Eglises d'Asie

Les candidats des minorités religieuses risquent leur vie en se présentant aux élections

Publié le 25/04/2013




Pour ces élections du 11 mai prochain qui verront le renouvellement de l’Assemblée nationale et des quatre assemblées provinciales, les candidats appartenant aux minorités religieuses affrontent une campagne plus périlleuse que jamais.

Dans le contexte déjà passablement meurtrier qui est celui de la campagne pour les élections législatives du 11 mai prochain, se présenter devant les électeurs en étant membre d’un parti non islamique et en appartenant à une minorité religieuse équivaut à multiplier les difficultés. Certains de ces candidats se sont même retirés de la campagne et ont renoncé à une carrière politique tant les dangers, y compris pour leur vie, sont grands.

Le 23 avril dernier, lors d’une conférence donnée au Press Club de Lahore, Naila J. Dayal a exposé aux journalistes les difficultés auxquelles elle-même et sa formation politique se heurtaient. Présidente du Christian Progressive Movement (CPM), l’une des trois formations se présentant avec l’ambition de fédérer les suffrages de la minorité chrétienne du Pakistan (1,5 % d’une population estimée à 193 millions d’habitants), elle a expliqué que les quinze candidats que sa formation avait réussi à présenter devaient supporter « une double pression ».

A l’instar des candidats des grands partis laïques du pays qui subissent les menaces constantes des partis islamistes, les candidats du CPM sont menacés, mais, encore plus intensément ciblés pour leur appartenance à une minorité religieuse, a-t-elle rapporté, donnant pour exemple l’appel qu’elle avait reçu d’un de ses opposants musulmans lui disant qu’il lui suffirait de « seulement quelques sacs de farine » pour détourner les votes de ses électeurs.

Basé à Islamabad, le Christian Progressive Movement fait face aux violences meurtrières lancées par les partis islamistes, déterminés à réduire au silence les grands partis laïques qui dominent la vie politique nationale et locale depuis l’indépendance. C’est le cas du Parti du peuple pakistanais (majorité sortante), de la Ligue musulmane du Pakistan (N) de Nawaz Sharif, du Muttahida Qaumi Movement (le parti, très implanté à Karachi, des Mohajirs, réfugiés de l’Inde lors de la partition de 1947), ou encore du Parti national Awami (très implanté chez les Pachtounes).

Chaque jour ou presque apporte son lot d’assassinats et d’attentats. Selon un décompte des médias pakistanais, treize incidents liés à des violences électorales ont couté la vie à 23 personnes et fait 54 blessés. Le 23 avril, quelques heures après que Naila J. Dayal se soit exprimée au Press Club de Lahore, une bombe explosait devant le siège du Muttahida Qaumi Movement (MQM) à Karachi, faisant cinq morts et 30 blessés. L’attentat était imputé au Tehrik-e-Taliban Pakistan, parti islamiste qui s’est juré d’effacer le MQM de la scène politique. A Peshawar, dans la Province du Nord, ou bien encore dans la province de Khyber-Pakhtunkhwa (anciennement Province de la frontière du Nord-Ouest), les attentats et les meurtres sont quasi quotidiens.

Face à une telle violence, inédite à cette intensité et paradoxale dans la mesure où ces élections sont les premières depuis l’indépendance à avoir lieu sans qu’un coup d’Etat ne vienne auparavant renverser le pouvoir avant le terme du mandat de l’Assemblée sortante, des candidats chrétiens renoncent à se présenter, estimant les autorités incapables d’assurer leur sécurité ainsi que le déroulement pacifique de la campagne.

Saleem Khurshid Khokhar est l’un de ceux-là. Chrétien, ancien député à l’Assemblée provinciale du Sind, il a déclaré forfait après avoir réchappé de justesse, il y a un mois, à une tentative d’assassinat. « Il était tard dans la nuit et je conduisais ma voiture en compagnie d’un ami lorsque j’ai aperçu deux hommes en armes sur le bord de la route. Je n’ai eu que le temps d’accélérer. Nous nous sommes baissés tandis que, sous l’impact des balles, le pare-brise volait en éclats, me blessant au bras droit, raconte-t-il à l’agence Ucanews. Nous sommes encore plus exposés que les candidats des partis laïques par le simple fait que nous ne sommes pas musulmans et que nous prenons position contre les conversions forcées à l’islam de jeune filles issues des minorités [religieuses], que nous dénonçons les lois anti-blasphème et que nous nous opposons aux autres formes de discrimination. »

Directeur du CHRE (Centre for Human Rights Education), une ONG de Lahore promouvant la démocratie et le respect des droits fondamentaux, Samson Salamat estime qu’« il est temps de dénoncer ouvertement les forces antidémocratiques qui plongent le pays dans le chaos ». Les violences exercées par les partis extrémistes sont « une tentative pour marginaliser la représentation des minorités et pour empêcher l’expression de toute pensée progressiste ».

Du côté de la Commission électorale du Pakistan (ECP), dont la mission est d’assurer le bon déroulement des opérations électorales, un nouveau « code de conduite » a été promulgué, interdisant aux formations politiques de solliciter les voix des électeurs « au nom d’une religion ou d’un mouvement religieux ». Sans beaucoup de succès apparemment car, sur le site Internet de l’ECP, on dénombre une quarantaine de partis dont le nom renvoie à une connotation islamique, quinze d’entre eux utilisant le mot « musulman » et sept autres le terme « islam ».

L’ECP semble avoir rencontré un peu plus de succès avec l’enregistrement des candidatures. Des milliers d’entre elles ont en effet été rejetées, faute de satisfaire aux critères légaux. Parmi les membres sortants des assemblées législatives, 54 d’entre eux présentaient, entre autres, de fausses attestations de diplôme universitaire, tandis que 70 % des parlementaires s’étaient rendus coupables de fraude fiscale.

Chef du Makiat Ulema-i-Islam, l’une des formations islamistes en lice pour les élections du 11 mai prochain, le maulana Fazlur Rehman a organisé au début du mois d’avril un vaste rassemblement sous la bannière de l’« Islam Zindabad » (‘Longue vie à l’islam’). Selon lui, la montée du terrorisme dans le pays est essentiellement de la responsabilité des élites corrompues qui gouvernent le Pakistan depuis trop longtemps. Bien que jusqu’à présent les partis islamistes n’aient encore jamais réussi à réunir un nombre suffisant d’électeurs et qu’ils n’aient pour tout programme que la charia pour lutter contre le sous-développement, les coupures d’électricité et la corruption, le maulana affichait la tranquille certitude que l’islamisme serait cette fois en mesure de s’imposer.