Pékin. « Nous condamnons très vigoureusement le terrible déchaînement de violence terroriste qui s’est produit à la gare de Kunming dans le Yunnan le 1er mars. »
« Nous sommes déterminés à combattre toute forme de crimes terroristes qui violent les lois de notre pays et défient la civilisation humaine », a-t-il poursuivi, ajoutant que « [le gouvernement] se devait de préserver la sécurité des personnes et des biens pour tous les citoyens [de Chine] ».
A Kunming cependant, les Ouïghours affirment qu’ils souffrent depuis longtemps de restrictions et de discriminations en raison de leur appartenance ethnique.
« Les immigrants chinois nous ont tout pris : nos richesses, nos terres, nos maisons, notre travail, tout ! », expose un homme qui tient à préserver son anonymat. « Le gouvernement chinois a aussi interdit notre religion et notre langue ». En dehors du Xinjiang, ajoute-t-il, les Ouïghours sont sans cesse harcelés par les autorités.
« Ils ne nous autorisent pas à prendre des bus et des taxis, et nous n’avons pas le droit d’aller à l’hôtel, explique-t-il encore. Les hôpitaux ne nous acceptent pas si nous sommes malades et nous sommes harcelés partout où nous allons. »
L’écrivain Wang Lixiong, qui réside à Pékin et suit de très près les problèmes des Ouïghours et des Tibétains, dit que l’attaque est survenue [à Kunming], car c’est le lieu où se manifeste le plus l’attitude hostile des autorités envers les Ouighours, leur culture et leur religion.
« Le plus gros problème, dit-il, ce n’est pas un tout petit nombre de terroristes. Non, le plus gros danger c’est que la population du Xinjiang tout entière est considérée comme un ennemi dans son propre pays. »
Dilxat Raxit, porte-parole du Congrès ouïghour mondial, basé à Munich, a réitéré sa condamnation de l’attentat de Kunming ainsi que toute violence visant des personnes innocentes.
« J’appelle les Ouïghours et les Chinois hans à retrouver la raison et à n’inciter aucun d’entre eux à agresser l’autre partie par des actes discriminatoires, a-t-il déclaré. Nous espérons que la population chinoise arrivera à mieux comprendre le poids des chaînes dont la politique gouvernementale a chargé les Ouïghours. »
Il explique encore que bon nombre de Ouïghours sont en train d’essayer de quitter la Chine afin d’échapper à l’oppression et à la discrimination dont ils sont victimes dans leur vie publique, leurs déplacements, leur accession à l’emploi et la pratique de leur religion. « Beaucoup de vies ouïghoures sont en danger, et ces personnes n’ont aucun moyen de survivre sous ce régime d’oppressif dans leurs propres villes et villages, conclut Raxit. Aujourd’hui, ils cherchent à quitter la Chine pour échapper à cette oppression. »
(eda/msb)