Eglises d'Asie

UNE INTERVIEW DE M. BERNARD DOMPOK Vice-premier ministre de l’Etat de Sabah

Publié le 18/03/2010




M. Bernard Dompok, pouvez-vous nous dire quelle est l’origine de ce problème de Sabah qui dure depuis si longtemps?

Avant de signer en 1963 l’acte d’union à la fédération de Malaisie, Sabah et Sarawak ont proposé quelques principes d’accord qui garantiraient les droits des peuples de Sabah et de Sarawak à l’intérieur de la fédération malaisienne. Ces propositions s’expliquaient du fait que les populations des deux Etats sont différentes de celles de la Malaisie péninsulaire d’un point de vue socio-culturel et religieux.

Après 29 ans de participation à la fédération de Malaisie, un certain nombre de problèmes sont apparus et causent une grande anxiété chez les habitants de Sabah.

Que voulez-vous dire?

Les principes d’accord proposés par Sabah et Sarawak ont été traités avec mépris. L’accord signé n’est qu’un chiffon de papier. Il n’y a rien de clair pour le peuple de Sabah en ce qui concerne ses droits aux revenus pétroliers, les droits des indigènes de Sabah, dont la majorité est chrétienne (alors que la majorité de la Malaisie est musulmane), et les pouvoirs du gouvernement autonome de Sabah.

Le résultat en est que Sabah se traîne loin derrière les Etats de Malaisie péninsulaire en ce qui concerne son développement. Plus particulièrement en ce qui concerne le statut d’autonomie, nous pensons que Kuala Lumpur, la capitale fédérale, s’ingère beaucoup trop dans les affaires intérieures de Sabah. Cette ingérence est particulièrement évidente dans le traitement du problème des immigrants illégaux. On n’a même pas demandé son avis au gouvernement de Sabah à ce sujet-là.

Il y a à l’heure actuelle 700 000 immigrants illégaux dont beaucoup viennent d’Indonésie. Leur présence à Sabah pose de sérieux problèmes du fait des implications sociales qu’elle peut entraîner (1). Notre peuple est réellement très déçu.

Est-ce que c’est la raison pour laquelle le « Parti Bersatu Sabah » (PBS) a quitté le « Barisan National »?

Exactement. Nous n’avions plus le choix. Nos demandes réitérées ne recevaient plus de réponse du gouvernement de Kuala Lumpur. La politique récente de celui-ci en ce domaine semble suivre une certaine direction. C’est la raison pour laquelle nous avons quitté le « Barisan National ».

Cette décision a pu être jugée comme polémique, mais elle fut prise après mûre réflexion. Nous pensons que c’est le meilleur moyen de parvenir à construire un meilleur avenir pour les habitants de Sabah, à égalité avec les autres régions de la fédération de Malaisie.

L’un des 11 points du manifeste du PBS, publié au moment des élections de 1990, est une demande au gouvernement fédéral d’autoriser Sabah à établir sa propre station de télévision et son université.

Qu’y a-t-il exactement derrière cette requête?

C’est simplement un appel à une distribution plus égale du développement. Avoir notre propre station de télévision nous permettrait d’offrir à notre peuple des programmes qui leur conviennent. Nous voulons aussi avoir notre propre université afin que nos enfants aient plus facilement accès à une éducation tertiaire. Aujourd’hui, les parents sont obligés d’envoyer leurs enfants sur la péninsule et cela coûte très cher.

Mais le gouvernement fédéral ne semble pas s’intéresser à nos demandes, et il faudra être patient.

Dans certains cercles, on accuse le PBS d’être antimusulman et contre le gouvernement fédéral. Qu’en pensez-vous?

L’accusation est sans fondement. La plupart des ministres du gouvernement actuel de Sabah sont chrétiens, mais nous sommes parfaitement conscients que la Malaisie est un Etat à majorité musulmane.

Dans les aides que nous distribuons aux groupes religieux, ce sont les musulmans qui reçoivent la plus grande part. En 1991, « Majelis Ugama Islam » (Conseil islamique de Sabah) a reçu 26 millions de dollars malaisiens (50 millions de francs environ) et les non-musulmans, chrétiens, sikhs, hindous et bouddhistes, ont reçu pour leur part 10 millions de dollars (20 millions de francs environ). Les musulmans de Sabah ne sont pourtant que 20% de la population totale de l’Etat.

J’insiste sur le fait que le PBS n’est pas opposé au gouvernement fédéral et n’a pas l’intention de faire sortir Sabah de la fédération (2). Le PBS n’a jamais sérieusement pensé à une telle décision politique. Le PBS a quitté le Barisan National parce qu’il n’est pas satisfait des structures actuelles. C’est tout. Les habitants de Sabah se sentent malaisiens. Moi-même je me sens un vrai Malaisien.

Qu’attend Sabah de la part de Kuala Lumpur?

Nous voulons simplement que Kuala Lumpur apprécie à sa juste valeur et respecte l’originalité de Sabah. Nous espérons encore que Kuala Lumpur puisse comprendre les aspirations politiques du peuple de Sabah. Il est aussi très important que Kuala Lumpur prenne en considération dans les faits les principes de l’accord d’union tel qu’il avait été proposé par Sabah et Sarawak avant de rejoindre la fédération de Malaisie en 1963.

Comment jugez-vous la loi de sécurité interne actuellement en vigueur?

Je pense que cette loi de sécurité interne n’est plus nécessaire et qu’elle devrait être révoquée. Cette loi a été introduite en 1960 pour lutter contre la subversion communiste dans le pays. Grâce à cette loi, les activistes communistes pouvaient être arrêtés sans aucun recours à une procédure judiciaire.

Aujourd’hui, il n’y a plus de communiste en Malaisie, et pourtant la loi de sécurité interne est toujours utilisée par le gouvernement fédéral pour arrêter et emprisonner ceux qui ne sont pas d’accord avec le gouvernement. Evidement, une telle utilisation n’est pas du tout humaine. Beaucoup de citoyens de Sabah sont déjà victimes de cette loi. La Malaisie possède des institutions judiciaires. Les accusés devraient pouvoir être jugés selon une procédure légale.