Eglises d'Asie

Dans l’Etat de Selangor, les autorités religieuses musulmanes s’estiment autorisées à saisir les bibles comportant le mot ‘Allah’

Publié le 26/06/2014




Hier 25 juin, le Conseil des Affaires islamiques de Selangor a affirmé qu’il était en droit de saisir toute bible portant le mot ‘Allah’ et qu’il n’hésiterait pas à faire arrêter toute personne distribuant une telle bible. Deux jours après le jugement de la Cour fédérale du pays donnant tort à l’Eglise catholique dans …

l’affaire de l’usage du mot ‘Allah’ par l’hebdomadaire The Herald, une telle déclaration relance les débats sur la place des juridictions islamiques dans le système judiciaire malaisien.

Mohamed Adzib Mohd Isa préside le Conseil des Affaires islamiques de Selangor, Etat qui entoure Kuala Lumpur. Ce conseil, le Mais selon son acronyme malais, ainsi que le Jais, le Bureau des Affaires islamiques de Selangor, sont chargés de la gestion des affaires de la communauté musulmane de l’Etat de Selangor et, à ce titre, supervisent l’action des tribunaux islamiques. Le 2 janvier dernier, c’est le Jais qui avait fait saisir 321 exemplaires de la Bible en malais (Al-Kitab, ‘Le Livre’) et en langue iban (Bup Kudus), dépêchant ses fonctionnaires dans les locaux de la Société biblique de Malaisie et arrêtant brièvement plusieurs des responsables de celle-ci. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque et se poursuit encore, les bibles n’ayant pas été rendues à la Société biblique de Malaisie malgré un ordre en ce sens du ministère fédéral de la Justice.

Depuis l’immeuble du Tabung Haji Complex, instance qui gère les fonds des pèlerins pour La Mecque, à Kuala Lumpur, Mohamed Adzib Mohd Isa s’est montré particulièrement affirmatif, assurant que son administration avait pleinement le droit de détruire les bibles controversées et qu’au cas où des personnes se risquaient à nouveau à distribuer de telles bibles au Selangor, il n’hésiterait pas à ordonner leur arrestation. « Nous continuerons à procéder ainsi et nous mènerons les arrestations qui s’imposent », a déclaré le président du Mais.

Le responsable musulman a rappelé que les décisions du Mais et du Jais concernant ces bibles s’appuyaient sur une loi de l’Etat de Selangor visant à prévenir la diffusion des religions non islamiques parmi les musulmans. Promulgué en 1988 par le sultan de Selangor, ce texte proscrit l’utilisation par les non-musulmans de 35 mots et expressions arabes, tels, outre le mot ‘Allah’, les mots ‘Nabi’ (prophète), ‘Injil’ (évangile) ou encore ‘Insiya Allah’ (la volonté de Dieu).

Le 11 juin dernier, le ministre fédéral de la Justice, Abdul Gani Patail, avait déclaré que le Jais de Selangor n’avait pas à saisir les bibles, ces dernières ne représentant pas « une menace contre la sécurité nationale » et qu’elles devaient par conséquent être remises à leur propriétaire, la Société biblique de Malaisie. Ce 25 juin, Mohamed Adzib Mohd Isa a répondu que le Mais acceptait de ne pas poursuivre en justice la Société biblique de Malaisie mais qu’il « n’était pas d’accord avec les arguments donnés [par le ministre de la Justice] ». Il a conclu que, du fait de « son attachement à l’harmonie et à la justice », ce serait « à la justice de décider ».

Pour les responsables des communautés non musulmanes de Malaisie, le type de propos tenus par le président du Mais souligne l’urgence à préciser, sinon à réformer, l’ordre juridictionnel dans le pays. Ce 26 juin, Jagir Singh, président du Malaysian Consultative Council of Buddhism, Christianity, Hinduism, Sikhism and Taoism (MCCBCHST), a publiquement appelé les autorités de Malaisie à clarifier la situation, déclarant que les autorités religieuses musulmanes n’avaient pas à agir au-delà des limites imparties par la loi.

Pour cette instance qui est devenue l’interlocutrice privilégiée des autorités pour les questions interreligieuses, l’affaire des bibles saisies au Selangor devrait être considérée comme close. « Le ministre de la Justice a refermé ce dossier. Le Jais et le Mais doivent se conformer à cette décision », a-t-il expliqué, mettant en exergue une autre affaire, concernant cette fois-ci un couple se disputant la garde de ses enfants (1). Il est urgent, a expliqué ce responsable, avocat de profession, que le ministre de la Justice clarifie une fois pour toutes le rôle respectif des tribunaux civils et des tribunaux de la charia, ainsi que la hiérarchie des lois entre la Constitution, les lois fédérales et les lois votées dans les différents Etats de la Fédération de Malaisie.

Le Conseil des Eglises de Malaisie (CCM) s’est également exprimé par la voix de son secrétaire général, le Rév. Hermen Shastri. « Nous rejetons toute tentative de quelque autorité islamique que ce soit de chercher à imposer le droit islamique sur les communautés religieuses minoritaires de ce pays », a-t-il déclaré, soulignant le fait que la juridiction du Jais et du Mais ne pouvait nullement s’étendre au-delà de la communauté musulmane. Le pasteur a aussi demandé que la police soit « un bastion pour protéger les droits de tous les citoyens ». Il a conclu en déplorant « l’état de confusion » dans lequel se trouvait aujourd’hui son pays, citant l’exemple de décisions de justice non appliquées au seul motif qu’elles se trouvaient favorables à telle personne non musulmane ou à telle communauté religieuse minoritaire.

Relancé par la décision de la Cour fédérale concernant The Herald, alimenté par les déclarations du responsable du Mais de Selangor, le débat en cours fait rage depuis des années en Malaisie. En janvier dernier, la Société des avocats catholiques estimait qu’il était temps que les lois et règlements promulgués dans les différents Etats de la Fédération de Malaisie soient « harmonisés » de manière à ne pas être en contradiction avec les droits inscrits dans la Constitution fédérale. « Pour éviter un état d’incertitude et de confusion permanent (…), il est nécessaire de clarifier les lois touchant aux races et aux religions », déclarait Viola De Cruz Silva, présidente de la Catholic Lawyers’ Society de Kuala Lumpur. « Le législateur doit protéger les droits de tous les citoyens de ce pays et protéger la Constitution », ajoutait-elle.

(eda/ra)