Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – L’Eglise face aux défis de l’urbanisation de la Chine

Publié le 22/07/2014




Depuis un peu plus de trente ans, la géographie humaine de la Chine est bouleversée en profondeur par un phénomène massif : un exode rural très rapide, dont le corollaire est la croissance phénoménale que connaissent les villes. Pour l’Eglise catholique, ce processus massif d’urbanisation rapide pose …

… de nombreux défis très concrets et les communautés catholiques doivent trouver de nouveaux chemins pour rejoindre les citadins avec leurs difficultés et leurs modes de vie.

Dans l’article ci-dessous, le P. Sergio Ticozzi, membre de l’Institut pontifical des Missions Etrangères (PIME) de Milan, expose ce phénomène et la manière dont l’Eglise tente d’y répondre. Chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit, centre de recherches du diocèse de Hongkong, le P. Ticozzi suit l’actualité politique et religieuse de la Chine depuis de nombreuses années. Publié sous le titre Urbanization: Challenges for the Church in China, son article est paru dans le numéro 171, vol. 33, Hiver 2013, de Tripod, publication du Centre d’études du Saint-Esprit.

Les grandes villes de Chine sont confrontées à de nombreux problèmes : les embouteillages, la surpopulation, la pollution de l’air, la mauvaise planification architecturale ou encore les conditions de logement. Cela implique des adaptations nécessaires pour l’Eglise aussi.

Quelques statistiques

La Chine est au milieu d’un processus très accéléré d’exode rural. Selon l’estimation officielle, à la fin 2012, la Chine continentale avait une population urbaine de 712 millions de personnes, soit 52,6 % de la population totale. Selon les prévisions, près de 70 % de la population vivra en ville d’ici à 2035.

Cependant, ces statistiques peuvent être trompeuses en fonction des critères utilisés. En comparant les données année par année des statistiques officielles, on constate beaucoup de contradictions.

Par exemple, en comparant les données tirées de l’Etude statistique de la Chine, données par le Bureau National des Statistiques pour les années 1990 et 1991, la contradiction est évidente : l’étude de 1990 donne une population urbaine de 574 940 000 habitants surpassant la population rurale qui serait de 536 970 000 habitants ; alors que le livre de 1991 donne respectivement 301 910 000 et 841 421 000, ajustant les pourcentages des années passées. Quelle en est la raison ? Il y a en effet de vraies difficultés à obtenir des données précises sur la population, et à définir ce qu’on entend par « zones urbaines ». En conséquence, il est difficile de réunir des données objectives dans un pays aussi vaste que la Chine.

De plus, des questions politiques peuvent empêcher les autorités d’admettre une hausse du pourcentage des citadins, car cela obligerait à leur donner plus de privilèges et d’avantages par rapport à la population rurale. C’est seulement quand l’identité résidentielle (le fameux « Hukou ») sera complètement abolie et que les gens pourront déménager avec l’assurance d’un traitement égalitaire, que des statistiques objectives pourront être fournies.

Le processus d’urbanisation

Mais, quelles que soient les statistiques, l’histoire du processus d’urbanisation est bien connue. Les autorités chinoises ont toujours su les dangers d’une différence trop prononcée entre les zones urbaines et rurales, qui peuvent provoquer des antagonismes dans le pays. Pourtant, la ligne politique était de garder les fondations rurales et agricoles de l’économie du pays pour soutenir l’industrialisation.

La Chine a toujours été un pays agricole. La migration vers les villes a été limitée depuis la fin des années 1950. La population urbaine, cependant, a augmenté régulièrement de 1950 à 1960, enregistrant une croissance significative entre 1958 et 1961, pendant le « Grand Bond en avant » à cause du grand effort d’industrialisation.

Pendant la Révolution culturelle, de 1966 à 1976, la population urbaine a diminué suite au « mouvement d’envoi à la campagne ». Cependant, après la politique de réforme et d’ouverture lancée fin 1978, la croissance de la population urbaine s’accéléra rapidement, grâce à la croissance économique et aux investissements étrangers, surtout dans les grandes villes.

Face à l’augmentation des migrations de la campagne vers les grandes villes, les autorités chinoises ont pris deux mesures : contrôler le flux migratoire et le réduire en développant des villes en milieu rural. L’idée était de fournir du travail et une résidence en ville à des ruraux, sans avoir besoin de les déplacer dans les villes déjà surpeuplées.

A propos des migrations, le nombre de travailleurs migrants a dépassé les 200 millions au début de ce siècle. Ils sont victimes d’abus flagrants : de longues heures de travail harassant avec un salaire bas, l’instabilité de leur travail, des salaires non versés, l’insécurité du travail et des conditions de logement, le manque de soutien et d’avantage sociaux, le refus de contrats, l’exclusion de la médecine publique, le manque de structures pour l’éducation des enfants, les coûts exorbitants et les amendes, et la discrimination de la part des résidents et des fonctionnaires urbains.

Les autorités ont donc instauré certaines régulations, donnant des droits aux migrants, comme les Lois relatives aux contrats de travail (2007), et celles concernant les Médiations et arbitrages des conflits de travail (2007). Mais les abus et les plaintes continuent. De plus, avec la crise financière mondiale en 2008, 20 millions de travailleurs migrants ont perdu leur emploi et sont rentrés chez eux. En conséquence les autorités chinoises se sont inquiétées de trouver du travail pour ces rapatriés, par crainte d’une hausse de la criminalité, du désordre social et des protestations collectives.

De 1982 à 1986, la population urbaine a dramatiquement augmenté. Ce bond est le résultat de divers facteurs combinés :
– Le surplus de travailleurs agricoles a migré vers les zones urbaines ;
– En 1984, la décision a été prise d’élargir les critères pour classer une zone comme « urbaine ». Le développement de nouvelles villes en zones rurales était en cours, et les gens y allèrent, venant des villages. Dans ces villes, ils eurent des logements, du travail et d’autres avantages. En conséquence, la population des villes augmenta beaucoup.

Vers le milieu des années 1980, les démographes estimèrent que la proportion de la population vivant dans les villes serait égale à celle des zones rurales. Cela se produisit d’abord à cause de l’apparition des villes petites et moyennes, plutôt que par l’expansion des grandes villes. En effet, en 1985, avec les mégas cités de Shanghai, Pékin, Tianjin et Shenyang, les 22 villes les plus peuplées en Chine avaient une population totale de 47,5 millions d’habitants, ou 12 % de la population urbaine de la Chine. Le nombre de villes ayant une population d’au moins 100 000 habitants augmenta de 200 en 1976 à 342 en 1986. En 2005, la Chine comptait 286 villes, dont la plupart avec une population d’environ un million, Shanghai et Pékin étant en tête de liste.

Une étude McKinsey rapporte : « Si les tendances continuent, la population urbaine de la Chine atteindra un milliard de personnes d’ici 2030. En vingt ans, les villes de la Chine auront augmenté de 350 millions de personnes, soit plus que la totalité de la population des Etats-Unis aujourd’hui. D’ici 2025, la Chine aura 221 villes de plus d’un million d’habitants – en comparaison avec 35 villes européennes de cette taille aujourd’hui – et 23 villes de plus de 5 millions d’habitants. Malgré cela, l’expansion des villes en Chine représentera un grand défi pour les dirigeants locaux et nationaux. Des 350 millions de gens que la Chine va ajouter à sa population urbaine d’ici 2025, plus de 240 millions seront des migrants. Cette croissance entraînera des points de pression majeurs. »

Quels enjeux pour l’Eglise ?

Le premier défi posé à l’Eglise par cette situation, est celui des travailleurs migrants. Compte tenu de leur grand nombre et de leur profil, qui, selon des études récentes, sont pour 34,2 % des paysans et pour 36,7 % des étudiants, avec les couples mariés plus nombreux que les célibataires (52,7 contre 46,2 %), il y a certainement des catholiques parmi eux. Par conséquent, le défi pour les églises urbaines est de savoir comment les contacter et communiquer avec eux, pour les intégrer dans les communautés catholiques locales, et éviter qu’ils perdent la foi. Après les avoir trouvés, il sera nécessaire de leur fournir un enseignement chrétien solide, à partir du catéchisme, de la littérature religieuse, et de l’administration de sacrements.

A travers le contact avec ces catholiques, c’est l’ensemble du groupe des migrants peut devenir une vraie cible pour l’effort missionnaire de l’Eglise locale. La communauté chrétienne peut les aider dans leurs difficultés à s’adapter à leur nouvelle vie, les soutenant face aux abus dont ils peuvent être victimes (bien que ce soit un sujet plutôt sensible !), et offrir à leurs enfants une véritable éducation. Une attention spéciale doit être apportée aux contacts avec les étudiants, venant d’ailleurs, car ceux-ci sont particulièrement réceptifs.

Parmi les migrants des grandes villes, comme Pékin, Shanghai, Shenzhen et Canton, il y a des personnes venant de régions avec une longue et solide tradition catholique (comme les régions du Hebei, du Fujian, et du Zhejiang, en particulier la région de Wenzhou). Ils se regroupent et vivent dans des communautés soudées, basées sur les relations entre clans, et leurs intérêts communs. Ils ont tendance à s’entraider dans tous les aspects de la vie, la religion incluse. Ils invitent mêmes des prêtres venants d’ailleurs pour les assister et les enseigner. Le défi pour ces communautés est de surmonter la tentation d’avoir une mentalité et un comportement de « ghetto », ne se souciant que d’eux-mêmes, sans service rendu ni contact avec la communauté catholique locale.

Deuxièmement, les défis apparaissent avec les nouvelles villes elles-mêmes. Il ne suffit pas seulement d’aider les catholiques migrants à s’adapter à leur nouveau mode de vie, mais il faut aussi construire de nouvelles structures telles que des lieux de rencontre, des chapelles ou des centres de messe, et continuer à les maintenir unis dans un environnement plus cosmopolite. Les nouvelles villes devraient être prioritaires pour les constructions de nouvelles églises et de centres. Il faut surmonter la tentation nostalgique de vouloir construire dans le vieux village, comme par le passé, parce que ces villages risquent d’être abandonnés tôt ou tard. En outre, les églises en ville devraient créer des centres d’information et des lieux de rencontres, où les migrants pourront se renseigner et rencontrer des gens.

Un défi général pour l’Eglise

Que ce soit dans les vieilles ou dans les nouvelles villes, le défi principal est de trouver de nouvelles méthodes d’évangélisation, plus adaptées à l’environnement urbain. Puisque les méthodes d’évangélisation en Chine sont plus traditionnelles et adaptées à un contexte rural, ce défi est d’autant plus urgent et intéressant. Tout d’abord, la vie urbaine nécessite un changement de mentalité, surtout parmi le clergé, pour dépasser l’« esprit de clocher », travaillant seul, comme le « roi de sa paroisse ou du district ». Les prêtres doivent trouver une nouvelle manière d’exercer leur autorité, en travaillant étroitement avec l’évêque, les autres prêtres, les religieuses et les dirigeants laïcs, en se répartissant le travail non pas selon les divisions géographiques, mais selon les tâches et les services.

Les services communs, tels que la formation des responsables, le catéchisme et la formation des jeunes, la préparation au mariage, etc., devraient être de préférence effectués au niveau de la ville. Les tâches quotidiennes paroissiales, comme l’administration des sacrements et les soucis sociaux, particulièrement pour les familles, les pauvres et les malades, devraient être laissées aux centres de messes ou aux églises.

Les besoins des personnes devraient stimuler les catholiques ne ménager aucuns efforts pour y répondre. La solidarité, le partage, l’accomplissement diligent des devoirs de chacun, et les humbles services charitables sont des moyens efficaces de témoignage chrétien. La rencontre personnelle devrait être une priorité, car c’est à travers ces contacts avec les catholiques, qui, en ville, deviennent plus faciles grâce aux distances réduites, que les gens seront attirés à la foi catholique. Les petites communautés doivent être préférées aux plus grandes, sauf pour les célébrations particulières, tout en maintenant le contact et la collaboration entre elles.

Les villes créent des attitudes individualistes et l’isolement. Par conséquent, un autre défi pour l’Eglise est d’augmenter les échanges culturels parmi les catholiques et pour les non-chrétiens, non seulement à travers les contacts personnels, mais aussi par des publications, la littérature et les médias. Internet est particulièrement utile pour cela. Puisque le niveau d’éducation de la population urbaine est généralement plus élevé que celui de la population rurale, des efforts devraient être faits pour publier de la littérature plus appropriée (les nouvelles de l’Eglise, les revues, les livres, le matériel audio-visuel, les vidéos, les films, etc.), afin de présenter la foi chrétienne aux non-chrétiens et plus particulièrement aux intellectuels. Dans les milieux urbains et les sociétés mouvantes, il semble nécessaire pour l’Eglise d’avoir plus de groupes et d’associations, ainsi que des centres d’activités, où les catholiques et leurs amis peuvent passer leur temps libre dans un environnement approprié.

L’urbanisation peut en effet avoir un effet négatif sur la religion, car les grandes villes rendent les gens plus égoïstes et anonymes, et fournissent des tentations matérialistes pour profiter du confort et des plaisirs. Cependant, en même temps, ce peut être un meilleur environnement pour communiquer l’Evangile, propager la foi chrétienne, et construire des communautés qui portent témoignage. Nous devons nous souvenir que l’Eglise primitive était composée principalement de communautés urbaines, tandis que les « païens » étaient des gens qui vivaient dans les « pagi » (mot latin pour « villages »). Ainsi, les milieux urbains ne sont pas nécessairement néfastes à la croissance de l’Eglise, mais peuvent être un sol fertile où pousse le bon grain.