Eglises d'Asie

La « Journée de la Victoire » pour les uns, la « Mémoire du Génocide » pour les autres

Publié le 21/05/2013




Quatre ans après la dernière bataille sanglante qui mit fin à la guerre civile, les Tamouls ne peuvent toujours pas commémorer leurs morts, rapporte le Sri Lanka Guardian de ce mardi 21 mai. Le 18 mai 2009 s’achevait l’un des plus longs conflits séparatistes d’Asie avec la reddition des Tigres tamouls (Tigres de libération de l’Eelam tamoul, LTTE), encerclés par l’armée sri-lankaise. L’assaut final avait provoqué le bain de sang redouté par les ONG qui assistaient impuissantes aux bombardements et tirs d’artillerie des zones où étaient piégés, avec les rebelles, des milliers de civils.

Comme les années précédentes, Colombo a célébré avec faste la «Victoire sur le Mal » de ses armées, avec force parades, remises de décorations aux « héros de la Nation » et célébrations bouddhiques.

En revanche, dans le Nord de l’île, où s’étaient déroulés les violents combats de 2009, les autorités militaires, qui contrôlent toujours les « territoires libérés », ont interdit toute manifestation ou rassemblement de prière destinés à commémorer les morts du côté tamoul, y compris les civils massacrés lors des derniers assauts. 

A Vavuniya et Batticaloa, villes particulièrement touchées lors de la dernière phase du conflit, le principal parti tamoul, la Tamil National Alliance (TNA), avait annoncé le 17 mai son intention d’organiser le lendemain une journée en hommage aux victimes de la guerre. Le Daily-News, quotidien d’Etat, avait aussitôt prévenu dans son édition du jour que tout rassemblement hors du cadre officiel du «Victory Day » serait considéré comme illégal et que tout contrevenant serait arrêté et emprisonné.

Défiant l’interdiction, la TNA a tenu samedi 18 mai une cérémonie de prière et de recueillement qui, selon les témoins, s’est déroulée sans heurts malgré une importante présence policière et militaire. Il a cependant été rapporté que l’armée avait détruit ce même jour un mémorial dressé à la mémoire des milliers de civils qui, réfugiés en « no fire zone », s’étaient retrouvés piégés avec les derniers rebelles et pilonnés par les militaires sri-lankais. Le nombre total des morts lors de cette offensive finale reste toujours inconnu (Selon les Nations Unies, les estimations varient entre 40 000 et 80 000). Un responsable du parti tamoul aurait également été arrêté par l’armée alors qu’il se rendait dans la soirée du 18 mai à un rassemblement de prière à Mannar.

« Depuis la fin de la guerre il y a quatre ans, non seulement il n’y a eu aucun progrès, mais le respect des droits et libertés élémentaires ont décliné au Sri Lanka », concluait le 20 mai Human Rights Watch dans un communiqué cité par le Tamil Guardian. « Les médias subissent une censure grandissante, les Tamouls, qui sont tous soupçonnés d’avoir eu des liens avec le LTTE, sont victimes d’arrestations et de détentions arbitraires et souvent torturés », rapportait encore l’organisation humanitaire, ajoutant que « les mêmes abus que ceux pratiqués en temps de guerre se poursuivaient dans la partie tamoule du pays, toujours sous occupation militaire ».

Dénonçant « un véritable génocide organisé », des manifestations se sont tenues le 18 mai un peu partout dans le monde, en particulier dans les pays où la diaspora tamoule est importante comme le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada ou encore l’Allemagne.

« Quatre ans après la fin de cette terrible guerre civile, des Sri Lankais attendent toujours que l’on fasse justice aux victimes, qu’on leur donne des nouvelles des disparus, et enfin que l’on respecte leurs droits élémentaires », s’est indigné Brad Adams, directeur de la section Asie pour Human Rights Watch.

Les conclusions de l’ONG rejoignent celles de bon nombre d’organisations comme Amnesty International ou encore International Crisis Group (3), qui ont elles aussi dénoncé la dégradation de la situation des populations tamoules.

Il y a deux mois à peine, l’évêque catholique de Mannar, Mgr Rayappu Joseph, accompagné de 130 signataires catholiques et protestants, lançait un appel à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, alors en session à Genève, lui demandant d’intervenir avant « le total anéantissement du peuple tamoul ».

Avec les différents responsables religieux du Nord et de l’Est de l’île, l’évêque avertissait : « L’assassinat et la disparition de dizaines de milliers de civils tamouls ainsi que les tentatives de destruction systématique de la culture, de la langue et de la religion des populations des régions du Nord et de l’Est de l’île, semblent avoir pour but ultime d’anéantir totalement le peuple tamoul. »

Ce 20 mai, c’est auprès du quotidien Ceylon Today que l’évêque catholique tamoul a réitéré ses craintes : « Au lieu de chercher en priorité des solutions aux graves problèmes qui perdurent quatre ans après la fin de la guerre, le gouvernement continue de célébrer sa guerre victorieuse, ridiculisant les aspirations légitimes des personnes qui demandent la paix et la justice. »

En interdisant le devoir de mémoire, conclut Mgr Rayappu Joseph, le gouvernement ne fait que creuser encore davantage le fossé entre la population tamoule, principalement hindoue, et la majorité bouddhiste et cinghalaise du pays.

(eda/msb)