Eglises d'Asie – Sri Lanka
Le gouvernement célèbre le premier anniversaire de sa victoire sur les Tigres tandis que les Eglises chrétiennes commémorent le massacre de milliers de civils
Publié le 21/05/2010
Un an plus tard, des festivités officielles, étalées sur une semaine, célèbrent le premier anniversaire de la fin de la guerre civile : parades militaires, remises de décorations, inauguration de monuments et centres commémoratifs en l’honneur des « héros » de l’armée sri-lankaise. Sur le site officiel de la Sri Lanka Army (SLA), la « célébration de la victoire sur le Mal » fait l’objet de comptes-rendus journaliers, avec en apothéose la préparation du « grand final » à Colombo le samedi 22 mai, comprenant une grande cérémonie religieuse nocturne en présence de « plus de 3 000 moines bouddhistes » (2).
En marge des célébrations officielles, les communautés chrétiennes tentent de rappeler, quant à elles, les milliers de « civils innocents » morts dans cette guerre fratricide qui aura duré près de trente ans. Le 18 mai, des centaines de catholiques, méthodistes et anglicans, parmi lesquels des prêtres et des religieux, se sont réunis à Colombo pour une veillée de prière organisée par le Christian Solidarity Movement (CSM) (3) à l’auditorium du Center for Society and Religion.
« Le gouvernement est en train de fêter sa victoire militaire… mais ne semble pas concerné par les milliers de Tamouls innocents qui sont morts », a déclaré aux participants Mahinda Namal, l’un des intervenants du CSM. « C’est pourquoi nous avons organisé cette veillée. Afin de nous souvenir de ces civils innocents. Ils étaient aussi nos frères et sœurs », a-t-il ajouté.
Le CSM a également projeté durant la veillée un documentaire sur les victimes de la guerre. Un tel film aide les gens à prendre conscience de la détresse et de la souffrance des civils, a expliqué l’agence Ucanews, le P. Bernard Reyhart, curé de la paroisse catholique St Andrew à Colombo.
Un an après la fin du conflit, on ne connaît toujours pas le bilan définitif des populations civiles tuées par les deux camps, en particulier durant la sanglante phase finale de mai 2009 (la plupart des organismes humanitaires ont cependant évalué à 40 000 le nombre de civils tués lors de la dernière bataille).
Pour les Tamouls survivants, la situation s’est considérablement dégradée, selon les ONG présentes sur le terrain. Les civils déplacés par la guerre sont encore plus de 80 000 à vivre dans des camps surpeuplés aux conditions sanitaires précaires. Au fil des mois, l’aide alimentaire s’est raréfiée et, aujourd’hui, les épidémies se succèdent, par manque de soins et d’hygiène. Quant aux quelque 300 000 civils à avoir été « réinstallés » dans les anciennes zones de combat, ils ont retrouvé des villages dévastés, des champs inutilisables et minés et ils dépendent pour la plupart d’entre eux d’une aide humanitaire qui se fait de plus en plus rare, par manque de fonds (4).
Dans le nord du pays, où se trouvaient les places fortes des Tigres, comme la péninsule de Jaffna, les chrétiens qui ont voulu organiser des célébrations commémoratives en mémoire des civils tamouls tués lors de la guerre se sont heurtés à l’hostilité des autorités locales et en particulier de l’armée sri-lankaise. Mgr Thomas Saundaranayagam, évêque de Jaffna, l’un des diocèses les plus touchés par le conflit, a rapporté les intimidations dont il a été l’objet, à l’instar d’autres membres du clergé. Le 18 mai, toute commémoration des victimes de la guerre a été interdite par les responsables militaires qui ont demandé à la population de faire flotter le drapeau sri-lankais sur les maisons et les véhicules afin de célébrer le « National Flag Day », nouvellement instauré par le président Mahinda Rajapaksa en l’honneur de la victoire sur les Tigres. Le même jour, tous les Sri-Lankais étaient également invités à observer deux minutes de silence à 18 h 00 et à allumer une lampe à huile « en mémoire des héros de la guerre qui ont fait le sacrifice suprême pour protéger la patrie » (5).
Alors qu’à l’occasion de l’anniversaire de la fin de la guerre, des ONG, comme Amnesty International (6), des groupes de défenses des droits de l’homme, ou encore des associations chrétiennes dénoncent les crimes de guerre commis au Sri Lanka et réclament une enquête indépendante, l’ONU a réaffirmé son intention d’attendre les résultats de la Commission pour la réconciliation constituée par le président sri lankais.
Dans un rapport paru également le 18 mai et concluant aux preuves formelles de la violation des droits de l’homme et du massacre volontaire de civils par les forces armées sri-lankaises comme par les Tigres, International Crisis Group (ICG) a enjoint à la communauté internationale de prendre ses responsabilités « non seulement pour la justice et l’instauration d’une paix durable au Sri Lanka, mais aussi pour empêcher que cela ne se reproduise ailleurs ».