Eglises d'Asie

Hongkong : Cardinal Zen : « Je prie pour qu’il n’y ait pas un nouveau Tiananmen »

Publié le 03/10/2014




Dans une interview au magazine America, daté du 1er octobre, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, fait part de son inquiétude concernant l’actuel bras de fer qui se joue entre le gouvernement et les militants pro-démocratie. Après les manifestations massives de la fin septembre et surtout la grande protestation du 1er octobre, fête nationale en Chine, …

... où les étudiants, les militants d’Occupy Central (1) et de nombreux citoyens de Hongkong ont réclamé la démission du gouvernement, le cardinal Zen, qui soutient la lutte du mouvement pour la démocratie depuis ses débuts, lance un nouvel appel à la communauté internationale.

A l’heure où nous publions cette interview de Gerard O’Connell, l’ultimatum posé au chef de l’exécutif par les manifestants qui réclamaient sa démission, s’est soldé par une fin de non-recevoir. Les étudiants restent cependant toujours mobilisés et attendent le « dialogue » que Leung Chun-ying leur a promis en contrepartie.

La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

 

« Rien de semblable à ce qui se passe actuellement à Hongkong ne s’est jamais produit auparavant. Je ne peux que prier pour que cela ne se termine pas en un nouveau Tiananmen, la situation étant similaire à bien des égards. Nous devons prier pour que cela n’arrive pas ! » Voilà ce que m’a dit par téléphone, depuis Hongkong, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, au soir du 1er octobre.

Agé de 82 ans, le cardinal, connu pour son intrépidité, s’est tenu aux côtés des manifestants d’Occupy Central tout ce week-end ainsi que ces deux derniers jours. Il était tout juste retourné se reposer un peu chez lui à Braga House, la résidence des salésiens, lorsque je lui ai parlé, mais il avait l’intention de rejoindre dans la soirée les protestataires pro-démocratie non violents qui continueront leurs manifestations demain et aussi longtemps que durera leur mouvement de protestation.

« Je suis très inquiet ; la situation est très dangereuse, m’a t-il déclaré. Le gouvernement célébrait aujourd’hui la fête nationale (de la Chine) mais il ne semblait pas s’être rendu compte de la gravité de la situation, ni de la colère des habitants de Hongkong. Il parait n’avoir aucune idée de ce qu’il s’est passé ces jours-ci. Les manifestants restent pacifiques, mais ils attendent une réponse des autorités, et rien n’est venu de ces dernières. En attendant, nous devons persévérer dans l’unité, la non-violence et le pacifisme. »

Le cardinal a ajouté que les autorités avaient effectué ce 1er octobre, la cérémonie officielle du lever de drapeau à Hongkong en présence du chef exécutif, comme c’est l’usage pour la fête nationale en Chine, mais que certains étudiants avaient, en signe de protestation, tourné ostensiblement le dos au drapeau rouge.

Les 1er et 2 octobre sont des jours fériés à Hongkong et des dizaines de milliers de personnes venues de toute la cité se sont mêlées aux manifestations pro-démocratie, qui ont pris depuis le nom de « révolution des parapluies » (2). « Tous sont furieux contre les autorités, mais tous protestent de façon non-violente et pacifique », a précisé le cardinal Zen.

« Les manifestants restent vraiment calmes et paisibles ; ils ne veulent pas la violence, mais seulement faire comprendre leur ressenti de manière pacifique », a ajouté l’évêque. Mais ce dernier reconnaît craindre néanmoins que des agents du gouvernement ne s’infiltrent dans les rangs du mouvement, les organisateurs ayant trouvé ce matin même des briques et des barres de fer dans l’un des locaux qu’ils occupent. Qui donc les aurait mis là ?

« La situation pourrait facilement devenir hors de contrôle », s’inquiète le cardinal Zen. Il pense que le seul moyen de sortir de cette impasse est que le chef exécutif de cette région semi-autonome de Chine, Leung Chun-ying, démissionne.

« S’il démissionne, il deviendra possible pour les autorités d’entamer le dialogue et de mettre en place une consultation [avec la population]. Peut-être alors Pékin pourra envoyer quelqu’un qui sera capable d’écouter le peuple et de dialoguer avec les chefs du mouvement pro-démocratie », espère-t-il.

Le cardinal Zen s’est adressé aux étudiants lors des rassemblements qui se sont tenus la semaine dernière, dans le cadre de la grève qui a mobilisé les élèves des lycées et les étudiants des universités de toute la ville, dans une manifestation spontanée en faveur de la démocratie.

Mgr Zen s’est exprimé sur la doctrine sociale de l’Eglise ainsi que sur le droit « à la résistance pacifique ». Alors que la police avaient maltraité certains des manifestants, il a même « fait un petit sermon aux policiers en leur rappelant que les étudiants étaient leurs frères et leurs sœurs ».

Aux petites heures du matin, dimanche 28 septembre, l’évêque, à la demande des manifestants, a rejoint les protestataires d’Occupy Central devant le siège du gouvernement, accompagné d’autres leaders, parmi lesquels se trouvaient des catholiques comme Martin Lee ainsi que le propriétaire de l’un des principaux journaux pro-démocratiques de Hongkong, l’Apple Daily.

Un peu plus tard ce même dimanche, il a prononcé l’homélie lors de la messe qui a été célébrée au beau milieu de la manifestation d’Occupy Central, aux côtés du P. Franco Melle, un missionnaire italien qui a passé presque toute sa vie à Hongkong. Mgr Zen a encouragé les fidèles à préserver la forme non-violente et pacifique de la manifestation en faveur de la démocratie. Il a appelé également à la modération dans les slogans et à éviter de provoquer les autorités de Hongkong ou de Pékin, tout en assurant comprendre que les gens aient envie d’exprimer par des slogans leur ressentiment d’avoir été « floués ».

« Nous avions décidé d’occuper le parc qui fait face au Parlement pour notre manifestation pacifique. Nous nous attendions à être arrêtés, et même nous l’espérions dans la mesure où cela aurait pu permettre la sensibilisation des gens à notre cause ici et ailleurs dans le monde », poursuit le cardinal Zen. Les manifestants avaient d’ailleurs emmenés avec eux un grand nombre de journalistes et de photographes pour assister à ce moment [historique], car bien entendu, aucun des médias contrôlés par l’Etat en Chine continentale n’avait dit un seul mot sur les événements.

Mgr Zen était presque certain qu’ils seraient arrêtés parce que la police n’avait autorisé qu’un très petit nombre d’individus à pénétrer dans la zone. Mais lorsque des dizaines de milliers de personnes ont commencé à se masser autour de l’esplanade tandis qu’affluaient toujours plus de gens pour se joindre à eux, la police a soudain attaqué sans aucun avertissement la foule des manifestants pacifiques. Elle a lancé 87 bombes lacrymogènes et arrosé de spray au poivre la foule qui n’avait pour autre protection que ses parapluies. Bien que les policiers n’aient pas lancé les bombes lacrymogènes dans la zone occupée par Mgr Zen, ce dernier ainsi que son entourage ont dû se réfugier en hauteur pour se protéger des gaz irritants.

« Cela a été une énorme erreur de la part du gouvernement», juge le cardinal. « Les autorités se sont aliéné énormément de gens à Hongkong en commettant un tel acte de violence à l’égard de personnes pacifiques ; elles ont perdu le respect de la population. » L’une des conséquences de cette agression a été de pousser plus de personnes à se joindre à la manifestation pro-démocratie.

Le cardinal a expliqué que les manifestants voulaient que Pékin et le gouvernement de Hongkong tiennent les promesses faites lors de la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine en 1997, qui était d’autoriser le suffrage universel aux quelque sept millions d’habitants de Hongkong. Les autorités s’étaient engagées à mener une consultation générale sur la question avant de rendre leur décision pour les prochaines élections de 2017, mais lorsque le mouvement pro-démocratie – dans lequel le cardinal joue un rôle très important –, a émis des propositions suite au grand référendum auquel 800 000 personnes avaient participé il y a quelques mois, le gouvernement de Hongkong , comme celui de Pékin, ont ignoré délibérément leurs revendications.

Au lieu de cela, les autorités ont décidé d’un système contrôlant totalement la procédure de candidature aux élections de l’exécutif (3). Les habitants de Hongkong se sont sentis trahis [et ont refusé] cet « ersatz de démocratie ». Alors qu’Occupy Central avait prévu de réagir à partir de la date symbolique du 1er octobre, il a été devancé par les mouvements étudiants qui se sont mis à protester spontanément il y a une dizaine de jours, avant que les deux courants ne réunissent aujourd’hui leurs forces.

Avec ses quelque 374 000 fidèles, le diocèse catholique de Hongkong apporte tout son soutien au mouvement pour une vraie démocratie, affirme Mgr Zen. Lundi 29 septembre, après l’attaque des manifestants par la police, le cardinal John Tong Hon, qui a succédé à Mgr Zen comme évêque de Hongkong, a publié une déclaration demandant au gouvernement de faire preuve de retenue et d’écoute. La Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse travaille en contact étroit avec le mouvement étudiant et les leaders d’Occupy central. L’un des nouveaux évêques auxiliaires de Hongkong, Mgr Joseph Ha, un franciscain, a célébré la messe dans une cathédrale bondée, lundi dernier, afin « d’invoquer l’aide de Dieu dans la situation présente », a ajouté le cardinal.

Le cardinal Zen a poursuivi en disant qu’il demandait aux fidèles de prier le rosaire pendant tout ce mois d’octobre pour supplier Dieu d’éclairer les dirigeants de Hongkong et de Pékin afin qu’ils écoutent la population et travaillent à un projet visant à instaurer le suffrage universel aux élections de 2017, un projet pour une véritable démocratie telle que les habitants l’avaient espéré. L’évêque a conclu l’entretien en demandant que « le monde entier prie pour la situation à Hongkong, qui est terriblement critique, car aujourd’hui tout peut arriver ».

(eda/msb)