Eglises d'Asie

Iles Andaman : les Jarawas sont plus que jamais menacés d’extinction

Publié le 05/09/2014




Malgré les mesures édictées par la Cour suprême indienne et les autorités centrales, l’intervention de l’ONU et la campagne internationale menées par plusieurs ONG, la tribu des Jarawas (1) qui était menacée d’extinction par les « safaris humains »… 

sévissant sur les îles Andaman, a été promise à l’assimilation forcée par le gouvernement local. Les organisations de défense des aborigènes appellent à la mobilisation pour protéger l’une des dernières populations aborigènes des îles Andaman et Nicobar.

Les Jarawas dont population dépassait les 8 000 individus à l’époque britannique, ne sont plus aujourd’hui que 400. A l’origine de leur disparition progressive, le trafic humain mis en place par les colons sur le territoire de leur réserve, laquelle est traversée par une route dont la fermeture est demandée depuis des années, mais que les autorités locales sont en train d’agrandir et d’aménager afin d’en démultiplier le trafic.

Le gouverneur des îles Andaman, Bishnu Pada Ray, membre du parti hindouiste Bharatya Janata Party (BJP) aujourd’hui au pouvoir, a en effet lancé cet été les travaux d’extension et d’élargissement de l’Andaman Trunk Road (ATR), laquelle sera doublée par deux ponts routiers.

La fermeture de l’ATR avait été ordonnée par la Cour suprême indienne en 2002, ainsi que la réduction des interventions extérieures à la réserve afin de préserver les Jarawas dont la population, décimée par des maladies contre lesquelles elle n’était pas immunisée, semblait prendre le même chemin que celui emprunté par d’autres tribus aborigènes des îles Andaman peu avant leur extinction (2).

Plus de dix ans après, la route continue pourtant en toute illégalité d’être empruntée par des centaines de touristes indiens et du monde entier venus pour rencontrer les Jarawas au cours de « safaris humains », avec la complicité des autorités locales.

L’ampleur du trafic organisé autour de la réserve des Jarawas, ainsi que l’exploitation des aborigènes par les colons échangeant des « prestations » contre de la nourriture, avait été révélées en janvier 2012 par le magazine britannique The Observer (3). L’article avait fait scandale et poussé le gouvernement indien, sous la pression de la communauté internationale, des Nations Unies et de l’ONG Survival International qui suit l’affaire de très près, à prendre des mesures plus fermes afin d’obliger les autorités andamanes à protéger les Jarawas.

Parallèlement, des milliers de voyageurs et des compagnies touristiques avaient boycotté le tourisme sur les îles Andaman, « tant que les droits des Jarawas ne seraient pas respectés ». Une initiative qui avait été relayée par les Eglises chrétiennes en Inde, très engagées dans la lutte pour les droits des aborigènes, par l’intermédiaire de leurs propres médias comme The Christian Today ou encore The Indian Catholic.

Le 31 mai 2012 était promulgué un amendement à la loi de protection des tribus aborigènes, renforçant les sanctions encourues en cas d’infraction. Le territoire jarawa était également protégé par un périmètre de 5 km à l’intérieur duquel étaient interdites toute construction ou activité touristique et commerciale.

Les autorités andamanes s’étaient également engagées à ouvrir une route maritime alternative, faisant la liaison entre Port Blair et Baratang, d’ici mars 2015, tout en restreignant parallèlement l’accès à l’ATR afin de « réduire au minimum les interventions extérieures ».

Mais après avoir argué ces deux dernières années, de difficultés administratives pour mettre en place la route maritime, le gouvernement des îles Andaman a affiché clairement dès 2014 son intention de ne pas appliquer les mesures ordonnées par les autorités indiennes.

C’est lors de sa campagne pour les élections générales de mai 2014, que le gouverneur BJP des îles Andaman et Nicobar, Bishnu Pada Ray, a présenté son projet de réaménagement de la route ATR et d’intégration forcée des Jarawas en supprimant la zone tampon de protection autour de leur réserve. Des promesses électorales que le gouverneur a commencé à appliquer dès sa réélection et la victoire en mai dernier de son parti qui a porté Narendra Modi à la tête de l’Inde.

Survival International vient de condamner avec la plus grande fermeté les mesures prises par le gouvernement local des îles Andaman, que l’ONG qualifie d’« incroyable retour en arrière », de « violation du droit international des peuples indigènes », sans compter la transgression de « décisions de justice rendues par la Cour suprême de l’Inde et de lois » édictées par le gouvernement central.

« Les promesses scandaleuses de Bishnu Pada Ray affichent un mépris absolu pour les Jarawas ; forcer la tribu à s’intégrer à la société dominante ne peut qu’entraîner sa disparition. La notion même d’intégration est enracinée dans une attitude colonialiste et archaïque qui conforte les gouvernements dans leur conviction qu’ils savent ce qui est le mieux pour les peuples indigènes. Dans la réalité, cette approche a toujours des conséquences catastrophiques », a dénoncé Stephen Corry, directeur de Survival.

L’organisation avait tenté de stopper il y a quelques mois, le processus d’extinction de la tribu Jarawa, en lançant un « compte à rebours d’un an pour que cessent les abus à l’encontre des aborigènes ». Les dégâts déjà constatés au sein de la tribu menaçaient de devenir irréversibles, avait averti Survival International qui avait révélé en outre que parallèlement aux « safaris humains » qui se poursuivaient, les enlèvements et les viols de femmes aborigènes se multipliaient dans l’impunité la plus totale.

Mais cette dernière tentative pour alerter la communauté internationale et protéger les Jarawas a été mise en échec par l’arrivée au pouvoir en mai dernier du BJP et la réélection de Bisnu Pada Ray. Peu après la victoire du parti hindouiste, le gouverneur des îles Andaman lançait le chantier d’élargissent de l’ATR et la construction des deux ponts. Quant aux activités commerciales et touristiques dans la zone tampon de la réserve, interdites par la loi de 2012, elles étaient également relancées.

Le responsable du ministère chargé des aborigènes pour les îles Andaman, Theva Neethi Dhas, s’est de son côté défaussé de toute responsabilité concernant la route maritime, déclarant qu’il ne « s’agissait que d’une promesse faite par le gouvernement central ». Quant au bras droit du gouverneur, AK Singh, il a reconnu auprès du quotidien local l’Andaman Chronicle, « qu’aucun bateau n’avait [jamais] été prévu pour une quelconque route maritime ».

Si les ONG  s’indignent, nulle intervention du gouvernement central n’est pour le moment à signaler. Pourtant, en janvier 2014, Pranab Mukherjee, le président de l’Inde, avait lancé un sévère avertissement à Bishnu Pada Ray lors de l’inauguration de l’Andaman & Nicobar Tribal Research and Training Institute (ANTRI) à Port Blair -capitale des îles Andaman- , un musée et centre de reccerche destiné justement à faire connaître la richessesdes peuples indigènes et les moyens employés pour leur survie. « C’est le travail d’un membre du Parlement de protéger les Jarawas et leur environnement », avait-il déclaré, s’adressant directement au gouverneur. « Au nom d’un soi-disant développement, vous ne devez pas les détruire ».

« Pendant que la communauté internationale s’alarme, l’administration locale semble avoir froidement décidé du sort des Jarawas », conclut un éditorialiste du First Post, quotidien indien en ligne. Dans cet article daté du 21 juillet et intitulé « Le gouvernement BJP sauvera-t-il les Jarawas d’un gouverneur BJP ? », le journaliste laisse entendre que la cause aborigène est d’ores et déjà perdue. « Avec la promesse formelle du gouverneur BJP faite lors de sa campagne électorale de sacrifier le sanctuaire des aborigènes au nom de l’assimilation forcée des Jarawas, seule une intervention immédiate du gouvernement central pourrait sauver ces derniers ».

(eda/msb)