Eglises d'Asie

L’Eglise catholique toujours divisée après la résolution des Nations Unies contre Colombo

Publié le 28/03/2012




La résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (UNHRC) adoptée jeudi 22 mars, exhortant le Sri Lanka à juger les responsables des crimes de guerre et à présenter un plan d’action aux Nations Unies, continue de diviser fortement la population sri-lankaise ainsi que l’Eglise catholique, révélant les clivages ethniques laissés par plus de trente ans de guerre civile (1).

Faisant suite au rapport de la commission spéciale des Nations Unies qui, en avril 2011, avait relevé au Sri Lanka de graves présomptions de violations des droits de l’homme contre les civils, en particulier lors de la dernière phase du conflit, une résolution avait été présentée à l’UNHRC par les Etats-Unis, avec le soutien actif du Canada, de l’Union européenne ainsi que celui, plus modéré, de l’Inde (2). Votée à 24 voix contre 15, la résolution de l’UNHRC appelle le Sri Lanka à prendre des initiatives « crédibles » afin de rechercher et traduire en justice les responsables des graves violations des droits de l’homme commises durant le conflit. Elle demande également à Colombo de présenter au plus vite au Conseil un plan d’action détaillé sur la mise en œuvre de cette résolution, proposant son aide ainsi que « son assistance technique » dans ce travail.

Dès le vendredi 23 mars, Colombo a fait connaître son rejet catégorique de la résolution onusienne, comme en témoigne la presse locale. « La force l’emporte sur le droit », titrait entre autres le quotidien sri-lankais Daily News, condamnant, comme l’avait fait à plusieurs reprises le chef de l’Etat, une « ingérence étrangère dans les affaires intérieures du pays ». Lundi 26 mars, le ministre des Affaires étrangères G.L. Peiris déclarait que le Sri Lanka n’avait pas à « respecter une résolution qui ne respectait pas sa souveraineté ». Ajoutant que « la résolution du Conseil (…) ne comportait ni obligation, ni sanction économique », il soulignait qu’elle était « par conséquent insignifiante et que le gouvernement déciderait de ce qu’il conviendrait de faire ».

Les médias sri-lankais rapportent également que de nombreuses manifestations de protestation contre la résolution de l’ONU ont eu lieu dans le pays, drainant des milliers de bouddhistes, mais aussi des hindous, des musulmans et des chrétiens. Selon l’agence AsiaNews, plusieurs communautés catholiques ont, à cette occasion, organisé des célébrations et des rassemblements de prière, auxquels se sont joints des membres des forces de l’ordre et, en certains lieux, les autorités locales.

Ailleurs, ce sont des campagnes de soutien à l’évêque catholique de Mannar, menacé d’arrestation par le gouvernement, qui rassemblent les catholiques, témoignant des divergences qui se creusent dans l’Eglise sri-lankaise depuis la fin de la guerre civile. Jusqu’au récent bras de fer entre Colombo et les Nations Unies, l’Eglise catholique était considérée comme l’un des rares éléments neutres dans le conflit entre les populations tamoules du nord et les Cinghalais, majoritaires, étant elle-même composée de membres appartenant aux deux communautés. Bien souvent, l’Eglise avait servi d’intermédiaire, et parfois seuls ses prêtres étaient autorisés à pénétrer dans les camps de déplacés. Mais le désaccord, qui avait commencé à poindre lors de l’enquête controversée de la LLRC (3), est apparu au grand jour à l’ouverture de la session du Conseil des droits de l’homme à Genève au cours duquel devait être présentée la résolution de l’ONU à l’encontre du Sri Lanka.

Le 27 février dernier, le cardinal Ranjith, archevêque de Colombo, publiait une déclaration « au nom de l’Eglise catholique du Sri lanka », dans laquelle il s’insurgeait contre le projet de l’ONU « d’intervenir dans les affaires intérieures du pays ». Trois jours plus tard, Mgr Rayappu, évêque de Mannar, l’un des diocèses les plus meurtris par la guerre civile, publiait à son tour une lettre ouverte aux Nations Unies, cosignée par une trentaine de prêtres, réclamant l’intervention de l’ONU et le vote d’une résolution permettant à une commission internationale et impartiale d’enquêter sur les crimes commis pendant le conflit.

Tandis que le cardinal Ranjith dénonçait vigoureusement la lettre de Mgr Rayappu comme étant « non représentative » de l’Eglise catholique au Sri Lanka, le Jathika Hela Urumaya (JHU), parti bouddhiste nationaliste et soutien au pouvoir en place, accusait l’évêque tamoul de complicités terroristes et appelait, le 6 mars dernier, à son arrestation.

Bien que les menaces du JHU ne semblent pas avoir été suivies d’effet, la tension au Sri Lanka est encore montée d’un cran depuis que la résolution de l’ONU a été votée. Tandis que l’archidiocèse de Colombo se refuse prudemment à toute déclaration, les médias et les organes gouvernementaux se déchaînent contre l’évêque de Mannar et les « traîtres à la cause du Sri Lanka » auxquels viennent d’être assimilés, en plus des 30 signataires de l’appel, une soixantaine de responsables chrétiens et militants des droits de l’homme qui se sont ralliés au prélat. La violence de cette campagne de diffamation et d’intimidation a poussé l’Asian Center for the Progress of Peoples, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Hongkong, à lancer une pétition internationale afin de soutenir « l’action courageuse » de l’évêque. Ruki Fernando, coordinateur du groupe de soutien à Mgr Rayappu, explique : « Toute personne remettant en question une décision de l’Etat est considérée comme un traître. Les nationalistes cinghalais désignent comme ‘ennemi de la nation’ quiconque s’avise de parler au nom du peuple tamoul. »

Depuis quelques jours, les nationalistes cinghalais se sont attaqués à une nouvelle cible au sein de l’Eglise catholique. La Caritas-Sri Lanka, pourtant très respectée, a été accusée par le gouvernement de « conspiration contre l’Etat ». Il lui est reproché d’être à l’origine de récentes manifestations d’agriculteurs et d’avoir protesté lors de la session de l’UNHRC en faveur de la résolution contre le Sri Lanka. La Caritas comme les groupes de défense des agriculteurs sri-lankais ont vigoureusement démenti ces allégations. « Nous n’avons envoyé personne à la réunion de l’UNHRC à Genève, c’est un mensonge éhonté ! », s’est indigné Mgr Harold Anthony Perera, directeur de la Commission catholique sri-lankaise pour la Justice, la Paix et le Développement humain.

Le 23 mars dernier, la Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Navi Pillay, avait pourtant mis en garde Colombo contre les représailles dont pourraient être victimes au Sri Lanka les défenseurs des droits de l’homme ou les « leaders catholiques qui se sont mis en danger en choisissant de parler ». Par cette allusion claire à l’évêque de Mannar, Navi Pillay signifiait qu’elle avait eu connaissance des campagnes de calomnie et d’appels à la violence qui avaient précédé la session de l’UNHRC. « Lors de cette session du Conseil des droits de l’homme, il y a eu une avalanche sans précédent et complètement inacceptable de menaces, de harcèlement et d’intimidations de militants sri lankais qui s’étaient rendus à Genève pour participer au débat, y compris par certains des 71 membres de la délégation officielle du gouvernement du Sri Lanka », a également déclaré le porte-parole du Haut Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), Rupert Colville, lors de la conférence de presse concluant la session à Genève.