Eglises d'Asie – Malaisie
Des ONG locales veulent empêcher le rapatriement forcé de 155 réfugiés ouighours en Chine
Publié le 06/10/2014
La découverte de 155 réfugiés ouighours, parmi lesquels on compterait 76 enfants, a fait la Une des journaux malaisiens vendredi dernier. Selon les services d’immigration, qui avaient été avertis par dénonciation, les réfugiés auraient été trouvés entassés dans deux appartements de la capitale, deux jours plus tôt, mercredi 1er octobre. Dans une promiscuité et une hygiène déplorables, 65 d’entre eux étaient cachés dans l’un des appartements, tandis que quelques étages plus haut se terraient, dans un autre local, 90 autres personnes dont 44 enfants.
S’appuyant sur une déclaration de l’Indonésie voisine qui avait affirmé il y a quelques jours avoir arrêté quatre Ouïghours pour liens avec l’Etat islamique en Syrie, les autorités malaisiennes ont argué de menaces islamistes terroristes pour incarcérer les réfugiés en attendant de les extrader vers la Chine. Les Ouïghours, dont les passeports ont été déclarés invalides, ont été parqués dans la zone de rétention des clandestins à l’aéroport de Kuala Lumpur.
Les médias d’Etat ont expliqué qu’« à la suite de rapports alarmants », l’Etat de Malaisie voulait protéger ses ressortissants et ne pas devenir une région de transit pour des « réseaux de combattants du djihad voulant se rendre dans l’Etat islamique ».
Parmi les groupes de défense des droits de l’homme qui se sont élevés contre cette expulsion, Suaram, une ONG malaisienne, a publié dimanche 5 octobre une déclaration dans laquelle elle fait part de son inquiétude. Ce rapatriement forcé de ces 155 Ouïghours, a t-elle affirmé, doit absolument être empêché, étant donné qu’il « risque de mettre la vie de ces personnes en danger, et ce d’autant plus qu’il y a 76 enfants concernés ».
Bien que la Malaisie ne soit toujours pas signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (1), elle est cependant tenue d’appliquer les principes internationaux selon lesquels les « personnes déplacées » doivent être protégées de « la déportation dans des régions où elles pourraient faire face à des persécutions », rappelle Suaram.
Depuis cette déclaration, relayée par de nombreux médias, le ministère malaisien de l’Immigration s’est refusé à tout commentaire.
Les Ouïghours, une minorité turcophone et à majorité musulmane vivant essentiellement dans le Xinjiang, une région située dans le nord-ouest de la Chine, font l’objet d’une répression grandissante de la part de Pékin. Ces dernières années, la résistance et les manifestations se sont multipliées dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, où les habitants dénoncent une politique de répression culturelle et religieuse à leur encontre ainsi qu’une sinisation forcée, similaire à celle mise en œuvre au Tibet.
Les tensions dans le Xinjiang, qui vit presque coupé du reste du monde et des médias, sont de plus en plus vives depuis les attentats anti-chinois qui ont été perpétrés par une frange terroriste ouïghoure ces derniers mois, en réaction aux mesures oppressives décrétées par les autorités. La période du Ramadan notamment a donné lieu à des nombreuses mesures de rétorsion de la part des autorités, qui ont fait réagir la communauté internationale elle-même.
L’ONG Suaram a également souligné que les Ouïghours actuellement détenus devaient avoir le droit d’être jugés devant des tribunaux malaisiens, comme l’exige le droit international pour les réfugiés. Quant au Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR), il a déclaré n’avoir toujours pas pu obtenir de renseignements de la part des autorités de Kuala Lumpur au sujet des 155 Ouighours actuellement en passe d’être expulsés.
Ce n’est pas la première fois que la politique de la Malaisie concernant les réfugiés et demandeurs d’asile qui ont fui la Chine est montrée du doigt pour son allégeance à Pékin avec laquelle elle entretient des liens économiques étroits.
En février 2013 déjà, plusieurs organisations internationales des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW) ainsi que l’UNHCR, avaient condamné vigoureusement le rapatriement forcé par Kuala Lumpur en Chine de six Ouïghours, sur lesquels planaient les menaces les plus sérieuses quant au sort qui les y attendait. Demandeurs d’asile, ils avaient pourtant obtenu le statut de réfugiés auprès de l’UNHCR et étaient donc sous sa protection. C’est en secret qu’ils avaient été remis par la Malaisie aux autorités chinoises et rapatriés par un vol spécial le 31 décembre 2012. L’opération n’avait été ébruitée qu’au début du mois de février, où elle avait déclenché un tollé international.
« Ce n’est pas la première fois que la Malaisie viole le droit international à la demande de Pékin, mais il faut s’assurer que ce sera la dernière : le gouvernement se doit d’expliquer comment cela a pu arriver et quel a été le rôle de la Chine », avait alors averti Phil Robertson de HRW. Un an auparavant, la Malaisie avait en effet rapatrié de force onze Ouïghours, en août 2011, sous l’accusation de contrebande et contre l’avis de plusieurs ONG qui avaient tenté de faire valoir « les graves violations des droits de l’homme qu’encourraient ces réfugiés s’ils étaient expulsés vers la Chine ».
(eda/msb)