Eglises d'Asie

Les minorités se réjouissent du vote par le Parlement d’une loi visant à leur restituer leurs terres spoliées par l’Etat

Publié le 02/12/2011




Mercredi 30 novembre, les principaux leaders des minorités ethniques et religieuses du Bangladesh ont exprimé officiellement leur satisfaction concernant le vote par l’Assemblée d’un amendement au très controversé Vested Property Act, dont ils demandaient l’abrogation depuis son entrée en vigueur dans les années 1960…

« Cette nouvelle législation nous permettra enfin de récupérer nos propriétés. Nous en sommes reconnaissant au gouvernement », a déclaré Rana Dasgupta, Secrétaire général du Bangladesh Hindu Buddhist Christian Unity Council  (BHBCUC). Ce Forum interreligieux avait multiplié ces dernières années les démarches auprès des différentes institutions d’Etat afin de faire aboutir le projet de modification de la loi, perpétuellement repoussé.

« C’est effectivement une bonne nouvelle pour tous ceux dont on a pris les terres. Si cela est bien appliqué, cela leur rendra justice et les tensions avec les minorités vont considérablement diminuer », a observé pour sa part Mgr Gervas Rozario, évêque de Rajshahi, un diocèse particulièrement touché par le problème des expropriations de terres appartenant aux ethnies aborigènes.

C’est à l’issue d’un an de discussion, que la série d’amendements au Vested Property Act, a finalement été votée par la Chambre, lundi 28 novembre 2011. « Il devenait indispensable d’amender cette loi dans l’intérêt de la justice et de la paix sociale, et de remettre à leurs propriétaires légitimes les terres qui leur avaient été illégalement saisies », a déclaré le ministre du Territoire, Rezaul Karim, aux parlementaires devant lesquels il présentait le projet finalisé.

Connue sous le nom d’Enemy Property Act lors de la période troublée de la partition puis de la guerre indo-pakistanaise de 1965-1969, cette loi avait permis au gouvernement de saisir les terres de milliers de citoyens considérés comme des « ennemis de la Nation », essentiellement des hindous qui avaient fui en Inde. Après l’indépendance du Bangladesh en 1971, la loi avait été renommée Vested Property Act mais son contenu était resté inchangé. Pendant plus de quarante ans, l’Etat du Bangladesh avait continué d’utiliser très largement cette loi afin de confisquer les propriétés des minorités ethniques et religieuses et ce, malgré les voix de plus en plus nombreuses qui s’élevaient pour dénoncer une « grave violation des droits de l’homme ».

« Pendant ces 45 dernières années, a rappelé Nirmol Rozario, secrétaire de l’Association des chrétiens du Bangladesh, les fonctionnaires ont abusé de cette loi pour leur profit personnel (…) et des milliers de membres de communautés aborigènes et des minorités ethniques, dont un grand nombre de chrétiens, ont perdu leurs terres ancestrales sans pouvoir se défendre ».

La Vested Properties Return (Amendment) Bill 2011 qui vient d’être votée par le Parlement lundi dernier, se donne officiellement pour but de réparer les injustices commises ; un immense défi dont Rana Dasgupta, qui est également avocat, doute qu’il puisse être entièrement relevé.

Comme le secrétaire général du BHBCUC, la plupart des observateurs s’accordent à dire que la restitution de l’ensemble les propriétés confisquées risque fort de représenter une mission impossible, un bon nombre d’entre elles ayant été saisies il y a plus de quarante ans. De plus, la plupart des terrains ont été enlevés à leurs propriétaires légitimes par des particuliers musulmans, avec la complicité des autorités locales ou des responsables politiques. La loi ne concernant que la saisie des biens par l’Etat, ces « vols de terres » commis par des particuliers seront donc laissés en dehors de son champ d’application, bien qu’ils représentent la majorité des expropriations commises ces dernières années.

« Le vote de la Vested Properties Return est un changement tout à fait bienvenu, explique à son tour à la BBC, Subrata Chowdhury, avocat à la Cour Suprême, mais ce n’est certes pas suffisant pour permettre que toutes les propriéés confisquées ou saisies illégalement reviennent à leurs légitimes propriétaires ».

Toujours à la BBC, l’économiste Abul Barkat a déclaré que selon ses estimations, environ 570 personnes appartenant à des minorités, perdaient leur terre ou étaient forcées de quitter le Bangladesh quotidiennement. Il y a un an, afin d’illustrer l’urgence d’une abrogation de la Vested Property Act, il avertissait que si le processus d’expropriation se poursuivait au même rythme, il n’y aurait plus un seul hindou dans le pays d’ici une vingtaine d’années, 75 % de leurs terres ayant été confisqués au titre de cette loi.

Mais si la communauté hindoue se considère, à juste titre, comme la première victime des expropriations – du moins numériquement – , les membres des ethnies aborigènes, et parmi eux les chrétiens, subissent une discrimination d’autant plus forte qu’elle se renforce du fait que leur statut est encore moins considéré.

Les aborigènes, en particulier ceux appartenant à des communautés catholiques, voient en effet leurs terres régulièrement spoliées par des propriétaires musulmans agissant en toute impunité avec l’aide des fonctionnaires locaux. Certains d’entre eux n’hésitent pas à faire arrêter des familles entières sous de fausses accusations, comme l’ont révélé de récentes affaires (1). Le P. Anthony Sen, secrétaire de la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Dinajpur, une région où les aborigènes subissent de façon récurrente des « violations des droits de l’homme, dont celui du droit à la terre », s’était élevé contre les pratiques de ces « musulmans qui vont jusqu’à fabriquer de faux documents de propriété pour expulser [les aborigènes ] de leurs terres ancestrales ».

Ces derniers mois, les revendications des peuples indigènes du Bangladesh n’ont fait que croître, parallèlement à la multiplication des expropriations forcées de leurs terres. Le 6 avril dernier, dans le diocèse de Mymensingh, différentes ethnies chrétiennes vivant dans la jungle du Madhupur ont protesté contre « les expulsions de leurs terres ancestrales par le Département des Forêts [du Bangladesh] » auxquelles se rajoutaient les expropriations effectuées par des particuliers. Dénonçant « une violation de la déclaration des droits des peuples indigènes de 2007 (2) » dont l’usage de leurs terres, les aborigènes ont rappelé que selon les médias locaux, en cinq ans seulement, 8 100 hectares de la forêt du Madhupur avaient été illégalement saisis par des personnes influentes, de grands propriétaires ou le ministère des Forêts (3).

Le gouvernement a annoncé qu’il publierait bientôt les listes des propriétés saisies et les feraient diffuser partout dans le pays pour que chacun puisse y avoir accès. Ceux qui se sentiront lésés auront alors 90 jours pour déposer une réclamation.